Ce que l’affaire STX nous dit de l’Europe

1. Pourquoi ça coince

Le 28 juillet dernier, le gouvernement d’Edouard Philippe décidait de nationaliser provisoirement la société STX France, les ex-Chantiers de l’Atlantique, situés à Saint-Nazaire. Cette affaire illustre les raisons pour lesquelles l’Europe n’arrive pas à s’en sortir sur le plan industriel.

Les Chantiers de l’Atlantique sont nés en 1955 de la fusion de chantiers présents dans la région. Ils se sont illustrés en particulier avec la fabrication du paquebot France, inauguré en 1960 par le général de Gaulle. Les Chantiers se sont ensuite plutôt tournés vers la fabrication de tankers et de porte-conteneurs. En difficulté suite au ralentissement de l’économie mondiale lié au premier choc pétrolier, les Chantiers sont repris en 1976 par le conglomérat Alsthom, qui produisait aussi des TGV, des turbines… A partir du milieu des années 1980 et de la construction du Sovereign of the Seas pour la société Caribbean, ils s’orientent de nouveau vers la construction de paquebots géants destinés au marché des croisières, en forte croissance.

En 2006, Alstom se retrouve en difficulté et les Chantiers sont vendus au groupe norvégien Aker Yards. En 2008, ce dernier est racheté à son tour par le sud-coréen STX Offshore & Shipbuilding. Les Chantiers de l’Atlantique deviennent STX France. Pour protéger les intérêts hexagonaux, l’Etat prend alors un tiers du capital. Mais en juin 2016, la société mère coréenne est placée en redressement judiciaire dans un contexte mondial de stagnation du fret maritime et de fort recul de l’activité de construction navale. En octobre 2016, STX France est mise en vente par les administrateurs judiciaires du groupe.

Le spécialiste italien de la construction navale Fincantieri, détenu majoritairement par l’Etat italien, est le seul à se porter acquéreur des 66 % du capital détenus par les Coréens dans les Chantiers de l’Atlantique. Le gouvernement français s’inquiète alors du fait que Fincantieri a passé des accords avec la China State Shipbuilding Corporation pour construire à Shanghai des bateaux de croisière destinés au marché chinois. Face aux craintes de pertes d’emplois et de savoir-faire, l’Etat français négocie en avril 2017 une montée supplémentaire au capital des chantiers via une entrée à hauteur de 12 % de Naval Group, l’ex-DCNS, l’acteur public de la construction navale militaire. Les intérêts italiens ne détiendraient plus que 55 % du capital des chantiers. C’est cet accord conclu sous François Hollande, mais pas encore mis en oeuvre, que le nouveau gouvernement a voulu remettre en cause pour obtenir cette fois un partage du capital à 50-50.

Ce bras de fer l’a donc amené à nationaliser provisoirement STX France en juillet dernier, en application d’un décret de 2014 pris à l’initiative d’Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, qui élargissait les domaines où l’Etat pouvait intervenir en cas de prise de contrôle d’une entreprise française par un acteur étranger. L’affaire n’est pas finie : le gouvernement français ne veut pas a priori rester l’actionnaire majoritaire des Chantiers. Il poursuit les négociations avec Fincantieri et l’Etat italien et espère trouver un accord avec eux en septembre 2017.
2. Une illustration des difficultés de l’Union

En attendant, ce cas d’espèce, où un actionnaire italien qui contrôlerait une entreprise française suscite en définitive plus d’inquiétudes qu’un actionnaire coréen, est une bonne illustration des difficultés qui ont empêché l’émergence depuis 1957 et le traité de Rome de champions industriels véritablement européens possédant une envergure mondiale. La construction européenne a en effet été contemporaine de la mondialisation de l’économie et de la libéralisation des flux financiers et commerciaux, qui l’ont accompagnée. Contrairement par exemple à la construction du marché intérieur des Etats-Unis d’Amérique, qui s’était effectuée dans un monde où chaque Etat protégeait ses frontières à coups de droits de douane élevés et contrôlait étroitement les flux de capitaux.

Dans le contexte de la globalisation, il est en effet beaucoup plus facile pour un ex-champion national d’un pays européen de fusionner avec une entreprise extra-européenne – américaine dans un premier temps le plus souvent, asiatique aujourd’hui – qu’avec une autre entreprise européenne : la concurrence est toujours plus forte a priori avec cette dernière en matière de produits, de marchés et de lieux de production, donc d’emplois. Et cela d’autant plus que la Commission européenne, dont la fonction majeure est de conforter « la concurrence libre et non faussée » au sein de l’Union, a longtemps considéré que de tels rapprochements entre entreprises européennes aboutiraient à former des géants qui bénéficieraient d’une « position dominante » dans le marché commun puis unique. Ils seraient ainsi en mesure d’imposer leurs conditions aux consommateurs de l’Union, menaçant le pouvoir d’achat et le bien-être de ces derniers, même s’ils restaient en réalité des nains à l’échelle mondiale. La Commission a assoupli récemment sa doctrine sur ce plan, mais le mal est fait.

De plus, au-delà même des difficultés objectives, le rapprochement d’entreprises européennes de différentes nationalités ravive toujours les vieilles rivalités. A la rigueur, une entreprise d’un petit pays peut racheter une société d’un grand pays ou l’inverse, mais quand cela concerne deux pays importants, comme c’est le cas avec STX, les difficultés rencontrées sont toujours majeures et le plus souvent rédhibitoires.

Bref, même s’il y eut quelques rares contre-exemples comme la fusion de l’allemand Hoechst et du français Rhône Poulenc pour former Aventis, les rapprochements maintes fois envisagés entre Renault et Volkswagen, PSA et Fiat ou encore Alstom et Siemens n’ont jamais eu lieu. Et à la place, on a assisté à des opérations Fiat-Chrysler, Renault-Nissan, PSA-Dongfeng, Arcelor-Mittal, Alstom-General Electric…
3. Peut-on remédier à cet échec industriel ?

Le résultat de cette absence quasi complète de consolidation intra-européenne des entreprises, c’est qu’en dehors des exceptions très politiques que sont Airbus pour les avions – et encore avec des tensions internes très vives entre Français et Allemands – et Arianespace dans le spatial, il n’existe de champion véritablement européen dans à peu près aucun secteur industriel. Et c’est l’une des raisons principales pour lesquelles, malgré la taille considérable de notre marché, les sociétés européennes sont à la remorque des firmes américaines, japonaises et désormais aussi chinoises dans tant de domaines.

C’est aussi le principal facteur qui explique que les firmes européennes figurent, de façon en apparence paradoxale, parmi les opposants les plus déterminés à toute forme de protection du marché européen. Celle-ci entraînerait en effet des mesures de rétorsion, menaçant leurs positions sur les marchés américains ou émergents. Là où elles réalisent leur croissance et leurs profits et où elles mènent en priorité leurs opérations de croissance externe.

Malgré ce handicap, serait-il quand même possible de mettre en oeuvre la politique industrielle européenne indispensable pour conserver ou le plus souvent retrouver une maîtrise des technologies clés de l’avenir ? Cela implique nécessairement un affrontement difficile avec à la fois les égoïsmes nationaux et les dirigeants des grandes firmes européennes…
Cependant, la désindustrialisation massive intervenue depuis vingt ans pourrait désormais faciliter les choses, dans la mesure où, dans beaucoup de pays et de secteurs d’activité, elle a largement réglé la question de la défense de l’existant.

 

Article publié sur Alternatives économiques le 8 août 2017Soutenez les!

[author image= »https://www.sauvonsleurope.eu/wp-content/uploads/2015/04/AVT_Guillaume-Duval_496.jpeg » ]Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques[/author]

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