Académie diplomatique européenne : il faut savoir raison garder

Un nouveau scandale secoue l’Union Européenne : Federica Mogherini, la directrice du Collège d’Europe à Bruges, l’ENA européenne, et ancienne Haute Représentante de l’Union pour les affaires extérieures et la politique de sécurité et Stefano Sannino, qui était à la tête de la Direction Générale de la Commission en charge de la Méditerranée et l’ancien secrétaire général du Service Européen d’Action Extérieure (SEAE), ont été arrêtés et inculpés de corruption et de favoritisme par le procureur européen avec un large déploiement policier.

Cela a suscité une forte émotion. Le rapprochement a été immédiatement fait avec le Qatargate et les ennemis de l’Union Européenne, et en premier lieu les sbires de Vladimir Poutine, se sont saisi de l’affaire pour décrire l’UE comme totalement minée par la corruption. Pourtant tout semble indiquer que cette affaire ne mérite pas les superlatifs souvent utilisés ces derniers jours (ni les méthodes employées pour la traiter).

La formation des diplomates européens, une urgente nécessité

Le Traité de Lisbonne a créé un Service Européen d’Action Extérieure (SEAE) qui a démarré ses activités en 2010. Il anime en particulier un réseau de 139 ambassades de l’Union Européenne dans le monde. Le SEAE s’appuie pour la moitié de ses effectifs sur des diplomates détachés par les Etats membres de l’Union. Mais jusqu’en 2022, il n’existait pas de formation commune proprement européenne, capable de donner au corps diplomatique de l’Union une culture, une vision communes des enjeux géopolitiques auxquels l’Europe avait à faire. C’est la raison pour laquelle le projet de créer une académie diplomatique européenne était devenu l’un des projets phares de Stefano Sannino durant son mandat à la tête du SEAE entre 2020 et 2025.

Il s’était heurté cependant à une difficulté : une très faible marge de manœuvre budgétaire dans un contexte où le budget des affaires étrangères avait été un de ceux qui avaient été le plus maltraités lors des négociations de 2020 avec les coupes opérées en contrepartie des 750 Milliards d’euros d’emprunt du programme Next Generation EU, alors que les ambassades européennes avaient dû faire face durant les années suivantes à une inflation le plus souvent significativement supérieure à celle que subissaient les Européens dans la plupart des pays.

Ni enrichissement personnel ni détournement de fonds

C’est pourquoi s’il y a une chose dont je suis quasiment sûr, bien que n’ayant pas accès au dossier, c’est qu’il n’y est selon toute probabilité aucunement question d’enrichissement personnel. Il est possible en revanche qu’il y ait eu des discussions exploratoires et informelles avec le Collège d’Europe avant le lancement officiel de l’appel d’offre pour apprécier ce qu’il était possible de faire dans le cadre d’un budget très restreint, ce qui aurait pu lui permettre de mieux préparer sa proposition. S’il y a eu manquement aux règles européennes en matière d’appel d’offres, il n’est probablement que de cet ordre. Un tel acte de mauvaise administration mérite évidemment d’être sanctionné s’il est confirmé mais ne justifie pas les superlatifs utilisés ces derniers jours au sujet de cette affaire.

Autrement dit, cette affaire n’a a priori strictement rien à voir avec le Qatargate ou avec d’autres détournements massifs de fonds européens comme ceux qu’on a pu observer en Hongrie en termes de gravité des dysfonctionnements en cause. De ce qu’on sait de ce dossier, il semble que le procureur européen et la police belge ont causé un tort inutile à l’Union en utilisant des moyens disproportionnés. Ils ont donné, sans raison impérative claire, des munitions inespérées à ses ennemis, au premier rang desquels Vladimir Poutine et Viktor Orban. Dans le contexte géopolitique actuel, il est essentiel que tous les acteurs européens sachent raison garder…

Guillaume Duval
Guillaume Duval
Ancien rédacteur en chef du mensuel Alternatives Economiques

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