Abolir le pouvoir de véto pour sortir de la paralysie européenne

La Première ministre italienne, Giorgia Meloni, a déclaré devant le Parlement italien lors du débat à la veille du Conseil européen que son gouvernement s’opposait à la suppression du pouvoir de veto au Conseil et au Conseil européen, contredisant ainsi la décision de son vice-président et ministre des Affaires étrangères Antonio Tajani de rejoindre le groupe des «amis du vote à la majorité» lancé en 2023 par les gouvernements de Belgique, Finlande, France, Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas, Slovénie et Espagne.

La Première ministre a ainsi confirmé sa place dans le groupe minoritaire des gouvernements souverainistes auquel appartiennent les gouvernements de la République tchèque, de la Slovaquie et de la Hongrie, qui agissent pour démanteler de l’intérieur le fonctionnement de l’Union européenne, au détriment des intérêts collectifs qui devraient être défendus selon le principe de la coopération loyale.

En janvier 2002, le ministre des Affaires étrangères italien de l’époque, Renato Ruggiero, avait démissionné du gouvernement Berlusconi en raison de désaccords avec son Premier ministre et les autres ministres sur l’introduction de l’euro et le mandat d’arrêt européen, deux décisions fondamentales pour la réalisation de l’Union économique et monétaire et de l’espace de sécurité et de justice. Elles étaient fortement soutenues par le Président de la République Carlo Azeglio Ciampi, contraint de contresigner la démission de Ruggiero, rapidement acceptée par Silvio Berlusconi.

La nécessité de dépasser le pouvoir de veto en étendant le vote à la majorité qualifiée au Conseil européen et au Conseil pour toutes les décisions politiques, financières et juridiques de l’Union européenne est au cœur du débat sur le processus d’intégration européenne, notamment dans la perspective des futurs élargissements si l’on veut sortir de la paralysie dans des domaines essentiels de la vie de 450 millions de citoyens européens.

Le dépassement du vote à l’unanimité dans les décisions concernant les gouvernements est l’une des réformes indispensables pour soustraire l’Union européenne au chantage des souverainetés nationales apparentes et pour créer un système de souverainetés partagées qui renforcerait la conscience européenne et le sentiment d’appartenance dans un monde de plus en plus divisé par des impérialismes autocratiques où aucun des pays membres n’est capable de défendre seul ses intérêts nationaux.

L’unanimité reste aujourd’hui encore la méthode de vote utilisée au Conseil européen et au Conseil dans au moins vingt domaines cruciaux pour le fonctionnement de l’Union européenne.

Il s’agit de la défense de l’État de droit, de la promotion de la non-discrimination, de la citoyenneté européenne, du marché des capitaux, du droit de la famille, de la lutte contre la criminalité organisée, de la politique fiscale et de ses conséquences pour l’environnement et l’énergie, des missions de la BCE, de la sécurité sociale et de la santé.

Il s’agit plus encore de la politique étrangère et de sécurité, qui comprend la dimension de la défense afin de donner à l’Union européenne la possibilité de parler d’une seule voix dans le monde, et du financement du budget européen afin de garantir aux citoyens européens des biens publics à dimension transnationale et une politique financière équitable qui ait un impact sur les externalités négatives, élimine l’évasion fiscale et les paradis fiscaux.

Dans tous ces cas, le Parlement européen est totalement exclu des décisions du Conseil et, dans de nombreux cas de décisions communes qui pourraient être adoptées à la majorité qualifiée, le Conseil adopte le principe du consensus, reportant sine die le vote sur les actes européens, même lorsque le Parlement européen a donné son accord au nom des citoyens qui l’ont élu.

Le Traité de Lisbonne prévoit, dans certains cas limités, la possibilité pour le Conseil européen d’autoriser à l’unanimité le Conseil à ne plus statuer à l’unanimité («clause passerelle») en votant à la majorité qualifiée, mais cette clause n’a jamais été appliquée.

La suppression du vote à l’unanimité et donc du pouvoir de veto doit s’accompagner d’un changement structurel, qui remplace la logique de coopération entre États apparemment souverains par la création d’un pouvoir supranational légitimé démocratiquement et capable d’agir, dans ses domaines de compétence et selon le principe de subsidiarité, indépendamment des États membres.

Ce changement implique l’attribution au Parlement européen d’un droit d’initiative législative, d’un pouvoir général sur un pied d’égalité avec le Conseil européen et le Conseil, ainsi que le rôle de la Commission européenne en tant que garante des intérêts collectifs, afin de créer un système de gouvernement européen efficace et démocratique, responsable devant les citoyens européens et contrôlé par eux, capable de remplacer les formes inefficaces de coordination entre les gouvernements nationaux qui existent actuellement.

Rome, le 27 octobre 2025

Pier Virgilio Dastoli
Pier Virgilio Dastoli
Pier Virgilio Dastoli est avocat. Parmi ses divers engagements en lien avec l'UE, il préside le Conseil italien du Mouvement européen.

Soutenez notre action !

Sauvons l'Europe doit son indépendance éditoriale à un site Internet sans publicité et grâce à l’implication de ses rédacteurs bénévoles. Cette liberté a un coût, notamment pour les frais de gestion du site. En parallèle d’une adhésion à notre association, il est possible d’effectuer un don. Chaque euro compte pour défendre une vision europrogressiste !

Articles du même auteur

9 Commentaires

  1. Ce changement voulu par la Commission est du fédéralisme larvé… La suppression du vote à l’unanimité et donc du pouvoir de veto (devrait) s’accompagner d’un changement structurel (rien dans ce sens actuellement…), qui remplace la logique de coopération entre États apparemment souverains par la création d’un pouvoir supranational légitimé démocratiquement (encore du fédéralisme…) et capable d’agir, dans ses domaines de compétence et selon le principe de subsidiarité, indépendamment des États membres.
    Alors, qu’une confédération européenne (coopération à la carte) serait plus souple et plus respectueuse des peuples.

  2. Je souscris à 100% à ce billet. Le pouvoir de veto des Etats-Membres est LE verrou institutionnel qui paralyse l’Union Européenne et l’empêche d’agir dans le sens de la justice sociale, de l’environnement et de sa défense.
    Je signale à ce sujet une pétition demandant l’abolition de ce droit de veto, en commençant par les aspects fiscaux, à partir d’un rapport du Parlement Européen adopté en commission mais rejeté en plénière: https://action.wemove.eu/sign/2023-11-end-tax-havens-in-the-eu-implement-the-treaty-reform-adopted-by-FR.
    J’invite à la signer.

  3. Bien sûr qu’il faut en finir avec le droit de véto et la règle de l’unanimité qui rend l’Europe de plus en plus comme un nain politique

  4. C’est l’éternel dilemme entre efficacité et représentativité. Au niveau de l’Europe il est insoluble. Soit on fait, suivant la tendance actuelle, de l’UE une sorte d’URSS qui décide tout contre les peuples (et ceux-ci commencent déjà à comploter, à s’inventer des portes de sortie, des échappatoires) qui finiront par se révolter et sortir de l’UE comme ils sont sortis de l’URSS; soit on essaie de se concerter sur tous les sujets et on aboutit à la paralysie, tant les intérêts sont différents dans un ensemble aussi vaste : quoi de commun entre les pays baltes et ceux du Sud, la Scandinavie et la Slovénie? Les uns veulent une agriculture subventionnée, les autres ne jurent que par la guerre à la Russie, l’Allemagne veut délocaliser son industrie aux USA tandis que la France veut se réindustrialiser… les uns diabolisent la Chine, les autres veulent plus de coopération. Les accords de libre-échange sont négociés en sacrifiant tel ou tel secteur de tel ou tel pays… Sur tous les sujets, la concertation mène au blocage. Et les européistes parlent d’élargissements futurs!? L’Ukraine, la Turquie, la Géorgie, Israël pour faire bonne mesure? What could go wrong, comme disent nos amis d’outre-Atlantique. Aucun souci en vue, tout cela va forcément se passer au mieux… du moment que nos commissaires politiques et leur « légitimité démocratique » sont aux manettes, rien à craindre.

    • Exactement.
      Actuellement, la Fédération de Russie, avec de larges autonomies en son sein, est plus démocratique que l’UE. Malheureux…

      • Vous avez un peu d’avance en termes de calendrier: sous réserve de démonstration plus étoffée de votre part, on peut en effet se demander si votre assertion ne trouverait pas une place plus appropriée le 1er avril.
        Quant aux perspectives d’un élargissement futur de l’UE évoquées par Hilare Clintox, elles ne correspondent pas nécessairement aux souhaits de tous ceux que l’on peut qualifier d’ « européistes ». Certains d’entre eux – je parle en connaissance de cause – vont jusqu’à douter de la légitimité actuelle d’un poste de commissaire européen à l’élargissement ainsi que d’une direction générale de la Commission spécialement affectée à cet objectif et dont les effectifs pourraient utilement être redéployés vers d’autres services mieux à même d’approfondir les missions de l’UE actuelle.

  5. Dans mes commentaires, je me suis souvent référé à la célèbre formule : « ils ne savaient pas que c’était impossible… alors, ils l’ont fait ».
    En l’occurrence, si, pour les raisons invoquées par l’auteur de l’article et par d’autres commentateurs, l’atténuation de l’« impérialisme » de la règle de l’unanimité dans le processus décisionnel de l’UE [cela concerne expressément 7 articles du traité sur l’Union européenne (TUE) et 43 articles du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE)] relève du souhaitable, il convient aussi d’apprécier dans quelle mesure une telle évolution peut s’inscrire dans le domaine du possible. Et cela en ayant à l’esprit que sortir de l’unanimité requiert en principe… l’unanimité.
    Il existe néanmoins quelques portes dérobées, dont les « clauses passerelles » évoquées dans l’article. On rappellera que ce dispositif, prévu par le traité de Lisbonne tant dans sa composante TUE (articles 31 et 48) que dans sa composante TFUE (articles 81, 153, 192, 312, 333), permet de passer d’un vote à l’unanimité à un vote à la majorité qualifiée pour l’adoption d’un acte. L’article 48 TUE a introduit une disposition de portée générale à cet effet. Les autres articles concernent des domaines spécifiques tels que la politique étrangère et de sécurité commune, la politique sociale ou le cadre financier pluriannuel applicable au budget de l’Union.
    Des variantes existent par ailleurs, conçues à l’image de la conduite d’un véhicule. Ainsi, des « clauses d’accélérateur » visent à faciliter la mise en place de « coopérations renforcées » entre un nombre restreint d’Etats membres souhaitant aller de l’avant en termes d’intégration : elles se rapportent à la coopération judiciaire (TFUE, articles 82, 83 et 86) ainsi qu’à la coopération policière (TFUE, article 87). A l’inverse, des « clauses de frein » ont également été ménagées par le TFUE afin de permettre à un pays de l’Union de faire appel au Conseil européen (donc au niveau des chefs d’Etat ou de gouvernement et non à celui des ministres) s’il estime que les principes fondamentaux de son système de protection sociale risquent d’être ébranlés par un projet législatif européen en cours d’adoption (TFUE, article 48) ou qu’un processus similaire menace son système pénal (TFUE, articles 82 et 83).
    On ajoutera que la problématique de l’unanimité n’a pas échappé aux acteurs de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, qui s’est tenue d’avril 2021 à mai 2022. On en trouvera une analyse dans le rapport d’information communiqué à l’Assemblée nationale par sa commission des Affaires européennes le 14 juin 2023 à la suite de cette Conférence :
    https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/rin_suite_conf_avenir_europe
    D’une manière générale, la Conférence a proposé de fluidifier le processus de décision au Conseil en prévoyant que toutes les décisions prises actuellement à l’unanimité soient adoptées à l’avenir à la majorité qualifiée. Les seules exceptions devraient être l’admission de nouveaux Etats membres et la modification des principes fondamentaux de l’Union inscrits à l’article 2 TUE ainsi que dans la charte des droits fondamentaux de l’UE.
    S’agissant des clauses passerelles, la Conférence est convenue de leur nécessité tout en en soulignant les limites, par exemple en matière de défense.
    On ne peut donc que reconnaître que la problématique sensible que soulève le passage de l’unanimité à la majorité qualifiée dans le processus décisionnel européen est loin d’être ignorée, voire négligée, dans les débats sur l’Europe de demain.
    En tout état de cause, elle ne sera certainement pas éludée dans la perspective – la menace, diront certains – d’un nouvel élargissement de l’UE, qui pourrait porter l’appartenance à celle-ci à plus de 30 membres. L’embonpoint ainsi conféré à l’Union aggraverait-il alors son alourdissement ?

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

A lire également