Élections en Norvège : la dangereuse stratégie de Sylvi Listhaug

Une séquence électorale se clôt et, avec elle, son lot d’accrochages et de polémiques. Entre la cheffe de file du Parti du progrès (FrP, la plus à droite des formations politiques représentées au Parlement norvégien) et le Premier ministre travailliste Jonas Gahr Støre, le torchon n’a, ces derniers mois, cessé de brûler. Cet été, en pleine campagne électorale, Sylvi Listhaug appelait publiquement le chef du gouvernement à venir devant le Storting rendre des comptes sur son bilan en matière de lutte contre le terrorisme, jugé par elle insatisfaisant. Quelques semaines plus tôt, c’était Støre qui montait au créneau sur la question de l’accord international EØS (garantissant la libre circulation des personnes, services, capitaux et marchandises entre la Norvège et l’UE) qu’une « Première ministre Listhaug » risquerait, selon lui, détricoter.

Il faut dire que le duel fut serré dans les urnes entre le Parti travailliste (Ap) et le FrP, alors que le Parti conservateur (H), tenant de la droite historique, s’est effondré, obtenant moins de 15% des suffrages le 8 septembre dernier. A la différence des partis d’extrême droite des autres pays scandinaves (à l’image des Démocrates de Suède ou des Démocrates et du Parti populaire danois), le FrP n’est pas entravé par un cordon sanitaire qui lui interdirait toute participation à un gouvernement aux côtés d’autres formations politiques. Son score particulièrement élevé (23,9%) lors des élections législatives a manqué de peu de lui ouvrir grand les portes du pouvoir et pourrait s’il venait à croître ne serait-ce que légèrement dans les prochaines années lui permettre de se placer à la tête d’une coalition conservatrice et eurosceptique à la configuration interne inédite.

Un parti d’extrême droite pas comme les autres

Pour comprendre cette particularité du FrP norvégien, il est nécessaire de mettre son cas en parallèle avec les autres formations d’extrême droite majeures des pays scandinaves. Si l’on prend le cas des Démocrates de Suède ou encore du Parti populaire danois, les deux formations historiques de ce courant dans leurs pays respectifs, l’on s’aperçoit que toutes deux ont été fondées, comme la plupart des partis d’extrême droite modernes, sur une opposition frontale à l’immigration. Cela n’a pas été le cas du Parti du progrès, né d’abord sur la base d’une contestation du niveau de fiscalité existant dans le pays. Si le FrP a, depuis, rattrapé en partie son retard sur ses homologues, cela change radicalement la façon dont il a été perçu à ses débuts ; si les autres ont fait de l’escalade identitaire le moteur premier de leur croissance politique (avec pour conséquence leur ostracisation, par les autres partis, des possibilités de gouvernement), cela n’a pas été le cas du Parti du progrès.

Cette différence d’identité historique explique aussi la plus grande facilité avec laquelle ont été brisées les digues qui existaient entre le FrP et le reste de la droite : alors que les Démocrates de Suède et le Parti populaire danois n’ont jamais été invités à contribuer à aucun gouvernement en respectivement deux et quatre décennies d’existence parlementaire, le Parti du progrès norvégien a pu, à la faveur d’une majorité formée avec le Parti conservateur, jouir d’une expérience de gouvernement longue, sans interruption entre 2013 et 2020 et validée dans les urnes en 2017.

Vers une prise de direction du bloc de la droite gouvernementale ?

C’est la dernière étape du cursus honorum classique des grands partis que le FrP n’a pas encore franchie : fédérer son hémisphère politique et prendre les commandes d’un gouvernement qui en rassemblerait toutes les composantes. La marche vers la respectabilité du parti en est-elle arrivée au point où celui-ci serait capable de réussir prochainement cet ultime tour de force ?

Durant la campagne, l’allusion de Jonas Gahr Støre à l’arrivée d’une potentielle « Première ministre Listhaug » n’a fait que confirmer l’idée que la chose est loin d’être impossible. Et fait peser sur les épaules du Premier ministre fraîchement vainqueur des urnes la responsabilité de mener un second mandat convaincant, au risque de voir dans les prochaines années et pour la première fois un pays scandinave basculer démocratiquement à la droite radicale.

Raphaël Charlet
Raphaël Charlet
Etudiant en science politique à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Il suit les dynamiques électorales et les évolutions démocratiques en Europe.

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2 Commentaires

  1. La différence entre ces partis scandinaves ne se trouve pas dans leurs origines. Par exemple, le Parti Populaire Danois lui aussi est apparu, en 1995, d’une scission d’un parti nommé Fremskridtsparti (Parti du Progrès) qui avait fait du rejet de la fiscalité son thème principal, avant la xénophobie. D’ailleurs, c’est en se dissociant des provocations ultralibéralistes du Fremskridsparti que le parti Populaire Danois est devenu acceptable aux yeux de la population. Celle-ci était plus choquée par le rejet de l’état providence et de la fiscalité qui le nourrit que par la prise de position contre les immigrés.

  2. Bonjour
    Le commentaire en réaction me plonge dans un profond désarroi. D’où vient donc la spécificité de l’extrême-droite norvégienne ?
    Merci aux deux auteurs de nous éclairer.

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