Comment les Etats-Unis font évoluer la dépendance des Européens vis-à-vis de leurs intérêts (5/6)

Nicolas Ravailhe propose une chronique sur la guerre économique que livrent les Etats-Unis en Europe dans le domaine de la défense en six volets. Cinquième partie : les Etats-Unis ont pour objectif de dépenser moins en Europe tout en forçant les Européens à acheter davantage américain pour assurer leur défense.

Les Américains sont experts dans l’art de diviser les Européens. Comme la France, ils sont affaiblis économiquement par l’Allemagne. Pour eux, il est compliqué de s’entendre avec la France car ils sont concurrents dans les mêmes segments, en particulier l’industrie de défense. De surcroît, la France tente de rester souveraine dans la conception de ses choix. D’où les attaques dans les médias du secrétaire d’État américain à la défense sur la faiblesse française et même britannique… Toutefois, en matière de défense, force est de constater que la France n’a jusqu’alors pas été une concurrente des Etats-Unis en Europe.

La France à la manœuvre ?

Rien ne changera tant que Paris ne remettra pas en cause les déséquilibres économiques en matière civile dans le marché intérieur européen, à savoir une France en déficit des échanges commerciaux face aux autres États en excédents. En d’autres termes, dans sa relation avec les autres États européens, la France devrait faire compenser ses déficits en matière civile par des acquisitions des autres États européens de matériels militaires « fabriqués en France » comme le font les Etats-Unis.

Étant donné le contexte géopolitique, c’est le bon moment. Il ne s’agit pas d’une logique de Frexit mais un rapport de force est nécessaire en vue d’une renégociation au sein de l’Union européenne (UE) pour rééquilibrer un déficit commercial abyssal. La France s’endette pour servir les succès économiques de ses partenaires européens. Ce n’est plus tenable pour notre pacte social. Nos partenaires et concurrents européens doivent l’entendre et acheter ce que nous produisons, des matériels de défense.

Et les Etats-Unis ?

Les Etats-Unis utilisent beaucoup l’arme idéologique pour diviser les Européens. Cette technique a commencé bien avant les ingérences de l’actuel président, du vice-président ou d’Elon Musk. Nous assistons à des phénomènes d’amplification plus visibles. Des provocations répétées évoquent la décadence de l’UE à l’appui de thèses considérées par une majorité d’Européens comme « illibérales ». On notera que la gauche américaine avec George Soros n’est pas restée en marge de ces pratiques. Diviser les Européens, et surtout la gauche européenne entre des logiques universalistes conformes aux valeurs et aux droits fondamentaux européens et des logiques communautaires d’inspiration américaine a également produit des effets délétères notoires.

Pendant que les Européens se livrent à des guerres picrocholines sur ces sujets, ils détournent leur attention. De nombreux Européens en oublient complètement leurs intérêts économiques et surtout financiers. Pendant que des Européens se chamaillent, George Soros, qui est bien plus un financier qu’un philanthrope, aura bien profité de l’explosion des prix de l’énergie en Europe. Cela aurait pu interpeller davantage la gauche européenne restée largement silencieuse à son encontre. Il appartient aux Européens et à eux seuls de défendre leurs modèles sans interférence.

Lors des élections allemandes, le soutien affiché par le vice-président américain, J.D. Vance, à l’AFD aurait eu une incidence négative sur le score de ce parti. Voilà qui doit faire réfléchir ceux qui fantasment sur les leaders américains actuels. Il en va de même pour ceux qui à gauche relayent les aspirations au wokisme à la mode américaine et ne connaissent pas de grands succès électoraux en Europe. Nous ne sommes pas américains. Les Etats-Unis n’aspirent pas à nous convaincre. Ils nous affaiblissent et c’est assez logique à comprendre. C’est même « de bonne guerre ».

Les Américains ne se désengagent pas de l’Europe

Les revendications de Donald Trump envers l’Ukraine et ses richesses économiques sont éloquentes. L’Ukraine est un pays très vaste et devrait conserver 80% de son territoire. Le président américain montre donc un intérêt certain pour rester en Europe, de l’Atlantique au-delà de la Dniepr. Tout cela n’est pas improvisé, ni même nouveau, bien que le mode opératoire soit nettement plus direct.

Une consultation des investissements directs étrangers en Ukraine depuis des années révèle que les Etats-Unis y sont très présents. Les exemples sont nombreux. Les agriculteurs français savent qu’ils ont à affronter une concurrence déloyale des investissements américains, ex-Smith Field, en Ukraine. Bien évidemment, les Etats-Unis ne sont pas les seuls à être allés en Ukraine. L’Allemagne a initié le mouvement. La décision européenne d’abandonner les droits de douane sur ce qui est produit en Ukraine et importé vers l’UE en résulte.

Il s’agit d’une arme de destruction économique massive de l’industrie française. Les entreprises s’étant abstenues « d’investir » en bande et en masse dans des pays tiers pour aller chercher des relais de croissance sont exposées. Elles sont encore plus vulnérables en fonction de leur taille comme de leur faible capitalisation. Notre industrie subit une concurrence de technologies allemandes, américaines ou chinoises produites, sous salaire et temps de travail ukrainiens et avec une qualité de main d’œuvre ukrainienne désormais en libre service en Europe, sans barrière de protection possible. Les relais de croissance opérés en Ukraine font grandir des entreprises contre des concurrents qui ne pratiquent pas ce type d’attaques économiques. Aucun emploi ne sera supprimé en Allemagne, aux Etats-Unis ou en Chine.

En tout état de cause, cette décision d’abandon de droits douane n’aide pas l’Ukraine. Cette mesure sert les investissements étrangers en Ukraine qui en deviennent très, très rentables en se déployant ensuite sur le marché intérieur européen. Le secteur de la défense n’est pas épargné. Le Parlement européen a souhaité associer l’Ukraine aux programmes UE de défense. Les compétences développées en Ukraine (on les comprend) seront très efficaces à l’export en Europe et ailleurs. Évidemment si l’Ukraine tient face à la Russie, mais les Etats-Unis « gèrent » bien la situation en fonction des réalités militaires.

Une mesure contre-productive pour l’Ukraine

L’absence de droits de douane Ukraine UE est une mesure contre-productive pour l’Ukraine. Pour l’Ukraine qui a besoin d’armes, on peut douter de l’intérêt d’une mesure qui affaiblit l’économie des principaux pays producteurs d’armement en Europe, à commencer par la France très exposée. Comment une France appauvrie et désindustrialisée peut-elle produire davantage d’armes et les affecter à la défense de l’Ukraine ? Nous sommes en présence d’une équation impossible.

Or, les tensions entre l’Ukraine et les Etats-Unis ont montré que Kiev a davantage besoin d’armes non dépendantes du bon vouloir américain. Les Etats-Unis l’ont très bien compris et, logiquement, ils augmentent leur pression sur l’Ukraine, d’autant plus que les Européens, dont la France, ne peuvent pas compter sur l’aide américaine à court et moyen terme. Américains et Européens ont des objectifs économiques avant tout. La géopolitique sert donc la géo-économie. Les Européens, sauf la France, avec leurs milliards d’euros d’excédents commerciaux dans le monde, principalement aux Etats-Unis, n’ont de surcroit pas de leçon à donner.

Etats-Unis : rééquilibrage de leurs relations avec l’Europe

L’objectif des Etats-Unis est de dépenser moins en Europe, notamment en réduisant la présence de soldats, tout en forçant les Européens à acheter davantage américain pour assurer leur défense. Nous ne sommes nullement en présence d’un désengagement américain. La dépendance évolue. Elle devient technologique – les armes vendues aux Européens sont contrôlées par les Etats-Unis, même à distance – au profit d’un rééquilibrage financier en faveur des Américains.

En outre, les élargissements de l’OTAN, par exemple à la Finlande, augmentent les surfaces à protéger. « Business opportunities » : c’est autant de F-35 qu’il faudrait commander en conséquence. Un marché qui a des volumes d’affaires très importants et bien contrôlés. Les lobbyistes recrutés en Europe, souvent des anciens milliaires européens, sont efficaces. La limite de l’exercice réside dans les négociations avec les Russes, sans les Européens. La Russie refuse que l’Ukraine intègre l’OTAN. En revanche, elle ne s’oppose pas au fait que l’Ukraine rejoigne l’UE. « Business is Business ».

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5 Commentaires

  1. C’est vrai, les américains cherchent leur intérêt! Depuis quand un Etat ne le cherche pas! Il faut être naïf pour le croire. C’est vrai pour tous les Etats. L e monde est ainsi fait. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’être assez fort sur le plan économique, militaire, pour garder un minimum de souveraineté dans un monde de plus en plus interdépendant, qu’on le veuille ou non. Critiquer les autres ne suffit pas pour faire une politique!

  2. Tant que l’on ne sera pas reserrer sur nos propres forces et notre dynamisme, tous ensemble les Européens, nous serons très vulnérables. Il faut la faire cette Europe Fédérale, en créant une sorte de gouvernement chargé des relations avec l’extérieur, la défense , les relations entre nous pour les contrôler plus et empêcher les disputes de cour d’école , « gestionner », et programmer de façon équilibrée les besoins de tous pour produire le nécessaire en essayant de recourir le moins possible aux faiseurs de l’Orient, ce qui suppose une sorte de ré-industrialisation…et des échanges contrôlés du genre faire voyager des cochons de Pologne au Portugal et d’autres cochons du Portugal à la Roumanie… C’est bien joli le « libre-échange », mais ça donne une planète en surchauffe et des problèmes très sérieux à plus ou moins long terme. Tout ne peut pas être programmé comme dans les anciennes sociétés soviétiques, mais il faudra régler ça vraiment .nos politiques ne soupçonnent même pas de toucher à cet aspect des choses. D’où les publicités à outrance pour nous vendre des bagnoles dont il faudrait commencer à se déshabituer !! Et toutes les marques se copiant kesubes les autres on a des tas de modèles tous pareils ou presque…un vrai gâchis.
    Et pour parler de gâchis, que dire de la guerre que les Russes nous font, via l’Ukraine.
    Unifions-nous bordel ! C’est tout ce que nous avons à faire de mieux ! Qui peut en douter encore!? Soyons forts et malins, et capables d’en sortir par le haut…

  3. Ce sont les nationalistes collabos de l’ex-région polonaise de Liv, ukrainophone et uniate, qui voulaient la guerre/ répression des russophones (et les anglo-saxons), pas le reste de l’Ukraine.

  4. « Nous n’avons pas d’amis, nous n’avons que des intérêts », disait au XIXè siècle Gladstone, ministre des affaires étrangères du Royaume-Uni. C’est le principe même du souverainisme triomphant, celui-là même qui, faisant de l’Europe un panier de crabes pérenne, a abaissé l’Europe de la première partie du XXè siècle au rang de « continent des ténèbres » (The Dark Continent, Mark Mazower). Un radical changement de braquet s’imposait et ce sont précisément les Etats-Unis qui, par leur intervention militaire (débarquement en AFN en 1942, débarquement en Sicile en 1943, débarquement en Normandie en 1944), ont mis fin à mis à la dégénérescence barbare. Ensuite, au lieu de commettre l’erreur fatale d’un traité de paix hautement contreproductif (cf. le Traité de Versailles de 1919), les Américains ont proposé le plan Marshall à tous les protagonistes, y compris l’URSS, en vue de substituer le « doux commerce » aux postures bellicistes revanchardes traditionnelles. Attitude innovante, courageuse et lucide. Le plan Marshall, en amenant les pays européens à coopérer pour se partager la manne, a contribué activement à la création de l’Europe. Laquelle, ainsi que cela transparaît clairement dans la déclaration Schuman du 9 mai 1950 se devait de se métamorphoser en Union fédérale. C’est-à-dire en Etat supranational souverain, parlant d’une seule voix au reste du monde s’agissant des affaires d’envergure continentale: politique extérieure, défense, etc…Mais cela, les Européens, encore tout imprégnés des vapeurs opiacées du national-souverainisme, l’ont écarté d’un revers de main et ont cru pertinent de s’en remettre aux USA avec lesquels, et notamment en France, ils entretiennent une très ambigüe relation de haine-amour. Ce à quoi l’on assiste aujourd’hui est une affligeante régression vers l’obscurantisme du passé, la loi du plus violent, du plus cynique. Ce n’est pas la méchanceté innée qui est en cause, mais la veulerie: on ne récolte que ce que l’on sème!

  5. Bonsoir.

    Rien à rajouter, tout est dit dans l’article et vos commentaires.

    Comme le fait brièvement Madame Danielle FOUCAUT DINIS, on a envie de devenir grossier devant autant de bêtise et de cupidité.

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