En 2013, à peine élu, le pape François se révèle, dès sa première apparition, tel qu’il sera durant son pontificat. Parmi ses premiers mots, ce commentaire sur sa propre élection : « Il semble que mes frères cardinaux soient allés me chercher au bout du monde « . Et pour cause…sa famille quitte l’Italie en 1929 et débarque aux portes de la sixième puissance économique de l’époque. L’histoire familiale de François est celle d’une migration au coeur d’une nation « descendue du port ». Elle divorce de celle de notre continent dix ans avant la seconde guerre mondiale, véritable césure du vingtième siècle. Par conséquent, il sera le pape exceptionnel des migrants et des périphéries, très peu le compagnon de route des européens et de leur projet de société. Projet né d’une fracture quasi-ontologique, celle de l’expérience du Nazisme et de la Shoah. Pour le défunt pape, cette tentative de pacifier le continent européen au moyen d’une norme juridique commune qui s’applique à tous, et serve l’émancipation de chacun, semble n’avoir été considéré que sous un angle quasi consumériste. Celle d’un Marché Unique européen prospère, voir « repus », symbole du déclin inexorable des forces de l’esprit et de la foi sur notre vieux continent.
En ce mois de Mai 2025, avant même d’apparaître au Balcon de Saint Pierre, le nouveau Pape Léon XIV s’adresse déjà à l’Europe, avec ce choix d’un nom qui s’ancre au cœur de l’histoire politique et humaine des européens, car indissociable de l’encyclique « Rerum novarum ».
En 1891, le Pape Léon XIII publie cette encyclique sur les « choses nouvelles ». Les répercussions de ce texte vont durablement peser sur la vie politique de notre continent, donnant naissance au courant de la démocratie chrétienne qui fut l’un des piliers du projet européen avec le trio Schuman, Gaspari et Adenauer. Alors que quelques années auparavant, l’encyclique « Libertas Præstantissimum » n’acceptait la démocratie que comme une conséquence imparfaite du libre arbitre, nombre de chrétiens firent leur engagement politique dans le sillage de « Rerum novarum », qui plus qu’une adaptation à la modernité ouvrira au ralliement des catholiques à la démocratie. Un des premiers mouvements les plus emblématiques fut le Sillon de Marc Sangnier, à l’origine un journal militant pour «un christianisme démocratique et social».
En parallèle, l’encyclique de Léon XIII nourrira l’engagement d’un catholicisme social qui irriguera fortement l’histoire de la gauche. C’est la création du mouvement syndical chrétien, ancêtre de la CFTC et de la CFDT. C’est encore la création de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), en Belgique en 1926 par le Père Joseph Cardijn, qui a ouvert la voie à une pastorale en milieu ouvrier, notamment en France, avec le Père Georges Guérin. Parmi tant d’autres, Cécile Duflot, Laurent Berger ou Sophie Binet sont issus de la JOC.
Quant à Jacques Delors, il sera l’un des pilier du mouvement « Vie Nouvelle », organisation de reconquête politique inspirée des principes sociaux de « Rerum novarum » et qui jouera un rôle important dans le profil nouveau que se donnera le PS d’Epinay. A Bruxelles, l’une des innovations apportées par Jacques Delors au projet européen, à savoir la subsidiarité, fait échos à l’encyclique « Quadragesimo anno » promulguée par le pape Pie XI à l’occasion du quarantième anniversaire de « Rerum novarum ».
Par le choix de Léon XIV, le nouveau Pape signifie à tous, y compris aux fidèles du Sud global que l’Eglise se pose aujourd’hui en défenseur de la démocratie qui devient pour elle une condition non négociable de toute émancipation humaine. Retrouvant là le chemin tracé par les pères fondateurs du projet européen. En cohérence avec l’engagement des institutions européennes, le nouveau pape s’est engagé sur la question de la liberté d’expression et de la presse, dès sa première conférence de presse, estimant que « la souffrance de ces journalistes emprisonnés interpelle la conscience des nations et de la communauté internationale, nous appelant tous à protéger le précieux bien de la liberté d’expression et de la presse ».