2016 : Le retour du Tigre celtique en Irlande ?

2016 sera indubitablement une année clé pour l’Irlande. Tout d’abord car le pays entier célèbrera en avril prochain, l’Easter Rising (l’Insurrection de Pâques 1916) qui déclencha de violents affrontements en plein coeur de Dublin entre l’armée britannique et un millier de rebelles irlandais combattant pour l’indépendance. L’épisode est pour les Irlandais l’élément fondateur de leur nation.

2016 a déjà connu de nouvelles élections générales. Le Taoiseach (Premier ministre irlandais) de Centre-droit Enda Kenny a remis en jeu son poste le 27 février dernier et n’a pas réussi à garder la majorité absolue et devra donc gouverner dans un contexte politique difficile.

Kenny avait pourtant martelé qu’une reprise économique forte voyait peu à peu le jour pour son pays. Le retour officiel et tant attendu du Tigre celtique sur les terres irlandaises était donc annoncé après des années d’austérité.

Tigre celtique? L’expression peut surprendre mais elle désigne en réalité la période de forte croissance économique en Irlande entre 1991 et 2005. Pendant presque 20 ans, le pays, vu autrefois comme le parent pauvre de l’Europe, connaît un boom économique considérable du même type qu’ont connu les tigres asiatiques que sont la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, le Viet Nam et les Philippines.

Avec des charges sociales, une sécurité sociale et une fiscalité extrèmement basses, l’Irlande a réussi au fil des années à se forger au sein de l’Europe une attractivité économique indiscutable.

Dès 1994, soit un an après le traité de Maastricht, la croissance irlandaise dépasse les 5%. L’année suivante, elle est de 10% alors que la croissance moyenne des états européens durant la même période avoisinne les 3%. Pour les Etats-Unis, la coopération avec le tigre aux rayures vertes s’impose puisque contrairement aux autres pays européens émergents tels que le Portugal ou l’Espagne, il s’agit d’un pays anglo-saxon où grand nombre d’Américains ont leurs origines. L’aide européenne a également permis à l’Irlande d’adopter une politique fiscale avantageuse pour les entreprises. Pour cette raison, le géant Google y installe en 2004 son principal centre européen. Facebook, Ebay ou Twitter feront de même. L’Irlande devient un paradis fiscal, une Silicon Valley d’Europe en attirant les multinationales frileuses de payer des taxes qui auraient été bien plus élevées ailleurs.

Les infrastructures, les villes sont réaménagées et alors que pendant des siècles, l’Irlande était une terre de départ, elle devient une terre d’accueil pour beaucoup d’immigrés polonais, roumains et baltes. Avec un taux de natalité très bas, le pays se devait de trouver une main d’oeuvre étrangère.

Cette bonne forme économique apporte tout de même de mauvais aspects. Le Tigre a permis certes l’amélioration de la vie des classes moyennes mais a cependant augmenté le paupérisme. Avec l’augmentation du coût de la vie, l’Irlande devint l’un des pays les plus chers d’Europe (20% de plus que la moyenne).

Avec le krach financier des Etats-Unis, l’Irlande subit en 2008 une énorme bulle immobilière et l’Anglo Irish Bank, première banque du pays, doit être nationalisée afin d’éviter la catastrophe.

Crise immobilière, crise bancaire, crise financière et crise fiscale, les coupes budgétaires se multiplient et l’austérité s’installe partout. Le Tigre celtique a quitté le pays tout comme de nombreux jeunes. Plus de 200 000 jeunes âgés entre 17 et 24 ans (1/3 des étudiants et jeunes travailleurs) ont quitté l’Irlande soit l’équivalent de la population de Cork, 2ème plus grande ville de la République.

En 2009, le gouvernement enregistre une perte de 9% du PIB. Jusqu’en 2014, près de 12% d’enfants vivant en Irlande n’avaient pas les moyens de se nourrir quotidiennement, de se chauffer chez eux ou de se vêtir correctement durant l’hiver.

Et pourtant les bons résultats sont revenus: Depuis l’année dernière, le pays enregistre une nette augmentation de sa croissance (taux estimé à 5% en 2016) et une baisse continue du chômage.

Lors du dernier forum de Davos, le Premier ministre Enda Kenny affirmait que la reprise économique de son pays devait servir de modèle pour les autres nations. Bien que prudent, l’économiste Joseph Stiglitz affirme tout de même que l’Irlande est le pays de l’Union Européenne qui, pour l’instant, s’en sort le mieux.

Pour la première fois depuis une décennie, la fonction publique telle que la police recrute à nouveau. Il était temps puisque depuis 2008, la fonction publique a perdu 12% de ses effectifs et une perte de salaire de près de 20%. Beaucoup de jeunes émigrés ayant tenté leur chance au Royaume-Uni ou encore en Australie reviennent au compte-gouttes avec de solides expériences à l’étranger. Le retour n’est cependant pas massif puisque depuis 2014, à peine 12 000 jeunes sont revenus. Anecdocte amusante: beaucoup de jeunes sont retournés en Irlande en mai 2015 juste pour voter le référendum sur le mariage homosexuel, le premier au monde à être accepté par ce type de procédure.

La politique du gouvernement de Dublin pour ramener les émigrés reste à faire. Reste à savoir également si la dynamique économique constatée dans les grandes villes touchera prochainement le milieu rural toujours en difficulté.

Cependant, 2016 peut tout de même être une (nouvelle) mauvaise année. Un possible départ volontaire du Royaume-Uni de l’Union Européenne (Brexit) est en effet considéré par Dublin comme le plus grand problème en matière de politique étrangère.

Antoin E. Murphy, professeur et économiste au Trinity College de Dublin, rappelle l’importance de la coopération économique entre les deux îles anglo-saxonnes. Beaucoup d’Irlandais travaillent au sein ou en lien étroit avec de nombreuses entreprises britanniques. La question d’une nouvelle frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord est également un enjeu problématique. La libre circulation des personnes et des marchandises avaient indiscutablement permis de meilleures relations entre les deux Irlande. La force de l’Union Européenne avait été de détruire des murs. Par conséquent, rétablir de nouvelles bordures serait un acte manqué voire une défaite.

Régime alimentaire du Tigre, l’innovation, le développement durable ou encore le tourisme sont des atouts majeurs de la République irlandaise. Bruxelles doit par conséquent valoriser son état membre en soutenant davantage ses dépenses étatiques. Cependant, le Tigre a ses parts d’ombre et il faudra y remédier tôt ou tard. Il est en effet primordial que l’Irlande change sa politique fiscale trop favorable aux entreprises (Un taux de seulement de 12,5% sur les sociétés). Dublin reste ferme sur le non-remboursement des 19 milliards d’Euros de taxes qu’Apple pourtant lui doit. L’attractivité du pays pour les multinationales semble être la priorité des grands partis. Dommage puisque cela n’handicape pas seulement les Irlandais mais aussi les autres pays voisins. Par de telles méthodes de la part du gouvernement de Dublin, le manque à gagner pour l’Europe est de 160 milliards d’Euros par an (!).

Ce Tigre celtique, félin économique, ne dispose pas du même poids que celui arrivé dans les années 90 mais il incarne une certaine espérance dans le rétablissement de la confiance des capitaux nationaux et étrangers dans une Irlande qui doit dessiner un meilleur avenir avec l’ensemble de ses partenaires européens.

 

brieuc.cudennec

Brieuc Cudennec

 

 

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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10 Commentaires

      • Il y a un équilibre à trouver. Que l’Irlande attire des sociétés avec un taux d’IS plus faible est une chose, qu’elle leur permette de localiser leurs profits mondiaux fictivement sur son sol en est une autre…

        • J’avoue ne pas bien comprendre cette nuance, comme il y a de multiples ficelles pour placer ses profits où l’on veut (manipulation des prix de transfert, royalties, cout de financement, redevance de marque, services immatériels : conseils juridiques et autres), fatalement on les place là où les taux d’IS sont les plus faibles

          • Oui, dans certaines limites. Ces ficelles reposaient sur un consensus d’interprétation des normes internationales qui est remis en cause. L’Irlande a une version très permissive et presque militante de ces interprétations, au point même de refuser de taxer les entreprises (Apple) qui ont localisé leurs profits chez elle.

  1. Avec une population de quatre millon et démi, 200.000 émigrés correspondent à presque 10% de sa population active. Sans doute le retour à la croissance dont se vante le gouvernement sortant n’a pas été créatrice de postes de travail, puisque la reduction du chômage est, avanr tout, dû à l’émigration.

  2. @jacques Roulier
    la population totale de l’Eire est de l’ordre de 4,8 millions,
    dont 3,3 millions > 15 ans
    je ne connais pas la population active, mais les 200000 immigrés représentent effectivement presque 5% de la population totale, et beaucoup plus de la population active.

    Quant à l’égalité, elle demeure un objectif en Europe, le fédéralisme n’étant qu’un moyen, qui ne suppose pas, par ailleurs, l’égalité!
    Les pays fédéraux peuvent conserver aux fédérés des différences notables (Cf USA, Allemagne, Suisse…)

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