Le trou noir européen : la preuve par liste

Après deux ans d’efforts, l’Union européenne se dote enfin d’une liste noire de paradis fiscaux! Autant dire que le secret bancaire, c’est fini. Ou à peu près. Car cette affaire montre en réalité toute la difficulté de la lutte contre les paradis fiscaux.

Au premier regard, rien de très compliqué. Comment peut-on mettre deux années à sortir une bête liste de pays plus ou moins coopératifs? Assurément, la difficulté n’est pas technique. Elle est, disons diplomatique. L’OCDE a vaillamment publié une liste contenant un seul pays, ce qui semble un peu contradictoire avec les divers leaks et papers.

Le problème européen est que cette liste n’est pas adoptée, ni même compilée par la Commission. Elle est négociée entre les Etats membres, qui peuvent avoir des approches très divergentes, et doit être adoptée à l’unanimité. C’est ainsi que cette liste comptait 25 pays vendredi, contre 17 à sa publication hier. Les critères sont relativement simples: il faut refuser d’appliquer les pratiques de transparence et de coopération promues par l’OCDE, et ne pas accepter trop de compagnies offshore.

Attention, voici cette liste: les Samoa, les Samoa américaines, l’île de Guam, Bahreïn, Grenade, la Corée du Sud, Macau, les Iles Marshall, la Mongolie, la Namibie, les Palaos, Sainte-Lucie, Trinité-et-Tobago, la Tunisie, les Emirats arabes unis, le Panama et la Barbade.

Pour en sortir et passer dans la liste « grise », il suffit d’adresser une lettre à l’UE en s’engageant à faire des progrès. Le Maroc est passé d’une liste à l’autre dans le week-end, la Tunisie, les Emirats Arabes Unis et le Panama ont fait savoir que ce serait fait pour la revue de février. Et tous les confettis d’îles du Pacifique touchés par les ouragans sont exemptés, au titre d’aide à la reconstruction en quelque sorte…

Bien entendu, aucun pays européen dans cette liste. C’est la règle du jeu: dans la mesure où le droit européen impose le respect des règles concernées, par définition ils ne peuvent y figurer. Il est même hors de question de contrôler qu’ils respectent effectivement ces règles, c’est une pure question de principe. Peu importe que le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Irlande représentent 10% des bénéfices mondiaux des entreprises multinationales américaines, pour moins de 2% du PIB  mondial.

Le second sujet était la conséquence de cette liste. Là encore, deux groupes d’Etats membres. Pour les perdants de la fraude fiscale (France, Allemagne, Italie…), les Etats listés doivent être sanctionnés d’une manière ou d’une autre. Pour d’autres, le simple fait d’y figurer est en soi une sanction diplomatique suffisante. La liste de ces opposants est en soi une démonstration du problème de fond européen: Royaume-Uni, Luxembourg, Irlande, Pays-Bas, Malte, curieusement rejoints par quelques pays du Nord.

Le commissaire en charge de ce projet, Pierre Moscovici, se désolidarise du résultat dans une note de blog absolument surréaliste, intitulée: « ne lâchons pas le morceau« , qui vaut la peine d’être reproduite en entier:

Les Ministres des finances de l’Union européenne ont adopté ce matin la première liste noire des paradis fiscaux.

Certains critiqueront cette liste, qui ne contient pratiquement aucune des juridictions mentionnées ces derniers mois dans les scandales révélés par les journalistes et les ONG. En effet, seul Panama y figure. Les îles Cayman, Jersey et Guernesey, Singapour ou d’autres juridictions régulièrement citées sont, elles, absentes.

Dès lors se pose la question de la crédibilité de cet exercice.

Je ne vais pas ici justifier les choix faits par les Ministres des finances ce matin. Ils ont pris leurs responsabilités: cette liste est la leur. Il leur revient de répondre de cette liste, devant les citoyens, la représentation européenne et la société civile.

Cette première liste est bien sûr insuffisante pour répondre au problème global des paradis fiscaux. 

Mais elle a le grand mérite d’exister. Et après deux ans de bataille personnelle, je ne vais pas médire sur le travail accompli. Il est substantiel. Cette liste est un pas en avant, elle peut servir de première marche vers un résultat plus ambitieux. Si des suspects évidents ne sont pas sur cette liste, c’est parce qu’ils ont formellement pris des engagements à modifier leur législation, dans un calendrier précis. Ces 47 pays sont sur une « liste grise » – sous surveillance – qui est tout aussi importante que la liste noire elle-même.

Rendez-vous est donc pris. J’attends des Etats membres qu’ils soient implacables dans le suivi:

A très court terme, j’appelle avec la Commission les États membres à mettre en place des mesures fortes et dissuasives contre les juridictions de la liste noire, en complément des mesures défensives au niveau européen.
Dans trois mois, il faudra examiner la situation des pays touchés par les ouragans, exclus du listing aujourd’hui.
Dans six mois, il faudra réexaminer l’ensemble des engagements et s’assurer qu’ils sont tenus.
Dans un an il faudra revoir la liste, en faisant sortir ceux qui ont tenus leurs engagements et en y ajoutant ceux qui n’ont pas tenu parole.
Croyez le, je serai, comme je le suis depuis 3 ans, extrêmement ferme et vigilant dans ce combat contre les paradis fiscaux. La partie ne fait que commencer. Il est hors de question de lâcher le morceau. Vous pouvez compter sur moi!

L’unanimité en matière fiscale ne peut pas déboucher sur une réforme réelle, et le simple exercice de dresser une liste inoffensive le révèle avec éclat. Il faut donc employer d’autres voies et multiplier les angles d’approche, par une mise sous pression permanente. C’est cette idée que nous mettons en avant en lançant la campagne #ParadiseGuerilla. Nous avons besoin de vous!

 

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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2 Commentaires

  1. Excellent article. Il resterait à expliquer pourquoi la Commission ne dresse pas sa propre liste sous sa seule autorité et responsabilité. Il ne semble pas y avoir d’obstacle juridique ni technique. Se distancer de la liste établie par le Conseil est un acte courageux mais insuffisant. Encore un effort M.Moscovici.

  2. Très bon article en effet.

    On ajoutera simplement que, parmi les éléments à prendre en compte, quelques uns des Etats figurant sur la liste noire font partie du groupe des Etats dits « ACP » (Afrique, Caraïbes, Pacifique), liés très spécifiquement à l’UE par l’accord de partenariat de Cotonou – à savoir: les Samoa, Grenade, les Iles Marshall, la Namibie, Sainte-Lucie, Trinité-et-Tobago, la Barbade.

    Or, cet accord, conclu en 2000 et révisé en 2005 et en 2010, a été prévu pour une durée globale de 20 ans, ce qui signifie une échéance à l’horizon de 2020. Outre quelques pistes déjà esquissées par les parties prenantes, les premières approches de la négociation proprement dite devraient débuter en 2018. Une opportunité pour « presser » les Etats incriminés à revoir leurs pratiques ? Sans doute… mais, parité bien ordonnée commençant par soi-même, il appartient aussi à l’UE de se montrer elle-même plus exemplaire.

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