La patate chaude ACTA entre les mains du Parlement Européen

VALERY HACHE AFP.COM

Anti Counter… Quoi?

L’Anti Counterfeiting Trade Agreement, ou ACTA, est un traité qui a fait beaucoup de bruit en 2011 et 2012, et nombreux sont ceux qui le critiquent comme étant un accord liberticide qui met en danger tant l’accès à la connaissance que le développement des nouvelles technologies. Sa rédaction tenue secrète depuis 2006 n’a rien fait pour contredire cette opinion. Il faudra attendre début 2011 pour qu’il soit enfin révélé après que le Canada ait menacé de se retirer des négociations. Sont signataires de l’ACTA 22 pays de l’Union Européenne ainsi que l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, Singapour, la Suisse, les Etats Unis, le Japon, la Corée, le Mexique et le Maroc.

Si beaucoup d’articles ont pour propos l’ACTA, peu abordent le fond de ce traité. L’ACTA n’est pas un traité augmentant les niveaux de protection des droits de propriété intellectuelle, ou encore créant de nouveaux délits. C’est un traité qui doit être compris comme complétant le traité ADPIC. Ce dernier est une annexe du traité instituant l’Organisation Mondiale du Commerce qui oblige les pays signataires à protéger les droits de propriété intellectuelle. C’est donc dans le traité ADPIC (reprenant les principes de la convention de Berne de 1886) que vont être interdits un certain nombre d’actes tels que l’échange de fichiers via Internet. L’ACTA ne fait que préciser les mesures qui doivent être mises en place par les Etats afin que cette interdiction soit efficace.

L’ACTA prend comme modèle ce qui se fait dans les pays qui ont les niveaux de protection les plus élevés, tels que la France, les Etats Unis ou encore le Japon. Aussi son contenu ne changera en rien la législation de ces pays. Le fait par exemple de pouvoir obtenir auprès des fournisseurs d’accès à Internet le nom d’un internaute qui est soupçonné d’avoir commis une contrefaçon est déjà prévu dans le droit français (Article L 331-1-2 du Code de la Propriété Intellectuelle).Il en est de même pour toutes les autres procédures qui y sont décrites, elles existent déjà en droit français depuis de nombreuses années. L’objectif des signataires est bien plus d’imposer ce traité au détour de négociations commerciales à des pays connus pour être exportateurs de contrefaçon, que de durcir leurs propres lois qui sont déjà les plus dures au monde. De plus ce traité n’a de valeur qu’en ce qu’il renforce l’application des précédents, Sans ADPIC, l’ACTA n’a plus lieu d’être.

L’aspect extraordinaire de ce traité ne réside finalement pas dans son contenu mais dans la manière dont sa négociation s’est déroulée. Le secret, loin de protéger ce traité, va peut-être causer sa perte.

Un Parlement Européen sceptique voir hostile.

Si le Canada s’est ému de l’atteinte portée à nos principes fondamentaux par une négociation secrète, il n’est pas le seul. Le Parlement Européen a, par une résolution votée le 10 mars 2010, demandé que soit levé le secret autour de ces tractations étatiques. Pour cela, le Parlement invite la Commission à «rendre accessibles au public tous les documents relatifs aux négociations internationales en cours sur l’accord commercial anti-contrefaçon» » (considérant B).Les raisons de cette « invitation » étaient notamment que certains articles contiennent des dispositions relevant du droit pénal et qu’il est nécessaire qu’il ne soit pas porté atteinte de manière disproportionnée à des principes tels que la protection de la vie privée et la libre circulation de l’information (considérants F et I).

Le traité a fait l’objet de travaux en commission au sein du Parlement Européen, préalablement au vote qui devrait avoir lieu dans le courant du mois de juin. La commission libertés publiques, justice et affaires intérieures (dont le pertinent acronyme est LIBE), a émis dans son rapport du 31 mai 2012 un avis plus que mitigé. Le rédacteur y regrette notamment le manque de transparence des négociations et l’absence de débat préalable. Il ajoute que les libertés fondamentales, si elles sont citées, ne sont pas assez prises en compte ni assez préservées. Plus surprenant, la très conservatrice commission juridique, a elle aussi voté contre le traité ACTA le même jour.

Ces votes contre en commission sont d’autant plus étonnants que le Parlement Européen n’a jamais suivi une ligne particulièrement originale sur le thème de la propriété intellectuelle. Par exemple, l’adoption du rapport de la députée UMP Marielle Gallo le 3 juin 2010 démontre que le Parlement Européen est sur la même ligne que la Commission Européenne et que la majorité des gouvernants européens en ce qui concerne la protection de la propriété intellectuelle. Aussi le rejet par le Parlement Européen de ce texte aurait semblé, il y a peu, une option hautement improbable. Mais au travers des commissions, celui-ci a montré qu’il est sceptique, voir hostile, à ce texte et aujourd’hui le résultat du vote prochain est incertain.

En parallèle, la Commission Européenne a demandé à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) de rendre un avis sur la compatibilité entre l’ACTA et le droit européen. Pour cela la Cour devra vérifier la compatibilité non seulement avec la Charte Européenne des droits de l’homme, mais aussi avec les principes constitutionnels des pays membres de l’UE. Il est peu probable que la Cour prononce la non-compatibilité des deux corps de règles.

Une mobilisation européenne et efficace

Pour quelles raisons un Parlement Européen qui a plutôt tendance à soutenir les politiques européennes de lutte contre la contrefaçon, notamment sur Internet, se montre aussi frileux face à un texte qui n’a pourtant rien de révolutionnaire ?

En effet, si le groupe écologiste s’est violemment opposé à l’ACTA depuis le début, il n’en est pas de même pour tous les autres groupes parlementaires. Le groupe des sociaux-démocrates a, lui, le cul entre deux chaises pour parler vulgairement. En effet s’il rejette le traité, il souhaite qu’un nouveau soit renégocié et doit proposer sous peu un texte de remplacement. Le groupe de centre droit des libéraux et démocrates européens a peu ou prou les mêmes positions mais a attendu fin avril pour se prononcer contre. Finalement seule la droite du Parlement Européen soutient encore l’ACTA, cependant elle le fait bien tièdement.

Quelle est la raison de ce rejet ? Certainement plus la mobilisation à l’échelle européenne des citoyens que le fond même du texte. Sans ce mouvement qui s’étend sur plusieurs mois maintenant, ce traité aurait certainement été ratifié sans trop de questions. Mais voilà, la population européenne, les cyber-activistes en tête, critique et rejette violemment ce texte et, depuis lors, la ratification de l’ACTA par les pays signataires se révèle chaotique et ses chances d’aboutir s’amenuisent de plus en plus. Déjà, face aux manifestations populaires, plusieurs pays d’Europe de l’Est ont décidé de suspendre la ratification à la décision du Parlement Européen.

Plusieurs raisons ayant poussé les citoyens à s’opposer à ce traité peuvent être avancées. Tout d’abord le caractère secret des négociations faisait craindre le pire aux activistes anti propriété intellectuelle. En effet ce texte était discuté secrètement depuis 2006, et c’est seulement en 2008 qu’une correspondance diplomatique diffusée par Wikileaks en a révélé l’existence. Il est difficile de connaître l’effet de la fuite sur le contenu du traité, mais certains avancent que la modération des mesures prévues en est le résultat. Ensuite, tous les précédents traités ayant été signés et ratifiés avant le développement d’Internet, le débat sur la place de la propriété intellectuelle dans la société de l’information n’a pu avoir lieu. Ce traité permet de combler ce manque et de ce fait il attire toutes les critiques. Il faut aussi souligner l’ignorance d’un grand nombre d’acteurs du débat. Ainsi, nombreux sont ceux qui confondent ce qui était prévu par les deux lois PIPA et SOPA (hautement liberticides) et le contenu de l’ACTA.

Mais de manière générale l’objectif de ces mouvements était de dénoncer un renforcement de la propriété intellectuelle à travers le monde, renforcement perçu comme limitant un peu plus l’accès aux connaissances et mettant en danger la liberté d’expression.

La mobilisation a eu de l’effet sur les parlementaires européens de tout bord, que ce soit en renforçant les positions des écologistes, ou en faisant reculer les autres. Les libéraux font clairement mention des mouvements citoyens pour expliquer leur décision de voter contre le traité.

Il ne reste qu’à attendre le vote du Parlement Européen. Si celui-ci vote contre, c’en sera alors fini de l’ACTA car toutes les ratifications en suspens ne reprendront pas et le traité restera lettre morte. Si au contraire le Parlement Européen vote pour cette ratification, elle sera alors difficile à empêcher. Autant dire que le vote à venir est capital pour l’avenir du traité ACTA mais surtout pour le débat sur la place de la propriété intellectuelle dans nos sociétés européennes.

Léo Fradet

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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