La Crise ukrainienne : Catalyseur ou Détonateur ?

 

L’accélération des événements dramatiques en Ukraine ne permet plus à l’Union Européenne d’ignorer ses propres divergences internes dans les domaines de la sécurité et des affaires étrangères. Il faut même souhaiter que ces questions prennent une place centrale dans le débat politique à la veille des prochaines élections européennes qui, par un heureux hasard de calendrier, se dérouleront le même jour que les élections présidentielles anticipées en Ukraine.

Les débats concernant les questions socio-économiques (austérité – relance – chômage, immigration, etc.) ou institutionnelles (réformes structurelles – union bancaire – modifications des traités, etc.) s’enlisent dans des considérations juridico-technocratiques qui participent au désenchantement du rêve européen et exacerbent chaque jour davantage le clivage entre europhiles et euro sceptiques. Ainsi l’enjeu du scrutin est perçu, à l’aune des arguments simplistes des mouvements nationaux-populistes, comme un référendum « pour ou contre l’Union » dont l’électeur est loin de comprendre la portée.

La crise ukrainienne et son risque de dégénérer en conflit politique et/ou économique et/ou militaire offre une occasion unique de mobiliser l’opinion publique en faveur d’un renforcement significatif de l’Union. Elle prouve la nécessité absolue de créer une capacité de défense militaire commune en appui à une politique étrangère au service des intérêts vitaux de l’ensemble de ses citoyens. Cette approche est de nature à faire sauter les verrous qui s’opposent à la création d’une Union Européenne de caractère « fédérale » et permettre l’achèvement du processus d’intégration économique de l’UEM.

En effet, face à la Russie, capable de prendre indépendamment toutes les initiatives qu’elle juge dans son intérêt (y compris imposer d’éventuelles privations à sa population), seule l’Union parlant d’une seule voix peut espérer contribuer au maintien du droit international en organisant un rapport de forces cohérent susceptible d’inspirer le respect et, le cas échéant, d’infliger des sanctions crédibles.

Si, de toute évidence, le temps requis pour faire aboutir institutionnellement une telle approche est incompatible avec la gestion immédiate de la question ukrainienne, trois mesures de nature très différentes mais complémentaires contribueraient à créer le choc nécessaire.

La première mesure concerne la mobilisation d’un montant de l’ordre d’USD 35 à 50 milliards.

La responsabilité en incombe à l’ensemble de la communauté internationale, en ce compris les organisations multilatérales comme le FMI, la BERD, la BEI et les pays Membres de l’UE, les Etats-Unis et tout pays concerné dont, au premier chef, la Russie. Des consultations à cet effet sont déjà en cours.

L’objectif est d’organiser le sauvetage financier de l’Ukraine en lui procurant un support pour son économie, de pallier aux souffrances insupportables auxquelles sa population serait confrontée en cas de faillite et de prévenir les conséquences géopolitiques imprévisibles – y compris au sein de l’UE – du chaos qui s’ensuivrait.

La mise à disposition progressive de cette aide doit évidemment être conditionnée par des réformes qui incluent la tenue d’élections libres, la garantie de la démocratie, la lutte contre la corruption, l’instauration de réformes structurelles, le respect du droit des minorités, etc.

La gravité de la situation doit faire sauter les objections soulevées concernant la difficulté de mobiliser une telle somme. Pour mettre les choses en perspective cela représente moins de la moitié des « amendes » que les actionnaires du seul secteur bancaire seront amenés à débourser dans le cadre des manipulations frauduleuses qui lui sont reprochés (dont plus de $23 milliards pour la seule Banque Morgan-Chase). Ce n’est également qu’une petite fraction des montants alloués au sauvetage des banques dans la foulée de la crise financière de 2008 ou des Etats de l’Eurozone à la suite de celle de la dette souveraine à partir de 2010.

La deuxième mesure suggère de supprimer l’interdiction d’exportation de gaz par les Etats-Unis.

Le Secrétaire d’Etat Kerry a déjà indiqué que son pays était prêt à soutenir l’Ukraine et à œuvrer pour réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. Ce faisant, la capacité de chantage de la Russie, tant envers l’Ukraine que le reste de l’Europe disparaîtrait et, en touchant la Russie au portefeuille, réduirait ses visées impérialistes. Cette décision réduirait le coût de l’énergie pour l’industrie européenne, favorisant une relance économique encore anémique ; elle contribuerait à rééquilibrer la balance des paiements américaine et à assurer, en conséquence, une plus grande stabilité du système financier mondial.

La troisième mesure recommande le rétablissement du service militaire/civil (hommes/femmes) obligatoire dans tous les Pays Membres de l’Union.

Cette mesure, de prime abord politiquement incorrecte, mérite d’être envisagée sous plusieurs angles complémentaires parmi lesquelles :

– Une contribution significative à la résolution du problème du chômage des jeunes qui a atteint des niveaux inacceptables et dont le coût explose. Elle doit intégrer un volet important de formation destiné à améliorer l’employabilité à la sortie du service.
– Une amorce de la prise en charge de la défense de l’Union par ses Membres au lieu d’une dépendance exclusive et de plus en plus aléatoire vis-à-vis des Etats-Unis. Cela donnerait un signal fort à la communauté internationale que l’Union est prête à assurer sa propre sécurité et à se faire respecter.
– Une mesure qui pourrait contribuer à gérer le problème sensible de l’immigration officielle et clandestine, en faisant du service une condition préalable à l’accès au marché du travail et à l’éligibilité des prestations sociales.

Ce projet ne peut se réaliser qu’au niveau de l’Union en réactualisant dans l’esprit de ses citoyens la pertinence de l’objectif de maintien de la paix qui a présidé à sa création. La « fédéralisation » de la défense – gage de sa crédibilité – implique celle de la politique étrangère. Le transfert de souveraineté à l’Europe dans ces deux domaines clefs servirait de socle à une intégration économique et financière plus poussée, à la stabilisation de l’Euro et à la relance de l’économie.

En conclusion, il serait aisé de développer des arguments démontrant l’utopie de ces propositions et de différer, une fois encore au nom du pragmatisme, toute décision.

La crise ukrainienne – y compris les peurs qu’elle engendre – constitue un test, grandeur nature, de la capacité de l’Union de ré-enchanter le rêve européen; elle pourrait incarner le catalyseur indispensable à la prise de décisions difficiles et pour lesquelles la volonté politique fait si visiblement défaut.

Mettre cette problématique au cœur du débat entourant les élections européennes constitue une occasion à ne pas manquer. Si, par contre, l’Union ne se montre pas à la hauteur du défi qui met si clairement sa sécurité, son économie et le maintien de son modèle social en péril, alors la crise ukrainienne pourrait s’avérer, comme celle des subprimes en 2007, le détonateur de la prochaine crise. Cela confirmerait l’impuissance de l’Union de prendre en main sa propre destinée.

 

Paul N. Goldschmidt
Directeur, Commission Européenne (e.r.) ; Membre du Comité d’Orientation de l’Institut Thomas More.

 

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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10 Commentaires

  1. En effet, l’Europe se trouve confrontée à un exemple frappant de manque de cohésion fédérale avec le « dossier » Ukrainien… ne serait-ce que pour solutionner l’approvisionnement du gaz… lequel ne doit plus être de l’apanage du national,et doit être traité au meilleur prix comme pourrait le faire une Europe fédérale débarrassée du boulet nationaliste.

  2. l’europe n’est pas capable d’assurer une vie digne à ces citoyens,les grecs et espagnols se font fracasser la gueule par la police tous les jours,sans qu’on en parle… et si on veut mettre l’ukraine à sac c’est surtout pour la mettre dans le sac (allemand,avant tout) pour encore augmenter les exportations allemandes et sa domination l’allemagne se sert des alliances avec des facistes deja alliés sous adolf pour dominer l’ukraine et vous voulez un service militaire pour renforcer la domination allemande sur fond de facistme et purification ethnique? Ne parlez pas des droits de l’homme vous les avez noyé à Lampedusa et continuez à le faire. Ce que vous fait chier le plus,ce que la Russie exploite elle-meme ses ressources et garde le fric,au lieu de se faire piller par nos compagnies petroliers les depenses de l’europe pour la repression explosent, la commission europeenne bafoue la democratie,le parlement n’a rien a dire… alors faisons le menage chez nous avant de donner des lecons et mettre dans le meme sac les autres…

  3. Si on ne peut que partager les termes contenus dans les 3 premiers paragraphes de cet article intéressant, lorsque l’on s’intéresse de près à ces sujets et que l’on est encore habité par le rêve européen (ce qui peut paraître relever du miracle au regard des erreurs et fautes commises par les institutions au cours des dernières années !), il est difficile d’embrasser spontanément les développements qui suivent, tellement ils sont à la fois marqués au seau d’un Russian Bashing simpliste que l’on connaît surtout dans les milieux anglosaxons et irréalistes quant aux mesures proposées qui relèvent de la fantaisie la plus naîve !
    Quant au dernier paragraphe, là encore, ne confondons pas les causes et les effets !
    S’il y a un domaine qui met en péril ce qui est évoqué, c’est bien la politique commerciale extérieure et l’absence d’autonomie stratégique de l’Union, comme en témoignent les réactions argumentées à l’égard des risques que présente une négociation mal conduite du TTIP !

  4. Globalement d’accord avec ce texte, il faut revenir aux fondamentaux, sauf en ce qui concerne le service militaire.

    D’une part parce que les armées de métier sont plus efficaces que les armées de conscription, d’autre part parce que vous chercher par là à résoudre des questions qui sont d’une autre nature que la défense européenne.

    Pour utiliser le thème de la paix sur le continent européen lors de la prochaine campagne des européennes, il vaux mieux essayer de rester simple et compréhensible.

  5. j’ai un doute, on prête à la Grèce qui est membre de l’union, la maintenant ainsi la tête sous l’eau mais on donnerait à l’Ukraine 35 à 50 milliards ?

    Il y a là un point qui m’irrite j’aurais plutôt inversé la logique non du fait de la solidarité entre membre de l’Union mais envers un non membre, là je ne comprends pas ou alors serait-ce que l’Union Européenne a fait des promesses qu’elle ne pouvait pas se permettre et s’est trouvé dépassé par les évènements ? provoquant la situation conflictuelle avec la Russie ?

  6. L’Europe s’est toujours construite dans et par les crises. On peut penser que cette soudaine cristallisation sur paix/guerre est de nature à rappeler aux Européens l’urgence de leur union et à faire avancer l’intégration. Le paradoxe est que Poutine soit le meilleur facteur d’un vote important aux élection européenne.
    Patrice Obert, auteur de « un projet pour l’Europe » Harmattan 2013

  7. Quelque chose me chiffonne. Comment peut-on accepter juridiquement et en tant que processus démocratique un référendum sur l’indépendance de l’Ecosse et rejeter un même référendum sur l’indépendance de la Crimée ? Il nous faut un minimum de cohérence.

    Un ami diplomate qui connaît bien la Russie et les républiques musulmanes de l’ex-URSS me disait récemment: « L’Europe et les Etats-Unis font là un énorme cadeau à Poutine: tous les Russes se rangent derrière lui, opposition comprise; il ne pouvait pas rêver mieux! »

    • Un référendum en urgence dans une province occupée par l’armée russe, où ni les observateurs de l’OCDE ni ceux de l’ONU n’ont accès, c’est un peu compliqué.

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