Dialogue franco-allemand : propositions pour retourner au charbon

Afin de relancer le dialogue franco-allemand, Sauvons l’Europe s’attache à détailler quelques propositions concrètes qui répondent à une règle d’Or d’efficacité : elles correspondent à des intérêts convergents entre la France et l’Allemagne, s’insèrent dans leurs lignes rouges respectives et peuvent conduire à une dynamique d’entraînement vers le reste de l’Europe.

Au menu : protéger les démocraties européennes face aux utilisations dévoyées du Big Data, reprendre la main en matière fiscale, créer une assurance-chômage franco-allemande, établir un modèle de consensus pour la gouvernance des entreprises , coordonner les positions au G20, préparer un règlement Barroso sur les conflits d’intérêts, remettre sur pied l’administration de la Commission européenne et résister au déclassement digital.

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Le dialogue franco-allemand est le mystère sacré de l’Europe. Qu’il manque, que le feu spirituel cesse d’être entretenu au fond des temples et c’est toute la construction européenne qui cherche son souffle. Qu’il apparaisse trop au grand jour et c’est bien vite le soupçon d’un directoire auquel les autres pays et institutions n’auraient plus qu’à se plier. Dans une Europe à 28, nous proposons ici un leadership franco-allemand par l’initiative, qui ne repose pas sur la préparation commune de décisions étendues à tous, mais sur la puissance d’entraînement d’actions positives.

Après de nombreuses années d’échanges difficiles, la France et l’Allemagne donnent enfin le signal d’une volonté renouvelée de travail commun. L’approche française évolue vers la recherche d’un accord sur une intégration française dans les normes du marché européen (politiques budgétaires et structurelles) contre un acquiescement allemand à certaines propositions tricolores. Outre-Rhin, cette offre a été accueillie avec sympathie, mais il nous est indiqué que des propositions plus concrètes sont attendues.

Par expérience, le couple franco-allemand ne fonctionne efficacement que lorsqu’il a pu s’emparer de problématiques concrètes à faire progresser. Si le pain et le vin sont aujourd’hui sur la table, Sauvons l’Europe apporte ici un sac de charbon pour entretenir le feu.

Ces propositions ne recherchent pas un point d’équilibre entre les visions françaises et allemandes de ce que doit devenir dans les prochaines années la construction européenne. Il s’agit d’éléments pragmatiques pour relancer la machine, qui reposent sur trois règles d’Or:

  • Ces propositions correspondent à un intérêt convergent entre la France et l’Allemagne. Elles ne recherchent pas un juste milieu acceptable sur des sujets de divergence.
  • Ces propositions s’insèrent dans les lignes rouges respectives des deux pays. Elles ne cherchent pas à repousser la frontière du consentement de l’un d’entre eux.
  • Ces propositions peuvent être étendues à terme au reste de l’Europe. Elles ne sont pas faites dans une optique provinciale mais répondent à une logique d’entraînement.

1. Démocratie : Faire face au danger de la post-vérité

Les institutions démocratiques nationales sont sous pression. Le mécontentement des citoyens s’exprime dix ans après la grande crise de 2008, et dans cette colère des mouvements dangereux trouvent une audience.

A de tels instants, il est d’autant plus important de faire face aux nouvelles menaces extérieures qui mettent en danger le fonctionnement de nos démocraties.

Il est désormais acquis que la Russie cherche à manipuler les processus démocratiques occidentaux par la mise en place de propagande de nouvelle génération, en production de « fake news » et en diffusion massive via les réseaux sociaux. Russian Today France dispose ainsi d’un budget de 18 M € en 2017. Après l’exemple que nul ne peut ignorer de la campagne américaine, les élections présidentielles françaises ont fait l’objet de tentatives de manipulation et l’Allemagne doit sans doute se préparer au même danger.

Le Brexit ouvre également une ère nouvelle de manipulation du suffrage. La campagne officielle des pro-Brexit a reposé principalement sur la plateforme d’une société de communication privée possédée par un géant du net américain et très liée aux conservateurs américains. Elle a vu mettre en œuvre à grande échelle la diffusion ciblée de messages poussant les Remainers à l’abstention, grâce à la collecte d’informations personnelles sur les réseaux sociaux et tout indique dans l’analyse des taux d’abstention que cette campagne a été efficace. Ce phénomène ne pourra aller que s’accroissant et s’ouvrant à de nouveaux acteurs internationaux, et met en péril les processus démocratiques en Europe.

La démagogie, le mensonge et la rumeur ont toujours existé, mais l’entrée dans l’ère de la post-vérité tient à un changement technologique majeur: le Big Data, permettant de cibler individuellement des électeurs avec les messages les plus susceptibles de jouer sur leurs affects.

Ceci appelle une réaction forte de nos gouvernements et des institutions européennes pour renforcer la protection de notre démocratie, en régulant l’usage du Big Data dans le champ électoral et politique. La question n’est pas neuve: les Etats ont du trouver des équilibres avec le pouvoir des intérêts privés dans la presse, la radio puis la télévision. De nouveaux moyens technologiques de diffusion posent de nouvelles questions, auxquelles nous devons à leur tour réagir. Les réglementations européennes en cours d’élaboration sur la protection de la vie privée sont un premier pas, mais n’arrêteront pas des acteurs déterminés et irrespectueux de la légalité.

Il est urgent d’amorcer un virage vers la privacy by design qui empêche la constitution de bases de données individualisées sur les opinions politiques et philosophiques des citoyens, en commençant par un financement de la recherche sur les techniques permettant une telle évolution. Compte tenu des sommes raisonnables en jeu pour poser et quantifier le problème, la France et l’Allemagne pourraient aisément prendre l’initiative conjointe de ce fonds et donner l’impulsion de la seconde génération de politiques de protection de la vie privée et démocratique.

2. Fiscalité : reprendre la main

Face à l’ampleur prise par les politiques d’évitement fiscal par les entreprises transnationales (et nationales), un processus d’évolution des normes fiscales internationales est en cours à l’OCDE et en Europe. Toutefois les potentialités directement normatives sont limitées: l’OCDE produit principalement une interprétation commune de ses traités bilatéraux types, qui par nature sont lents à réformer puisqu’il faut renégocier un ensemble de traités entre pays. De même, l’Union Européenne décide à l’unanimité en matière fiscale et compte plusieurs paradis fiscaux en son sein. Entre normes fiscales internationales et règles gouvernant le marché commun, l’essentiel du progrès à court terme repose donc sur l’évolution de l’interprétation du droit applicable, matérialisée par une jurisprudence cohérente des différentes cours concernées. La Commission contribue à redéfinir cette interprétation à travers ses propositions normatives et sa pratique décisionnelle en aides d’Etat.

Mais la France et l’Allemagne pourraient grandement contribuer à une nouvelle doctrine interprétative unifiée et favorable en prenant des positions communes et cohérentes avec la Commission sur des entreprises particulières. Pour ce faire, nous proposons une coordination fiscale franco-allemande sur des cas importants. Le but de cette coordination serait d’enquêter de concert sur la domiciliation fiscale de l’activité économiques de certaines entreprises, et de produire un diagnostic conjoint sur les profits attribuables au territoire de chaque pays. Dans l’affaire Apple, la Commission a spécifiquement invité les Etats-membres à procéder à cette analyse, qui est la clé interprétative des normes fiscales en gestation. Par la suite, la France et l’Allemagne pourraient prendre indépendamment les décisions fiscales qui s’imposent, compte tenu de leurs législations nationales sur les déductions admissibles, les règles de prescription et tout autre paramètre.

Ce noyau franco-allemand serait d’autant plus efficace et influent qu’il serait rejoint par d’autre pays ayant les mêmes intérêts et produirait ainsi, cas après cas et pays après pays, une pratique décisionnelle convergente avec la Commission et la volonté affichée à l’OCDE.

3. Social : Une assurance-chômage franco-allemande

De nombreux Etats refusent que soient mises en place sous couvert de solidarité des politiques de transferts structurels importants entre pays, sans contrôle des choix structurels des pays récipiendaires et donc sans confrontation avec leur indépendance démocratique. L’expérience allemande des transferts entre Etats fédérés à l’issue de la réunification nourrit ces craintes.

Nous proposons donc un mécanisme d’assurance-chômage qui soit strictement conjoncturel et dont la construction même interdise qu’il produise des transferts structurels durables.

Le but est de fournir automatiquement une aide aux pays touchés par un choc conjoncturel asymétrique, qui amortisse la violence de ce choc et leur permette de prendre des mesures de retour à la normale sans devoir dans l’urgence conduire une politique procyclique.

Le mécanisme proposé repose sur un fonds d’assurance-chômage entre Etats volontaires, décaissé automatiquement à l’assurance-chômage des pays participants dès lors que certains seuils de variation du taux de chômage sont dépassés. Dans ce cadre limité, ce qui fait l’objet d’une assurance n’est donc pas un niveau absolu de chômage qui dépend largement des choix démocratiques nationaux relatifs à la structuration du marché du travail. Ce fonds vise exclusivement la survenance d’une augmentation du chômage liée à la survenance d’un changement de conditions économiques. Au bout d’une durée de six mois, le financement par le fonds s’estompe et il s’interrompt au bout d’un an.

La solidarité entre pays participants est ainsi automatique au départ d’une crise économique, mais ne préjuge pas des choix de soutien ou non par ces derniers des politiques à moyen terme. Le fonds est ensuite reconstitué par les cotisations des membres, les pays bénéficiaires remboursant à moyen terme la majeure partie de l’aide reçue.

Un tel mécanisme de solidarité, qui n’entraîne pas de transferts permanents, peut être mis en œuvre de manière volontaire par un groupe d’Etat membres emmenés par le couple franco-allemand. Il permettrait de donner un visage à la promesse de solidarité entre européens et à la vocation européenne de défense de notre modèle social.

4. Gouvernance des entreprises : Pour un modèle franco-allemand de participation des salariés

Les cultures nationales sur la place des salariés dans la gouvernance des entreprises sont très variées. Malgré des évolutions récentes et encore restreintes, la France continue dans les faits à résister à leur présence au conseil d’administration, contrairement à la majorité des pays européens. Inversement, une réflexion est en cours dans les cercles syndicaux allemands sur les vertus du modèle de comité d’entreprise français.

Le droit européen permet de longue date dans les entreprises transnationales de créer des comités d’entreprise européen. Au-delà de ces possibilités, l’évolution des entreprises vers une prise en compte apaisée des besoins et opinions des salariés peut passer par différentes voies. Nous suggérons la création d’une commission de consensus franco-allemande sur la place des salariés dans la gouvernance des entreprises. En termes de signal adressé à ces dernières, un tel travail s’il était mené de manière large et inclusive serait de nature à faire évoluer les représentations des différents acteurs concernés et pourrait être pour les deux pays un élément nourrissant l’évolution du dialogue social.

5. Diplomatie : Coordonner l’action commune au G20

La recherche d’un siège commun européen dans les instances internationales est une antienne de la constitution d’une Europe puissance. Mais les modalités de coopération internationales dépendent absolument du cadre retenu. Si l’OMC notamment, se prêtait presque naturellement à un siège commun européen, l’ONU au contraire demeure marquée de manière prédominante par les questions militaires.

Nous proposons ici un secrétariat permanent franco-allemand pour le G8 et le G20. Ceci, qui répond bien entendu pour partie à une pratique préexistante de la part de ces deux pays, permettrait de multiplier les occasions de positions communes dans ces instances entre la France et l’Allemagne sans ignorer la possibilité de désaccords, et pourrait en outre s’élargir aux autres pays européens représentés.

6. Ethique : Pour un règlement Barroso

Les citoyens réclament aujourd’hui de pouvoir faire confiance en l’éthique et l’honnêteté des institutions qui les gouvernement. Cette volonté a été un des fils rouges de l’élection présidentielle passée, et conduit aujourd’hui l’action du Gouvernement. Elle s’applique plus encore au niveau européen qui, plus lointain, moins directement représentatif, est regardé avec plus de méfiance par les électeurs. A ce titre, le choix de M. Barroso de rejoindre la banque Goldman Sachs porte en germe une importante crise de confiance.

Sauvons l’Europe a été à l’initiative de la proposition de déclaration écrite du Parlement européen sur les problématiques soulevées par ce cas.

Nous proposons que le couple franco-allemand demande à la Commission un règlement Barroso. Il nous semble que la piste régulièrement invoquée d’une augmentation des durées obligatoires d’inactivité fait fausse route. Potentiellement trop longues dans la plupart des cas, elles risquent de se révéler insuffisantes dans les cas réellement problématiques.

Deux axes peuvent guider une évolution: le premier est la recherche d’une application effective de règles aujourd’hui déjà fournies, mais largement contournées. L’absence totale d’enquête de la Commission dans le cas Barroso, dont l’évaluation ne s’est reposée que sur les déclarations de M Barroso, est à cet égard pour le moins étonnante mais constitue dans les faits une norme. Le second est d’enrichir l’analyse des situations, non plus seulement au regard de la personne recrutée mais également de la politique de recrutement des entreprises concernées. Peut-on porter le même regard sur un seul recrutement et sur cinq recrutements successifs et convergents par la même entreprise?

Nous proposons que le couple franco-allemand demande une audition de l’Ombudsman européen par le Conseil sur le cas Barroso. Il convient également de fournir des conditions honorables et attractives de sortie de leur mandat à certains responsables politiques de haut niveau. Afin d’installer un cursus honorum, nous proposons également que la France et l’Allemagne prennent l’initiative d’un fonds démocratique aidant les anciens membres de la Commission et leur Président à créer leur propre fondation.

7. Commission : Réformer l’outil de l’administration européenne

La relance de l’Europe ne peut faire l’impasse d’une réforme structurelle et rapide de l’outil Commission européenne sans laquelle aucun succès de long terme n’est possible au niveau européen. Or la réforme Kinnock, en figeant un fonctionnement administratif en silo, révèle à l’usage une administration de la Commission incapable de fournir les options politiques dont les Commissaires pourraient s’emparer pour proposer des avancées acceptables.

Un émissaire franco-allemand à la mutation de la Commission européenne serait un catalyseur efficace pour lancer avec un agenda le chantier d’une Commission européenne adaptée à la nouvelle exigence démocratique qui l’irrigue.

8. Net : Faire face au déclassement digital

La main invisible du marché unique n’a pas plus fait Airbus qu’elle ne comblera le retard franco-allemand en terme de compétitivité digitale. La tendance naturelle des start-up européenne restera, sauf inflexion majeure, de se bâtir pour une partie non négligeable sur des briques technologiques maîtrisées par les GAFA et de viser préférentiellement le marché des Etats-Unis.

S’il est vrai que la Frontier du digital est un territoire mouvant et rapide, il est une constante : aucun des leaders passés et futurs n’est franco- allemand. Or, habiter la seconde division du digital au 21ème siècle a des conséquences directes en termes de sécurité démocratique et de financement de l’action publique.

Nous proposons donc une commission parlementaire franco-allemande au déclassement digital. Celle-ci devra examiner les pistes suivantes :

  • Un financement commun des start-up franco-allemandes
  • Un cadre d’analyse des nouveaux besoins de protection de la vie privée et des opinions politiques et religieuses des européens
  • Un soutien structurel au logiciel libre, en financement et en commande publique, pour remettre en cause la dominance logicielle américaine
  • Un parcours de formation franco-allemand pour sensibiliser les élites économiques et administratives aux problématiques nouvelles que porte l’ère de la Big Data.

 

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5 Commentaires

  1. Bon article.

    Il faut retenir cette idée clé des « états volontaires ». Parmi tous les grands pays de la planète, c’est autour du noyau franco-allemand que se construit la meilleure démocratie possible.

    La 4eme puissance mondiale (3 600 G€) + la 6eme (2 600 G€) totalisent 6 200 G€. Cela représente la 3eme puissance devant le Japon. On peut penser que les pays suivants : Italie (1900), Espagne (1300), Pays bas (800), Belgique (500), Autriche (400), seront à terme, preneurs volontaires des avancées franco-allemandes,

    États Unis et Chine ne sont pas de bons exemples de démocratie. La première n’a pas fait la séparation de la religion et de l’état et le créationnisme touche les 2/3 de sa population. La seconde est une dictature plus ou moins édulcorée.

    Il faut nous entendre au mieux avec nos cousins, car les défauts que nous pouvons lui trouver, sont dérisoires en regard de ceux existants autour de la planète. Le récent accord avec le Japon, doit entrer en ligne de compte et devrait participer à enrichir les pays volontaires de l’Europe et surtout la France qui devrait retrouver rapidement sa 5eme place au classement du PIB au détriment des Anglais qui ont pris la mauvaise route.

    • Ayant été professeur d’informatique dans une école d’ingénieurs, je connais bien le sujet. Nous avons dû lutter pendant plus de 30 ans pour que nos élèves ingénieurs ne travaillent pas sur un environnement Microsoft et apprennent les technologies libres en système d’exploitation et logiciels de base : système Unix, Linux, compilateurs libres Ada, Java, Scala, IDE’s libres comme Eclipse, etc.
      On peut simplement regretter que l’Europe n’ait pas joué son rôle en favorisant l’émergence d’un géant du logiciel rassemblant tous ces développeurs de logiciels. Il nous a manqué un « Airbus » de l’informatique…

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