Décryptage de la nouvelle Commission

Michel Barnier, un rouge en charge de la finance?

Après Barroso à la Commission, Buzek au Parlement, van Rompuy et Ashton au Conseil et aux affaires étrangères, l’Union a fait à peu près le plein de ses têtes (un petit brouillard matinal subsiste sur l’Eurogroupe). Ajoutons que le poste stratégique du secrétariat général du Conseil des ministres demeure pour deux ans encore l’apanage de la France avec Pierre de Boissieu, qui a su y développer une influence personnelle déjà considérable.

Le caractère peu tranchant des personnalités retenues ne permettait pas jusqu’ici d’avoir des idées très précises sur l’orientation prévue de la politique européenne. Sarkozy explique en privé, d’après le Canard enchaîné, que les chefs d’État ont choisi « deux personnalités qui ne feront pas obstacle aux ténors européens. C’est pour ça qu’on s’est mis d’accord sur deux tocards. » La nouvelle composition de la Commission présente donc beaucoup d’intérêt car les arbitrages rendus et le choix final suggèrent plus précisément l’état des rapports de force politiques sur son action future. Plutôt qu’une liste des commissaires que chacun peut trouver dans la presse, Sauvons l’Europe apporte des coups de projecteurs là où ils sont utiles.

La question la plus chaleureusement débattue a été celle de la réforme du système financier, mettant aux prises les Français et les Anglais. La volonté affichée de réforme des premiers est proclamée de façon répétée depuis le début de la crise, alors que la prudence des seconds dans ce domaine économiquement stratégique pour eux n’est un mystère pour personne. Rappelons qu’au sein du Parlement européen, déjà, la Commission des affaires économiques et monétaires avait échappé à Pervenche Bérès pour échoir à Sharon Bowles précisément dans cette optique.

C’est le même jeu qui se dessine autour de la DG marché intérieur. Paris pousse Michel Barnier sur ce poste stratégique, Londres n’a pas de candidat britannique à lui opposer directement, Ashton ayant déjà été nommée. Mais voici une proposition audacieuse des anglais : il suffit de scinder en deux la DG marché intérieur pour créer un Commissaire aux services financiers. Selon la rumeur bruxelloise, c’est le Hongrois Laszlo Andor qui en aurait bénéficié. Petit problème, un petit tour sur le site de la DG marché intérieur permet de constater que l’intégralité de la page d’accueil et des actualités est consacrée aux services financiers. Autant dire, selon les termes de Jean Quatremer, que Barnier se retrouverait Commissaire chargé de « l’harmonisation de la taille des boites de petits pois ».

Sa nomination comme Commissaire de plein exercice sera finalement arrachée par l’intervention vigoureuse et personnelle de Nicolas Sarkozy, et par l’idée habile de Barnier de se placer sous tutelle en partageant non pas la DG, mais sa direction : il a proposé qu’un Anglais (Jonathan Faull) en soit nommé directeur général. La cogestion franco-anglaise des affaires financières est ainsi actée, mais sera sans doute délicate. Nicolas Sarkozy se félicitant de la volonté réformatrice affichée par la nomination de Barnier, l’association des banquiers britannique a publiquement protesté en estimant que ses propos ébranlaient la confiance dans les nouvelles institutions européennes et soulevaient des doutes sur l’impartialité du futur Commissaire.

Un détail permet de mesurer que la Commission a été à nouveau largement constituée en fonction des desiderata des Etats, plutôt que des capacités personnelles. Nelly Kroes a en effet réalisé un mandat très honorable à la direction générale de la concurrence, alors même qu’elle était particulièrement attendue au tournant lors de sa nomination. Elle a su en particulier réadapter le mécanisme des aides d’État à la situation issue de la crise financière, sans céder à la facilité qui aurait consisté à mettre en veilleuse cet instrument. L’argent public déversé par la France sans aucune contrepartie dans les banques nationales et le mépris affiché des bénéficiaires pour les recommandations qui leur sont faites, font suffisamment débat à l’heure actuelle pour que l’on mesure à quel point le bref intervalle de temps où la Commission a perdu la main sur ce sujet s’est révélé délétère. Nelly Kroes est nommée Commissaire à la société de l’information, poste certes très important pour l’avenir de nos enfants mais en retrait par rapport au commerce extérieur qu’elle convoitait. C’est le belge Karel de Gucht (ex-développement et aide humanitaire) qui l’obtient ; la Belgique est donc particulièrement à l’honneur après Van Rompuy.

Les deux derniers grands sujets sont l’écologie et le budget. Sur le premier thème, on retiendra surtout la division de la direction générale environnement pour créer une nouvelle direction générale action climatique, ce qui est un signal politique fort à la veille du sommet de Copenhague. On notera pourtant que l’Allemagne hérite d’un poste apparemment mineur avec l’énergie. Il s’agit cependant d’un domaine que les Allemands ont choisi d’investir de manière stratégique, Martin Schulz ayant notamment accepté de perdre la commission des affaires économiques et monétaires au Parlement pour assurer la commission de l’écologie à Joe Leinen. Outre les enjeux industriels absolument majeurs qui s’attachent à ces questions dans le contexte de la lutte contre le changement climatique, le portefeuille de l’énergie est la clé diplomatique fondamentale des relations entre l’Europe et la Russie. Il s’agit donc d’un vecteur de poids pour la politique allemande à l’égard des pays de l’Est.

Il semble enfin, en ce qui concerne le budget, que celui-ci fasse au moins l’objet d’une sanctuarisation. C’est le polonais Janusz Lewandowski qui obtient ce poste sur un domaine qu’il connaît bien pour avoir dirigé la commission du budget au Parlement européen. Libéral bon teint, il été conseiller de Solidarnosc, après quoi il a privatisé la majeure partie des entreprises polonaises et créé la bourse de Varsovie. Ce n’est pourtant pas un partisan aveugle du moins d’Etat, et si la Pologne souhaitait tant sa nomination c’est pour lutter contre la crise par le recours au levier budgétaire ; elle espère notamment beaucoup des fonds européens pour le développement de l’économie numérique. Il fera tandem avec le Commissaire le plus dépensier : le roumain Dacian Ciolos à la politique agricole commune. Soutenu par la France et venant d’un pays encore très agricole, ce dernier aura sans aucun doute à cœur de résister vaillamment à toute tentative de démantèlement de la PAC, qui mobilise l’essentiel du budget européen.

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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