Ce 9 mai 2025, journée de l’Europe pour l’Union européenne mais aussi date de victoire contre le Troisième Reich à Moscou, le Premier ministre polonais Donald Tusk et Emmanuel Macron signaient à Nancy un traité bilatéral de coopération. Ainsi, cette date symbolique évoque un certain parallèle à l’Europe de la Seconde Guerre mondiale et à la question: “Faut-il mourir pour Dantzig ? (Dantzig, maintenant la ville de Gdansk fut le prétexte pour l’invasion allemande de la Pologne en 1939, qui suscita un débat en France quant à une entrée en guerre pour cette « ville lointaine »)
Nancy, ville où résidait Stanislaw Leszczynski, ancien roi de Pologne, devenu duc de Lorraine et beau-père de Louis XV, symbolise le lien fort qui unit les deux pays. Un lien peut-être sous-estimé malgré l’immigration polonaise dans le Nord et l’Est de la France dans les années 1920 ou la panoplie de figures binationales : de Frederyk Chopin, en passant par Marie Curie (plus précisément Marie Skłodowska-Curie) jusqu’à René Goscinny, la liste est longue.
La signature du Traité intervenait une semaine avant le premier tour des élections présidentielles polonaises du 18 mai qui a vu se qualifier pour le second tour du 1er juin Rafał Trzaskowski, actuel maire de Varsovie et candidat de la Coalition civique de Donald Tusk, et Karol Nawrocki, soutenu par le parti national-conservateur Droit et Justice (PiS). Ce contexte électoral comporte le risque que le traité soit fragilisé en cas de reconquête du pouvoir présidentiel par le PiS. En effet, les relations franco-polonaises s’étaient particulièrement détériorées lors des années de pouvoir du PiS, notamment en raison de sa politique européenne très eurosceptique.
En même temps, le traité franco-polonais doit être analysé à la lumière du Triangle de Weimar créé en 1991 pour promouvoir une coopération trilatérale entre la France, la Pologne et l’Allemagne. C’est ainsi que l’initiative de Nancy peut sembler rééquilibrer ce triangle qui est plutôt dominé par l’Allemagne avec ses relations bilatérales fortes avec ses deux autres pays partenaires.
Que contient le traité franco-polonais ?
Le traité de Nancy prévoit une série de mesures visant à approfondir les relations franco-polonaises dans des domaines variés.
Il instaure des sommets annuels entre le Président de la République et le Président du Conseil des ministres polonais, des consultations et une coordination accrue pour la politique étrangère ainsi qu’au sein de l’UE, notamment sur les questions liées à l’Etat de droit et aux libertés civiles.
Un autre objectif est le rapprochement économique, industriel et numérique avec des réunions ministérielles et des investissements conjoints. Un renforcement de la coopération est également prévu aussi dans le domaine énergétique, avec le développement du nucléaire civil et la transition énergétique.
Dans le domaine de l’éducation, de la recherche et de la culture, les échanges d’étudiants, chercheurs et d’institutions et les projets culturels sont encouragés. Une Journée de l’amitié franco-polonaise est fixée au 20 avril.
Le volet le plus ambitieux est sûrement l’approfondissement des liens dans le domaine de la défense. Le traité établit une assistance mutuelle en cas d’agression, tout en promouvant le renforcement du pilier européen de l’OTAN, ouvrant implicitement l’idée d’un parapluie nucléaire européen. En outre, il prévoit une coopération militaire avec des dialogues stratégiques en format « 2+2 » avec les ministres des Affaires étrangères et de la Défense ainsi qu’une collaboration dans le domaine de l’armement avec une attention particulière pour la lutte contre les menaces hybrides.
Quels enjeux pour Paris et Varsovie ?
Pour la France, ce traité entre dans le format de traités bilatéraux déjà utilisé avec l’Allemagne par le traité de l’Elysée de 1963 et développé par celui d’Aix-la-Chapelle de 2019, avec l’Italie par celui du Quirinal de 2021 et avec l’Espagne par celui de Barcelone de 2023. Ainsi, la Pologne est le premier pays non limitrophe à bénéficier d’un tel accord, démontrant l’importance croissante du pays pour la diplomatie française.
La Pologne apparaît surtout comme incontournable pour réaliser l’objectif français d’une plus grande autonomie stratégique européenne. En effet, la Pologne consacre actuellement 4.7% de son PIB à la Défense et possède déjà le plus grand nombre de militaires actifs de l’UE avec 202 000 soldats (c’est-à-dire sans compter les réservistes) dépassant ainsi légèrement la France (200 000 militaires actifs) malgré une population inférieure de 40%. La France a aussi intérêt à investir le marché de la Défense polonais tout en essayant de diminuer l’influence américaine jusqu’ici prépondérante en Pologne. Par ailleurs, la Pologne envisage de rejoindre les projets franco-allemands d’avions de chasse et de chars de combat.
Pour la Pologne, la perspective d’une extension du parapluie nucléaire français représente d’abord une garantie de sécurité précieuse face au voisin russe et à l’isolationnisme états-unien croissant. Parallèlement, la France est un allié essentiel dans le contexte européen, que ce soit au niveau politique au sein des institutions européennes ou au niveau économique et scientifique.
Cependant, les liens avec l’Allemagne restent plus étroits. Depuis le traité de bon voisinage et de coopération amicale de 1991, les relations migratoires, leur voisinage et leur interdépendance économique forte lient intensément les deux pays. Le chancelier Merz s’est rendu à Varsovie dans la foulée de sa première visite officielle à Paris pour souligner sa volonté de s’engager « avec force » en faveur d’un « partenariat étroit entre l’Allemagne et la Pologne pour contribuer à assurer la croissance et la prospérité de l’Europe« .
Le traité franco-polonais, conclu dans un moment géopolitique inédit, marqué par la guerre en Ukraine, pourrait marquer une nouvelle étape à la fois pour la relation franco-polonaise et pour la construction d’une souveraineté européenne. Néanmoins, pour devenir plus qu’un symbole, sa portée réelle dépendra de sa capacité à résister aux aléas politiques nationaux. Sa valeur ajoutée dépendra aussi de l’évolution de la relation trilatérale franco-germano-polonaise et de l’intégration européenne, en particulier dans le domaine de la Défense.
Félicitations Max Hornung (ce nom m’est familier) pour cette excellente analyse, sur le front de la coopération franco polonaise
Au lieu d’une alliance avec la Pologne contre la Russie on ferait mieux de s’entendre avec les Russes. Ils sont francophiles et les domaines de coopération / complémentarité sont infinis.
Historiquement, ils ont toujours été nos alliés et de Gaulle ne s’y était pas trompé avec sa politique du non-alignement. Prenons ce qui est bon et possible de chaque côté au lieu de prendre part à la rivalité entre Anglo-Saxons et Russes. Malheureusement, l’UE est prise en otage par les russophobes hystériques, la Kallas en tête (et le Tusk juste après).
Tout n’est pas perdu: certains Est-Européens commencent à changer d’optique et je ne doute pas qu’ils finiront par provoquer l’effondrement de l’UE comme ils ont provoqué celui de l’URSS… pour se rallier à la Chine ou à la Russie ou à quelque autre puissance devenue plus riche que son ancien veau d’or, l’UE.