Dans ce mois de mai dédié à l’Europe, la semaine dernière était particulièrement attendue des connaisseurs et des connaisseuses des affaires européennes. En effet, les négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel débutaient le grand concours de l’Eurovision se tenait toute la semaine Bâle, en Suisse.
Souvent tourné en dérision pour son kitsch, son extravagance et ses prestations parfois décalées, l’Eurovision rassemble pourtant un public massif. En effet, des centaines de milliers de personnes ont foulé pendant la semaine les quelques 1,3 kilomètre du tapis turquoise déployé dans la ville hôte, et au moins 160 millions de téléspectateurs et téléspectatrices étaient devant leur écran à travers le monde. Après une édition 2024 mouvementée, la dimension « apolitique » du concours a été mise en avant par l’organisateur, qui a même édité un code de conduite. Un évènement qui continue à faire la une chaque année, et qui est un symbole fort pour nombre de personnes queer.
Un peu d’histoire : chansons et rêve européen
2025 est en quelque sorte un retour aux sources, puisque la première édition s’est tenue à Lugano, en 1956, entre la Suisse hôte et les six pays qui seront signataires du traité de Rome en 1957. L’Eurovision incarnait alors l’ambition d’une Europe unie, pacifiée et tournée vers l’avenir. Organisée depuis son origine par l’Union Européenne de Radiodiffusion (UER), organisation internationale présente sur plusieurs continents, l’Eurovision a étendu progressivement son périmètre pour atteindre plus de quarante participants aujourd’hui, dont Israël et l’Australie. Plusieurs Etats d’Europe de l’Est ont par exemple rejoint le concours au moment de la chute du mur de Berlin, 11 ans avant leur adhésion à l’UE. Chaque nouvelle adhésion reflétait les élargissements successifs de la CEE puis de l’Union européenne, soulignant le concours comme un baromètre culturel de la construction européenne.
Si le concours se veut « apolitique », la participation des différents pays comme les performances des artistes agissent souvent en miroir de l’actualité géopolitique. Ainsi, en 2009, la Géorgie se retirait du concours, après avoir été sommée de modifier le titre de sa chanson « We don’t want to put in ». Plus récemment, la Russie et la Biélorussie ont été exclues du concours. La Turquie ne participe plus au concours qui viendrait « menacer les valeurs familiales » depuis 2013, et le diffuseur hongrois reste gris depuis 2019. La répartition des points obéit aussi à une logique dépassant les seules qualités artistiques des performances – si nous étions chauvin·es, nous pourrions affirmer que cela expliquerait en partie que la France n’a pas remporté le concours depuis longtemps – comme le dit la candidate française Louane dans sa chanson « Maman », j’ai arrêté de compter les années.
Une édition 2025 qui tente de réconcilier « apolitisme » et revendications
Malgré des appels au boycott, y compris signés par des chaînes de télévision (dont l’Espagne, la Belgique, l’Irlande et la Slovénie), l’UER a refusé de suspendre la participation d’Israël cette année. Alors que les bombardements israéliens sur les populations civiles s’intensifient depuis quelques jours, les mobilisations dénonçant les exactions d’Israël étaient moins visibles cette année qu’en 2024 – notamment en raison de l’interdiction et de la répression des manifestations. Israël a réussi son tour de force : obtenir le plus grand nombre de votes du public, et de très loin. Ainsi, il est arrivé en tête des votes dans 12 pays (plus « le reste du monde, comptant comme un seul pays) – y compris en Espagne ou en Belgique, alors que des messages dénonçant les violations des droits humains ont été diffusés samedi soir et que le jury de ces pays n’a attribué aucun point. L’écart de « soutien » du public se creuse ainsi par exemple avec l’Ukraine, qui avait reçu des vagues de soutien depuis 2022.
Les artistes avaient cette année interdiction de brandir des drapeaux autres que celui du pays qu’ils et elles représentent, et notamment les drapeaux LGBTQIA+. Cela n’a pas empêché JJ, le vainqueur 2025, de passer des messages sur sa fierté à représenter la communauté queer, 11 ans après la victoire de sa compatriote Conchita Wurst. A vouloir édulcorer ce qui donne au concours son caractère, et sa popularité, le risque de rupture avec les valeurs européennes de liberté, de tolérance et de diversité devient réel.
Photo (par Chloé Bourguignon) : la drag queen Conchita Wurst vainqueure autrichienne en 2014 s’adressant au public samedi dernier.
On y croit… 🙂
Le soft power (traduisible en français par la « manière douce » ou le « pouvoir de convaincre »[1]) est un concept utilisé en relations internationales. https://fr.wikipedia.org/wiki/Soft_power