Premier pape non-Européen depuis plus d’un millénaire, François n’était pas particulièrement sensible à la spécificité originale d’un projet européen porté par les nations du Vieux continent, suite à leur expérience commune du mal absolu durant la Seconde Guerre mondiale. A la différence de ses prédécesseurs, qui depuis Jean XXIII ont accompagné le projet européen, parfois avec des liens étroits avec certains pères fondateurs de l’Europe. Pour le défunt pape, la tentative de pacifier le continent européen, au moyen d’une norme juridique commune qui s’applique à tous et sert l’émancipation de chacun, semble n’avoir été comprise que sous l’angle consumériste d’un Marché unique européen, symbole d’un déclin des forces de l’esprit.
Tout au long de son pontificat, le pape François a ainsi évité de trop porter son intérêt vers notre Vieux continent… à une exception près, celle de la question migratoire. Ainsi, dès le 8 juillet 2013, trois mois après avoir été élu pape, François a choisi Lampedusa comme destination pour l’une de ses premières visites pastorales. Ensuite, les 12 ans du pontificat de François ont été marqués par une exigence profonde et continue vis-à-vis de l’UE et de ses États membres sur la question migratoire. Le pape François n’a jamais cessé de rappeler aux dirigeants politiques européens leurs responsabilités envers ceux qui fuient la misère, les persécutions et les guerres. « Cimetière » est une expression que le pape François a utilisé des dizaines de fois pour qualifier la Méditerranée. Depuis 2013, selon les données de l’Organisation internationale pour les migrations, plus de 25 000 personnes sont mortes en mer Méditerranée, principalement sur la route du centre de la Méditerranée.
En recevant le prix Charlemagne, le pape François avait confessé rêver d’un « nouvel humanisme européen » face à une Europe qui semble à beaucoup « fatiguée et vieillie, non fertile et vitale, où les grands idéaux semblent avoir perdu leur force d’attraction ». Dans sa lettre du 2 novembre 2020, le pape François avait réagi contre l’internationale réactionnaire qui s’était, entre-temps, emparée du pouvoir dans plusieurs pays occidentaux. « Europe, retrouve-toi toi-même ! Retrouve donc tes idéaux qui ont des racines profondes. Sois toi-même ! N’aie pas peur de ton histoire millénaire qui est une fenêtre sur l’avenir plus que sur le passé. »
Henri Lastenouse avec le concours de La Matinale européenne.
Dans le même temps, un pape qui traite les médecins qui pratiquent l’avortement de « tueurs à gage » et qui réduit le rôle de la femme à sa fonction reproductrice. Un pape en demi-teinte, donc.
Voir plus bas mon commentaire de réponse.
Il s’appelle Francis! Pas Francois!!!
Qu’est-ce que C’est que cette habitude française de changer les noms propres!!!!
Si l’on vous suit bien, la référence dont se prévalait le défunt pape serait donc Saint Francis d’Assoise ?
Contrepèterie papale ?
Et Francesco en italien, et Francisco en espagnol…
(à Yves Herlemont)
A la lumière des échanges que SLE a permis de favoriser entre vous et moi, je comprends les réserves que vous exprimez.
Certes, la pratique de l’IVG demeure un thème sensible, voire particulièrement clivant… et les récents propos du pape François à ce sujet peuvent apparaître comme provocateurs. Mais on ne saurait non plus ignorer ceux, plus mesurés, prononcés par Simone Veil – dont le catholicisme n’était pas un marqueur évident : « aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes » (ne négligeons pas cette deuxième phrase).
En fait, si l’on souhaite contribuer à un inventaire du pontificat du défunt pape, les épineux (ou considérés comme tels) ne sauraient cacher une forêt plus fructifère, même si elle reste exposée à la sécheresse, voire aux incendies.
A cet égard, deux éléments fondamentaux me paraissent dignes d’être préalablement pris en considération :
1) Pour la première fois depuis des siècles, le titulaire de la chaire de Saint Pierre est originaire de ce que lui-même nommait « les périphéries », en contraste avec une tradition eurocentrée (et sans négliger, bien sûr, son ascendance italienne) – d’où l’attention portée aux peuples de ce (tiers) monde auquel, déjà en 1967, son prédécesseur Paul VI avait consacré l’encyclique « Populorum progressio ». De ce point de vue, le surnom de « pape des pauvres » décerné au dernier souverain pontife en exercice n’était sans doute pas tout à fait usurpé.
2) Le choix du nom de « François » tient à des raisons qui ne doivent rien à une originalité purement cosmétique : à sa manière, le saint natif d’Assise a symbolisé une prise de conscience déjà écologique à la charnière des XIIème et XIIIème siècles. L’encyclique « Laudato si’ », publiée en 2015 (année où, par ailleurs, la crise des migrants – à laquelle François a également accordé une grande attention – révélait toute son acuité) et s’inspirant du chant d’amour à la Création entonné par le père des Franciscains, assume un héritage à la mesure des défis de notre temps.
Mais, par ailleurs, deux autres éléments « progressistes » me semblent avoir scellé l’orientation du pontificat de François :
1) Le combat contre les excès d’un certain cléricalisme. En ce sens, bien que le nom choisi ait été « François » et non pas « Hercule », il y avait dans l’air, un parfum de nettoyage de ce que j’appelle (en l’assumant) la « Curie d’Augias », à savoir l’influence excessive (en tout cas à mes yeux) des scribes et pharisiens peuplant certaines sphères du Vatican. De surcroît, n’oublions pas que, dès les premiers temps de son pontificat, François n’a pas hésité à comparer certaines pratiques établies au cœur de cette enceinte à celles de la mafia. Pas étonnant, dès lors, que du ressentiment ait pu éclore parmi les « éminences grisées ». Certes, l’issue actuelle de ce combat peut apparaître en demi-teinte, à la mesure des freins traditionnalistes. Mais l’essentiel reste que du bon grain ait été semé en dépit de l’ivraie tapissant un terrain propice à sa prolifération.
2) L’autre combat a été entrepris contre Mammon – le dieu antique de la richesse et de l’avarice – avec la volonté affirmée de François d’assainir les finances du Vatican, quelque peu sulfureuses jusqu’à son accession à la chaire de saint Pierre. D’où la création d’un secrétariat pour l’Economie au sein de l’administration de la papauté, voire l’adoption de mesures anti-corruption et la fermeture de milliers de comptes suspects dans les « entrailles » de la banque du Vatican.
Pour toutes ces raisons, il me paraît juste de porter un jugement équilibré sur le pontificat du pape François, au-delà de ce que certains peuvent considérer comme des dérapages (certes très médiatisés). En songeant, du reste, à son combat contre les excès du conservatisme dans l’Eglise, il me revient en mémoire l’intervention de Jean Jaurès à la Chambre des Députés, un jour de janvier 1910 – une interpellation que n’aurait sans doute pas reniée le défunt pape :
« Oui, nous avons, nous aussi, le culte du passé. Ce n’est pas en vain que tous les foyers des générations humaines ont flambé, ont rayonné : mais c’est nous, parce que nous marchons, parce que nous luttons pour un idéal nouveau, c’est nous qui sommes les vrais héritiers du foyer de nos aïeux ; nous en avons pris la flamme, vous n’en avez gardé que la cendre ».