Certains de nos lecteurs et nos lectrices se souviennent peut-être du roman de James Matthew Barrie, « L’île qui n’existe pas », de Peter Pan, auquel l’écrivain anglais a consacré en 1907 la pièce de théâtre sur « L’enfant qui ne veut pas grandir ». L’idée a été reprise musicalement par le chanteur italien Edoardo Bennato en 1992 dans un album où, outre « L’île qui n’existe pas », on trouve des chansons dont les titres pourraient être représentatifs de l’état de l’Union européenne et de son avenir, comme « La tour de Babel », « Ne baisse pas les bras » et « L’île qui n’existe pas ».
« L’île qui n’existe pas » nous est venue à l’esprit en écoutant et en relisant le cinquième discours sur « l’état de l’Union » d’Ursula von der Leyen et en ressortant des archives de la Commission européenne son premier discours en septembre 2020. Ce premier discours avait été caractérisé par la détermination à garantir aux citoyens européens le bien public de la santé, dramatiquement menacé par la pandémie, mais aussi par la volonté d’assurer l’avenir de la convergence écologique de la société européenne grâce à la mise en œuvre du Pacte vert pour l’Europe, qui avait consolidé au Parlement européen le rapport de confiance entre sa première Commission et une large majorité pro-européenne qui comprenait alors les populaires, les socialistes, les libéraux et les verts.
À partir de septembre 2020, l’Union européenne n’est pas devenue grande, mais est au contraire redevenue toute petite, dans un état qualifié d’ « insignifiant », surtout face aux défis d’un monde en ébullition, et l’île imaginaire comme lieu idéal d’harmonie et de bonheur apparaît aujourd’hui à beaucoup comme un rêve et l’utopie de Peter Pan.
Cinq ans de crise versus un vague « appel à l’unité »
Face aux crises internes et externes que nous traversons depuis cinq ans, nous nous serions attendus à ce qu’Ursula von der Leyen ne se limite pas à lancer un vague « appel à l’unité » entre les institutions européennes.
Il était nécessaire et urgent que la Présidente de la Commission fasse une analyse impitoyable de l’état de l’Union, accompagnée d’une autocritique honnête de l’insuffisance de la gestion des politiques européennes par sa première Commission européenne, et dénonce la responsabilité de ceux qui devaient traduire les propositions en actes législatifs et financiers (le Conseil européen et le Conseil en tant que représentants des gouvernements) et une indication encore plus impitoyable de l’inefficacité et de l’inefficience du système européen tel qu’il est depuis le Traité de Lisbonne et dans la perspective des futurs élargissements.
À y regarder de plus près, bon nombre des fautes d’Ursula von der Leyen et de ses deux Commissions ne sont que partiellement imputables à l’exécutif européen et devraient plutôt être attribuées en grande partie aux gouvernements. A commencer par la méthode qu’ils ont voulu appliquer au programme Next Generation EU, dont la gestion a été confiée uniquement aux États qui semblent incapables de mener à bien des milliers de petits et grands projets à quinze mois de son échéance, parallèlement à la paralysie des décisions en matière de politique étrangère et de sécurité soumises à la règle de l’unanimité.
Nous avions suggéré à Ursula von der Leyen que son appel s’adresse à toutes les Européennes et à tous les Européens, en s’inspirant de celui de Thomas Mann Achtung Europa au milieu de la Seconde Guerre mondiale. Ou qu’elle tienne compte de manière cohérente des propositions de Mario Draghi, non seulement sur la compétitivité, mais aussi sur l’idée… presque fédéraliste que l’Union devienne « un État ».
L’Europe d’Ursula von der Leyen est restée donc une « île qui n’existe pas » et sa « boussole de la compétitivité » est aussi inconsistante que l’était la boussole de la défense que Charles Michel a fait approuver à la hâte par le Conseil européen en mai 2022, dans l’illusion que la Russie nous considérait comme capables d’exercer une forte pression militaire.
Réarmement de l’Europe : une vision sans perspective
Sur le réarmement de l’Europe, Ursula von der Leyen a ouvert son discours par une vision sans perspective, en partant de l’affirmation que « l’Union est en guerre » (Europa is in a fight), que nous avons derrière nous une période de succès en matière de défense et que nous nous préparons (Readness) à en récolter les fruits grâce à d’importants investissements européens privés et publics.
La Présidente de la Commission a plutôt rappelé la mise en œuvre du programme Safe, qui est actuellement soumis à la Cour de justice pour donner suite à un recours du Parlement européen sur sa base juridique, ignorant la tour de Babel entre les soi-disant volontaires et la censure du chancelier Merz sur l’envoi de troupes européennes en Ukraine (ground troops in Ukraine).
Ukraine et Moldavie : des délais d’adhésion reportés jusqu’à quand ?
Concernant l’Ukraine et la Moldavie, Ursula von der Leyen a passé sous silence le fait que les délais d’adhésion seront longs, que ni l’une ni l’autre ne pourront devenir membres à part entière tant que la guerre ne sera pas terminée, et que les menaces hybrides et les ingérences de la Russie n’auront pas pris fin. Que l’une et l’ l’autre ne pourront adhérer qu’après avoir mis en œuvre des réformes internes et qu’il est finalement politiquement inimaginable qu’elles adhèrent à l’Union européenne avant les candidats des Balkans qui attendent depuis des années aux portes de l’Union européenne.
Concernant la situation à Gaza et l’escalade des massacres perpétrés par Israël non seulement à Gaza mais aussi au-delà de ses frontières, Ursula von der Leyen a pris des engagements, comme celui sur les accords d’association, qui échappent toutefois en grande partie aux compétences de sa Commission, afin de mettre fin au conflit avec la vice-présidente Ribera et d’apaiser la colère des groupes politiques. Elle a en revanche évité d’exprimer sa solidarité avec la Freedom Sumud Flotilla et de dénoncer l’agression extraterritoriale d’Israël contre le Qatar.
A propos des droits de douane et les relations avec les États-Unis, où ses concessions au chantage de Donald Trump ont été aggravées par le fait que la Commission européenne a décidé de suspendre l’amende infligée à Google pour abus de position dominante renonçant ainsi à la souveraineté numérique européenne, la position défensive d’Ursula von der Leyen n’a reçu que le soutien de Manfred Weber et les critiques plus ou moins destructrices des autres groupes politiques de la majorité, tout en sachant qu’en matière de politique commerciale et d’accords d’association tels que le Mercosur, le Parlement européen décide conjointement avec le Conseil.
Transition écologique : un silence assourdissant
En ce qui concerne la transition écologique, Ursula von der Leyen a apparemment apaisé les esprits des Verts avec la phrase percutante selon laquelle « l’avenir appartient à la voiture électrique » et en annonçant une mini-Ecar pour l’instant improbable, sachant qu’elle creusait ainsi un fossé avec le provincialisme des retards incessants de l’industrie italienne, mais qu’elle avait le consentement de la production allemande, qui a presque atteint celle de Musk et de la Chine.
L’engagement environnemental d’Ursula von der Leyen a toutefois été tempéré par le choix de « la neutralité écologique », par le silence sur les pesticides malgré l’arrêt du Conseil constitutionnel français et par la priorité donnée à l’Industrial Deal par rapport au Green Deal, tandis que le silence était assourdissant sur le futur partenariat stratégique avec l’Afrique en vue du septième sommet UE/UA des 24 et 25 novembre, où les accords sur les matières premières semblent essentiels, y compris pour une nouvelle alliance avec le Global South.
Politique migratoire : en attente de mesures concrètes
En matière de politique migratoire, l’accent a de nouveau été mis sur la protection des frontières et les mesures d’éloignement ou, plutôt, de refoulement, selon la logique d’une Europe des murs qui remplace celle des ponts, malgré les arrêts de la Cour de justice et l’absence de plans nationaux d’accueil et d’inclusion.
Contestée bruyamment par les députés souverainistes des groupes des Patriotes, dont fait partie la Ligue, et des nationalistes dominés par l’AFD, mais aussi par certains conservateurs de l’ECR, dont fait partie Fratelli d’Italia, Ursula von der Leyen a décidé de prendre ses distances avec Manfred Weber et sa politique de double jeu entre droite et gauche sur les questions de la défense de l’État de droit et de la démocratie. Ceci en confirmant les règles de conditionnalité pour l’attribution des fonds, mais elle n’a annoncé aucune mesure concrète pour mettre fin aux violations croissantes des droits fondamentaux en Hongrie et en Slovaquie.
Finances : aucune réponse face aux critiques
Sur les questions financières et budgétaires, outre l’annonce d’une série de nouveaux fonds, Ursula von der Leyen n’a apporté aucune réponse aux critiques du Parlement européen sur le cadre financier pluriannuel, en particulier sur l’idée de renationalisation des dépenses selon le modèle du NGEU, et encore moins sur la question controversée des nouvelles ressources propres, qui suscite une forte hostilité de la part de nombreux gouvernements.
Enfin, aucune réponse sérieuse n’a été apportée dans le discours sur l’état de l’Union à la demande du Parlement européen de lancer un processus de réforme des traités afin de donner suite aux suggestions contenues dans les rapports Draghi et Letta et de préparer l’Union européenne aux conséquences de l’élargissement, confirmant ainsi que la Commission s’est pliée à l’hostilité de la majorité des gouvernements à la modification des traités et que la seule voie possible semble de plus en plus être celle d’un processus constituant dans la perspective des élections européennes qui auront lieu au printemps 2029.
Est-il insurmontable de comprendre qu’une Europe économique ne compte que pour du beurre sur l’échiquier politique international? Car par essence elle n’a pas voix au chapitre. Est-il véritablement impossible d’admettre que seule une Europe politique peut avoir une influence en politique internationale quand l’idéologie nationaliste, après avoir fait de notre petit cap de l’Asie le continent des ténèbres, a abouti à ce, comme le disait en substance Paul-Henry Spaak à la fin des années 1940, qu’il n’y a plus de pays capables d’un impact international, mais certains n’en sont pas encore conscients. C’est non seulement toujours le cas, mais encore, paradoxalement, l’europhobie croît. Or, par les temps qui courent, la logique voudrait que l’on instaurât au plus vite une Europe politique, Etat européen supranational de la fédération des Etats unis d’Europe, en charge de toutes les questions d’envergure continentale. Etat souverain vis-à-vis du reste du monde et vis-à-vis des Etats membres. Or ce concept même est perçu comme un puissant repoussoir. Advienne alors que pourra, mais ce ne sera pas bon pour nos enfants et petits-enfants: on ne récolte que ce que l’on sème.
Bonjour, beaucoup de choses à dire au sujet de cet article de mon confrère et compatriote (mon nom ne l’indique pas, je suis à moitié italien) Virgilio Dastoli. Tout d’abord, je le remercie pour cette analyse critique exhaustive du discours d’UVL. Je partage bon nombre de ses critiques (sur le silence d’UVL sur le partenariat avec l’Afrique; sur la priorité qu’il faut donner à l’élargissement à la Moldavie et aux pays des Balkans sur l’Ukraine; sur le vide de son discours dans le domaine de l’environnement, de la défense et de la compétitivé. Je ne reviendrai donc pas sur ces points . Sur le reste, je note que M. Dastoli semble vouloir que davantage de compétences soient attribuées à l’UE et donc à la Commission aux dépens des Etats membres. Personnellement, je ne pense pas – ou plutôt « plus » – que ce soit forcément une bonne idée, pour les raisons suivantes (je vais essayer de rester court) : tout d’abord, je note qu’un très grand nombre d’Etats membres n’ont aucune envie de construire une UE politique, à commencer par l’Allemagne qui joue sa partition et qui dirige la Commission. Les anciens Etats de l’est du bloc soviétique non plus, ceux-ci confondant OTAN et UE parce qu’ils sont entrés dans l’UE non pour faire partie de l’UE mais pour s’inféoder aux Etats-Unis. Enfin, les Etats du nord de l’UE anciennement membres de l’AELE dont le but était d’entrer dans une zone économique et pas politique. On aurait pu penser que la guerre en Ukraine et le largage de l’UE par les Etats-Unis changent la donne mais ce n’est qu’en partie vrai, puisque les Européens se sont engagés à acheter du matériel de guerre américain. – A observer tout de même le choix de l’Allemagne de se réarmer en achetant essentiellement du matériel européen : il s’agit sans doute de la meilleure nouvelle pour l’UE depuis la création de la monnaie commune – . Mon constat est donc triple : 1) l’UE ne peut pas espérer davantage d’intégration car une majorité d’Etats membres ne le veut pas 2) l’UE ne doit pas avancer pour le moment vers davantage d’intégration car celle-ci débouche irrémédiablement sur une plus grande vassalisation à l’égard des Etats-Unis 3) les petits Etats membres (souvent trop atlantistes) ont, ensemble, trop de pouvoir. A cela, je voudrais ajouter une critique adressée à M. Dastoli (j’espère qu’il ne m’en voudra pas :)) et à tous ceux qui, comme lui, continuent d’opposer les pro-européens (qui seraient censées vouloir davantage d’intégration) aux anti-européens (qui freinent des 4 fers l’intégration) : cette opposition est désormais désuette et fallacieuse . Désuette parce que même les partis nationalistes ne veulent plus sortir de l’UE mais la réformer. Fallacieuse car l’UE intégrée a failli à défendre les intérêts des Européens dans les négociations commerciales avec les Etats-Unis, l’UE s’étant lamentablement couchée face au diktat de Trump. La question se pose donc sérieusement de savoir s’il est dans l’intérêt des citoyens européens et des entreprises européennes de donner plus de pouvoir à l’UE qui suscite un rejet grandissant de la part de ses citoyens, surtout dans les domaines de l’environnement et de l’immigration. Je sais que dire cela ne me rend pas populaire auprès des auteurs et lecteurs de ce journal mais c’est pourtant la stricte vérité. Aussi, pour ma part, je me me demande s’il ne conviendrait pas mieux pour l’instant et pour les 20-30 prochaines années, au lieu d’approfondir l’intégration de l’UE en changeant des traités que nous ne réussirons jamais à changer par faute de majorité, définir des projets industriels interétatiques – en en excluant donc la Commission qui serait invitée à gérer l’UE et non plus à la gouverner – pour relancer l’industrie européenne dans les domaines militaire, environnemental, de la santé, spatial etc. Airbus et l »un des plus beaux succès européens. Inspirons-nous en pour relancer l’Euope, dans l’intérêt de ses citoyens et de ses entreprises, au lieu de poursuivre la chimère d’une Europe fédérale souhaitable sur le très long terme mais impossible pour l’instant.
En fin de compte vous êtes pour une Europe des nations avec des projets industriels interétatiques (qui n’évitent pas les conflits d’intérêts). C’est semble-t-il une idée que l’on retrouve chez l’extrême-droite qui promeut une Europe des Nations
La réduction ad hitlerum est un peu facile. De Gaulle était-il d’extrême droite? Par ailleurs ce que je propose est plus une relance industrielle par de grands projets qu’une Europe des Nations, tout en gardant l’architecture institutionnelle actuelle. Il faut relancer le projet européen en étant pragmatiques au lieu de s’obstiner dans une voie qui à l’évidence est en train de nous mener droit dans le mur!
C’est vous qui faites référence à Hitler conforme à la loi de Godwin. La relance par grands projets est souvent entachée par des égoïsmes nationaux pour repartir le gâteau.
Attention à ne pas abuser de la prétendue « loi » de Godwin, dont le caractère scientifique est loin d’être évident !
Que faites-vous d’Airbus? Ca a marché ou pas? 🙂
Et en contre-exemple SCAF alors ?
L’industrie c’est de l’économie, s’il n’y a pas de projet politique derrière en quoi cela change de l’union économique d’aujourd’hui.
A l’intention des « profanes » – parmi lesquels je me comptais avant d’entreprendre quelques recherches, même superficielles – précisons que « SCAF » (Système de Combat Aérien du Futur) est un projet destiné à connecter, à ce stade, les capacités militaires nationales de quatre États membres de l’UE (France, Allemagne, Espagne, Belgique). Même si la Belgique n’y occupe qu’un siège (pas nécessairement éjectable) d’observateur, les derniers développements du projet (frictions entre Dassault et ses partenaires d’outre-Rhin et d’au-delà des Pyrénées) pourraient laisser penser que le quadrimoteur a du plomb dans l’aile.
Si le projet SCAF n’avance pas entre quelques Etats il n’y a aucune chance pour qu’il avance mieux à 27 ou même dans le cadre de coopérations renforcées.
Bonjour.
Reportez vous à mes commentaires passés, je n’ai cessé de dire que :
– ursula von der leyen était une incompétente, sans vision sauf celle de son intérêt personnel, à la botte des USA.
– Seule la finalisation de la construction politique de l’Europe pour devenir enfin une super puissance pouvant jouer jeu égal avec les entités de même nature permettra d’arrêter tous ces gâchis qui ne cessent de se répéter.
– Surtout, arrêtons de mettre en avant des solutions qui appartiennent au passé, je les lis trop souvent dans certains commentaires.
Une très grande similitude avec ce que nous vivons en France, manque de lucidité, incompétence et perversité du jeu politique actuel alors que nous avons besoin d’un projet (voir ci dessus) qui redonnera de l’espoir, de la dignité, qui nous fédèrera car il nous unira tous, nous les peuples européens.
@ Mylord : je partage votre diagnostic et mon idéal reste une Europe fédérale mais on la fait avec quels Etats, vu que l’Allemagne ne semble pas vouloir la faire, les Etats du nord et de l’est non plus, l’Italie de Meloni non plus? On la fait entre la France, Andorre, Monaco et la Navarre? Le sens de mon intervention était de souligner que la plupart des Etats ne veulent pas d’un Europe fédérale. Donc soit on continue comme maintenant – avec une UE paralysée par la bureaucratie et les procédures, avec le risque que l’UE finisse par imploser – soit on essaie d’avancer avec des projets industriels visibles hors institutions UE, entre Etats, qui relancent l’économie européenne, créent des emplois et qui renforcent les liens entre à la fois les intérêts des Etats membres et les citoyens de l’UE . Il me semble d’ailleurs que c’est le sens dans lequel se dirige par exemple le traité du Quirinale signé entre la France et l’Italie.
Bonjour Monsieur LAFFINEUR.
Notre grand problème actuel est que nous avons laissé un pays prendre le contrôle de l’Europe pour servir ses propres intérêts.
Aujourd’hui, sa situation économique est beaucoup moins florissante, son secteur automobile est en panne à cause d’après moi d’un manque d’anticipation de son évolution, idem sur les machines outils et autres.
La conséquence est qu’il joue « cavalier seul », c’est très visible dans le contexte actuel.
S’ajoute la catastrophique dette française qui fait perdre toute crédibilité à ceux qui sont censés nous représentés et nous défendre.
Nous avons été trompé, les vrais européens chérissaient depuis toujours cet idéal d’une Europe nation, forte, sociale et solidaire, aujourd’hui notre déception est grande, c’est aujourd’hui qu’il fallait la faire à la vue de la situation internationale, pourtant, rien ?
Après, on me dit que ce n’est pas facile, qu’il faut laissé le temps au temps, j’appréhende mal ce discours, il faut attendre quoi, qu’une catastrophe nous arrive ?
Vous évoquez la piste des projets industriels hors institutions UE, peut-être mais si certains ont marché, d’autres pas pour des raisons entre autres de leadership ou d’accaparation de technologie.
Merci pour cet échange ainsi que les commentaires de Monsieur VERNIER.
A mon humble avis, si l’Etat fédéral « Europe » doit, un jour, exister, il ne se formera pas à partir de l’actuelle U.E., mais sortira d’une construction initiée par les forces progressistes, éco-socialistes des différents pays européens. La reconstitution donc d’une « Internationale » telle qu’elle a existé dans le dernier quart du 19ème siècle et le début du 20ème siècle. Plus que jamais les « Gauches » doivent s’unir sur le plan national et européen pour proposer aux différents électeurs une alternative euro-progressiste viable et cohérente.
Si l’on ne peut que souligner le haut niveau des argumentaires respectifs de Pier Virgilio Dastoli et de Jean-Luc Laffineur – un échange qui pourrait à lui seul constituer une base pertinente pour un ouvrage à quatre mains – il n’est peut-être pas non plus hors de propos de faire valoir quelques considérations susceptibles de les compléter. Ainsi :
1 – S’agissant de l’œuf-approfondissement et de la poule-élargissement, je reste persuadé qu’en la matière Jacques Delors avait, une fois de plus, fait preuve de lucidité dans une allocution prononcée le 9 mai 2000 à l’occasion du cinquantenaire de la « déclaration Schuman » jetant les bases de la construction « communautaire ». Il y esquissait la « mission historique (de l’UE) de rassembler tous les pays d’Europe, mais avec des objectifs réalistes correspondant à (sa) diversité accrue »… et il ajoutait que « sous certaines conditions », il serait possible de concilier élargissement et approfondissement par la création d’une « avant-garde » – une avant-garde ouverte à ceux qui, un jour ou l’autre, pourront et voudront la rejoindre.
Quel que soit le nombre de pays qui frappent à la porte de l’Union (ils sont actuellement au nombre de 9, de l’Albanie à l’Ukraine, sans compter le Kosovo), il ne serait pas réaliste de sous-estimer que le processus d’adhésion effective réclame du temps – une dizaine d’années en moyenne dans la plupart des cas expérimentés jusqu’à présent. Et encore, conviendrait-il de faire la part des muscles et de la graisse en résultant pour le «renforcement» de l’UE… voire de se poser la question de savoir si certaines adhésions potentielles ne sont pas plutôt des adhérences.
2 – Dans mon vécu personnel des développements de l’Union en tant qu’ancien fonctionnaire européen mais aussi enseignant, je dois avouer, avec un certain recul, que je nourris un sentiment mitigé à l’égard des « collèges » successifs qui ont assumé les responsabilités de la Commission. C’est sans doute très subjectif, mais je considère qu’elle a pu rayonner avec des personnalités comme les Français Jacques Delors, Edgard Pisani et Pascal Lamy, le Néerlandais Sicco Mansholt, les Belges Karel Van Miert et Louis Michel, l’Espagnole Loyola de Palacio, l’Italien Altiero Spinelli, la Suédoise Margot Wallström, voire le Britannique Leon Brittan. Je n’en dirais pas autant des équipes placées sous l’autorité d’Ursula von der Leyen… à l’exception, peut-être, de Thierry Breton, du reste « en délicatesse » avec sa présidente au sein du précédent collège. Si l’on en croit la presse, il semblerait par ailleurs que, dans la configuration de l’actuelle Commission, la nouvelle haute représentante pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union – l’Estonienne Kaja Kallas – ne brille pas par une habileté dont pouvait se prévaloir son prédécesseur Josep Borrell.
3 – Dans le fonctionnement quotidien des institutions, les projecteurs se braquent volontiers sur l’action de la Commission européenne. Et il est vrai que les traités et les actes qui en découlent l’ont dotée de compétences importantes en matière d’initiative et de gestion.
Mais, précisément sur le terrain de l’initiative, on ne saurait négliger le fait que celle-ci obéit essentiellement à un certain souci de discipline au niveau de la procédure législative. Cela dit, on est loin de la « génération spontanée », puisque le traité sur l’Union européenne lui-même, dans son article 15, reconnaît au Conseil européen, qui réunit les chefs d’Etat et de gouvernement, la vocation de donner à l’Union « les impulsions nécessaires à son développement ». Un tel attribut se situe généralement en amont du pouvoir d’initiative. Du reste, il est fréquent que le Conseil européen, mais aussi le Conseil (au niveau des ministres) et le Parlement européen « invitent » la Commission à prendre telle ou telle initiative, ce qui n’est pas sans importance dans l’engrenage de la mécanique communautaire.
J’ai connu Karel Van Miert à la fin des années 70 comme militant pacifiste anti-Otan, luttant contre la mainmise étatsunienne sur notre armement et notre économie. Désigné Commissaire européen dans les années 80, il devint un chantre de l’ordo-libéralisme promouvant de manière radicale l’économie du libre échange et de la concurrence capitaliste au détriment des droits sociaux et de la protection de l’environnement.
Sicco Mansholt fût, par contre, l’un des pères fondateurs, avec André Gorz, de l’éco-socialisme, pourfendant la croissance sauvage du capitalisme, notamment en agriculture, défendant la petite exploitation paysanne artisanale contre l’intensification industrielle des ressources naturelles.
Deux destinées aux chemins contrastés. L’un a été perverti par les institutions européennes, l’autre en a été ostracisé. Les réunir dans un même éloge me paraît méconnaitre leurs parcours respectifs.
Ce n’était peut-être pas clair, mais ce n’est pas sur ce terrain que je me situais. Mon objectif était de mettre en évidence des personnalités qui ont marqué la Commission européenne. Parmi les commissaires belges, j’aurais pu également citer Etienne Davignon, peu suspect de complaisance envers les idées de gauche. Toujours est-il que le collège actuel – sauf à évoluer d’ici la fin de son mandat en 2029 – ne me semble pas compter de tels « poids lourds » en son sein. En référence à une distinction chère à Edgard Pisani, on pourrait dire que l’administration de gestion prévaut aujourd’hui sur l’administration de mission.
De mon point de vue, « mettre en évidence les personnalités » n’a aucun sens, si on ne tient pas compte des finalités politiques et idéologiques des individus. De la même manière, promouvoir la construction européenne comme objectif ultime n’a aucun sens si on ne questionne pas ses finalités.
Bonjour Monsieur HERLEMONT.
Bien sur, vous avez raison, je rajouterai et leur acceptation.
Tout en ne me réclamant pas du gaullisme, je persiste à penser que l' » « équation personnelle » qu’évoquait le Général compte parfois autant que l’idéologie plus ou moins protéiforme dans la vie politique… notamment face à ce qu’un de mes professeurs appelait « l’impérialisme des faits » – ce dernier conduisant parfois à adapter les comportements, au demeurant sans devoir nécessairement se déjuger de l’essentiel.
Quant aux finalités de la construction européenne, y compris à l’aune de ses « valeurs », je me permets de vous renvoyer à l’ouvrage que Patrice Obert (qui, lui aussi, signe souvent des commentaires sur le présent site) et moi avons publié en 2024 chez l’Harmattan sous le titre « L’Europe et ses défis ».
Bonjour Monsieur VERNIER.
Voir la réponse que je fais à Monsieur LAFFINEUR ce jour 15/09 à 11h26.
Cordialement.
Comme trop souvent, ce caquetage de poulailler, fût-il énergique, ne brasse que du vent. L’allergie au concept d’une Europe forte face à des Etats continents qui ne nous veulent pas que du bien est patente. Et une telle Europe ne peut qu’être un Etat supranational, souverain vis-à-vis du reste du monde et souverain vis-à-vis de ses Etats membres fédérés (c’est-à-dire, pour mettre les points sur les i, indépendants pour ce qui concerne les questions de niveau national, meilleure façon de respecter jalousement les identités spécifiques, tout le contraire d’un « globiboulga mondialiste » comme tentent de le faire accroire les prétendus « patriotes »). Mais nous sommes désormais entrés de plain-pied dans l’ère de la post-vérité: ce qui est rationnel n’a plus cours. Alors jasons, gloussons, et inch’allah!