Les deux verrous qui bloquent la sortie de crise en zone euro: la surévaluation de l’euro et l’absence d’inflation

 

 

Face aux différents maux qui affectent aujourd’hui la France comme un grand nombre d’autres pays de la zone euro et la France, la stratégie mise en avant par les instances européennes est double :

Redresser la compétitivité par des réformes structurelles renforçant la flexibilité de l’économie, augmentant la productivité et baissant le coût du travail (par la compression des salaires et le basculement de la pression fiscale des entreprises vers les ménages) ;

Redresser les finances publiques en mettant fin aux déficits excessifs selon les délais prévus par la gouvernance européenne, ce qui passe également ici par des réformes structurelles sur les administrations publiques et la protection sociale pour maîtriser la hausse tendancielle des dépenses publiques.

A l’appui de cette stratégie, la politique monétaire ultra accommodante de la BCE avec un taux directeur (0,25% depuis le mois dernier) proche de zéro, des banques noyées sous les refinancements, et la promesse de « faire tout ce qu’il faut » en cas de nouvelle crise grave sur les marchés menaçant la survie de l’euro. Le coût des dettes publiques se trouve ainsi maintenu à des niveaux soutenables le temps que les pays aient achevé leur ajustement budgétaire; les banques ont suffisamment de fonds pour continuer de prêter à l’économie.

Mais la politique monétaire semble largement impuissante face aux deux écueils qui risquent de faire dérailler cette stratégie de sortie de crise.

La surévaluation de l’euro. Le taux de change contre dollar atteint 1,36 aujourd’hui alors qu’il était de 1,17 au moment de l’entrée dans l’Union Monétaire en 1999. Cette surévaluation accroît les phénomènes de délocalisation et empêche les pays membre soumis à l’austérité budgétaire de compenser par une hausse de leurs exportations la baisse de la demande intérieure. A chaque conférence de presse, Mario Draghi rappelle rituellement que le taux de change ne constitue pas un objectif de la politique monétaire et, au demeurant, les mesures récentes de la BCE n’ont absolument eu aucun impact sur l’évolution du taux de change. Le vrai moyen pour obtenir une dépréciation de l’euro serait que la zone accumule des déficits extérieurs croissants : hors c’est tout le contraire qui se produit aujourd’hui sous l’effet des excédents commerciaux qu’accumule l’Allemagne vis-à-vis du reste du monde. La balance des transactions courantes de la zone euro devrait ainsi afficher un excédent de 3% du PIB alors qu’elle était tout juste équilibrée avant le début de la crise.

L’absence d’inflation dans la zone, qui est aussi le résultat de la surévaluation de l’euro mais pas seulement, pose le problème du redressement de la compétitivité des pays membre vis-à-vis de l’Allemagne. Pour cela, ils ont besoin d’avoir des coûts de production qui augmentent durablement moins vite ce qui suppose donc une inflation plus basse qu’en Allemagne. Ceci est bien le cas aujourd’hui mais les niveaux très bas d’inflation constatés partout dans la zone euro font que le différentiel d’inflation entre les pays membre est trop faible pour obtenir rapidement des gains de compétitivité significatifs. Au rythme actuel, et sauf à ce que les pays d’Europe du sud entrent en déflation ce qui poserait d’autres problèmes, il faudrait des dizaines d’années pour que le handicap de compétitivité vis-à-vis de l’Allemagne accumulé depuis le début de l’Union monétaire puisse être résorbé

Comme on le voit, les problèmes actuels de la zone euro ne sont pas liés au Monetary stance qui est allé jusqu’au bout de ses possibilités mais à la divergence qui s’est créé entre l’Allemagne d’une part, le reste de la zone euro d’autre part. Pour corriger cette divergence, il n’y a que deux options théoriquement possibles : soit une politique reflationniste en Allemagne, soit une politique déflationniste dans le reste de la zone euro. C’est la seconde option qui a jusqu’ici été poursuivie mais qui rencontre les limites décrites plus haut. La première option se heurte pour sa part au refus absolu des allemands de générer chez eux plus d’inflation et plus de déficit public – refus qui tient à la fois à leur histoire et à l’état de leur démographie. Dans ces conditions, le débat autour de la politique économique à mener pour sortir de la crise en zone euro n’est pas près de se terminer.

 

Billet du blog des auteurs de l’ouvrage les politiques budgétaires dans la crise

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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3 Commentaires

  1. Bonjour,

    La concertation entre les pays européens est abordée, dans cet article, sous l’angle de la politique monétaire.
    La BCE constitue un des acteurs majeurs de cette politique concertée.
    Il suffit de voir l’historique des actions de la BCE durant la crise ( http://www.ecb.europa.eu/ecb/html/crisis.fr.html ) pour noter sa particulière efficacité à appliquer la politique pour laquelle elle a été missionnée.

    L’article montre également que la politique monétaire est un des éléments d’une politique économique et que la concertation sur cette seule politique monétaire est une impasse.
    Cet article ouvre donc le débat sur les conditions d’acceptabilité d’une concertation des politiques économiques.

    Peut on accepter une concertation plus contraignante des politiques sociales et industrielles pour résoudre la crise européenne ?
    Le débat des élections européennes ne devrait il pas clarifier cet enjeu ?

    Cordialement
    Gilles CANDAU

  2. Merci pour cette analyse très claire,

    Vous montrez en particulier l’effort de compétitivité – qui en effet peut bien paraître central et nécessaire.

    Puis vous montrez le long glissement, et l’écart de compétitivité qui s’accroît entre l’Allemagne et les autres membres de l’UE, nous conduisant à « quelque impasse » de la Gouvernance Commune Soutenable et Désirable…

    Cependant je ferais volontiers trois remarques qui n’ont bien sûr pas pour objectif de se présenter comme des condamnations :

    Premièrement en fait la convergence entre les pays de l’UE depuis quinze ans – en termes de pouvoir d’achat comme en termes de compétitivité – existe ; mais elle est très lente. Et depuis la crise financière de 2007-8 nous savons que des pays en particulier au Sud de l’Europe risquent de s’enfoncer progressivement (d’abord pas un dérapage annoncé des finances publiques ; puis divers risques de convulsion par exemple sociale…].

    Dans ces conditions l’approche monétariste européenne doit être poursuivie : l’euro n’est pas trop fort ; son niveau est la conséquence de la bonne tenue de la balance courante extérieure comme vous le soulignez.

    Mais le vrai problème est plutôt la séparation systémique qui tend à s’instaurer entre d’une part l’approche monétariste de l’économie, et d’autre part l’approche réelle. Il me semble qu’il faudrait se demander comment nourrir le débat social autour de cela – plutôt que de suggérer un démantellement du noyau constitué autour de l’euro… Il est vrai qu’un Serpent Fiscal Européen tel que D. PLIHON l’a proposé devrait selon moi pouvoir entrer dans les débats de façon relativement urgente… car sinon on risque de « rétropédaler »…

  3. Merci pour cette analyse très claire,

    Vous montrez en particulier l’effort de compétitivité – qui en effet peut bien paraître central et nécessaire.

    Puis vous montrez le long glissement, et l’écart de compétitivité qui s’accroît entre l’Allemagne et les autres membres de l’UE, nous conduisant à « quelque impasse » de la Gouvernance Commune Soutenable et Désirable…

    Cependant je ferais volontiers trois remarques::

    Deuxième remarque suivant mon commentaire précédent un peu long :

    depuis la chute du mur de Berlin, alors qu’en Europe Occidentale on espérait un rapprochement des fiscalités nationales notamment une convergence des taux d’impôt sur les sociétés dans les différents pays de l’Union Européenne, en fait le « choc » lié à l’ouverture a été si important que les « petits pays ouverts » – comme l’Irlande – ont appliqué une stratégie de « benchmarking fiscal » plutôt en référence aux pays de l’ex-URSS qui étaient des « absolute beginners » – car les « petits pays ouverts » ont toujours du beaucoup plus être flexibles que la France, voire, d’autres grands pays – qu’en référence à la France, l’Allemagne, en somme les pays fondateurs. Par conséquent il faut vraiment à mon avis réfléchir à l’idée du « Serpent Fiscal Européen » de D. PLIHON.

    Quant à l’inflation, elle peut être apparemment basse partout – aux différences près par classes sociales – mais la résolution du problème me paraît désormais concerner plus la voie fiscale que la voie monétaire (baisse autoritaire du cours de l’euro impossible sans débloquer toutes les contraintes à la fois donc accélérer le naufrage…] ; afin de faciliter une relance ne vaudrait-il pas d’abord mieux aborder l’ascension vers un nouveau sommet de Gouvernance par la voie fiscale, avant d’envisager des voies financières : ce troisième et dernier chemin (financier, avec monétaire et avec fiscal…] est de toutes façons ouvert absolument car les Banques Centrales cherchent à capter et redistribuer généreusement les liquidités existantes dans le monde. On peut penser qu’un léger effet d’ivresse du à une légère inflation ne serait envisageable (dans un second temps…] que si on arrive à la ramener à un Projet Social – par exemple facilité par une plus grande responsabilité des régions dans les décisions d’investissement, comme c’est prévu dans le Budget 2014-20…

    Mon troisième et dernier commentaire est donc forcément :
    dans les années 1980′ et 1990′, on espérait aussi une politique industrielle commune, des géants industriels européens. Ceci aussi a pris beaucoup de retard. Le Professeur François MORIN a montré que dans les années 1980′ l’Europe des banques et des marchés financiers s’est constituée. Mais aujourd’hui on attend une politique industrielle plus ambitieuse. Ce n’est pas une remarque anodine car renvoie encore à la nécessaire dimension sociale de toutes les politiques que l’on pourrait proposer. Vivre et travailler en Europe, est a priori plus ardu qu’aux Etats-Unis d’Amérique ; car il faut au départ maîtriser plusieurs langues. Mais sitôt que l’on maîtrise deux ou trois langues on est capable d’en assimiler bien plus encore… Voilà une perspective européenne dure au départ, plus facile après.

    Il est donc nécessaire de résister sur nos fondamentaux.
    Résister sur la valorisation de l’euro.
    Essayer de proposer des sujets sociaux, soit par des financements incitatifs (passant par les régions…], soit en ayant une approche sectorielle en face de l’approche macroéconomique qui se débat entre monétaire et monétarisme, et essayer de montrer quels « raccourcis » on suggérerait.
    Mais la contrainte principale reste toujours la même : un vecteur central a le droit de rester rigide, et il faut faire davantage de pédagogie sur un calendrier, et organiser le débat entre les partenaires en particulier sociaux…

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