Le rêve, la dette et le progressiste

Les seismes à répétition de la crise économique de 2008 et les craquements qui à sa suite se sont faits jour en Europe ont remis en cause les fondamentaux de la gouvernance mondiale et européenne et notre relation à la politique, sinon aux évènements.

En nous faisant passer sans crier gare de catégories aux contours flous et confortables aussi bien dans l’incantation que dans la critique (la mondialisation, l’interdépendance, l’Europe etc…) à des problématiques techniques qui ne souffrent plus les approximations, le cataclysme qui menace nous oblige à réviser notre matrice et à entrer dans le détail des leviers de ce que peut être aujourd’hui l’action politique.

En effet si le lent mouvement de globalisation des trente dernières années avait jusque là pu donner l’impression qu’il portait la marque d’un consensus et d’une volonté, même si des pertes de souveraineté s’imposaient, ces certitudes ont laissé place en à peine trois ans à une inquiétude généralisée sur la capacité des politiques et des organisations internationales à comprendre et à traiter la crise actuelle. De « Wall Street » à « Y a-t-il un pilote dans l’avion » avant peut être « Apocalypse now », pour faire court et dans une chronologie cinématographique révisée.

Au milieu du courant, les Européens, désemparés, se sont d’abord accrochés aux rives les plus familières : leurs gouvernements pour la plupart d’entre eux, les institutions européennes (Parlement, Commission, Banque centrale, Euro-groupe), le FMI et le G20 pour les plus audacieux/idéalistes/inconscients (biffez les mentions inutiles).

Avant de comprendre finalement qu’avec les subprimes et les produits dérivés (« inventés par des jeunes et que la vieille génération au pouvoir n’a pas compris », pour reprendre le mot d’Eric Le Boucher) et la crise de la dette souveraine européenne, la complexité des interconnexions financières et le cercle sans fin des déséquilibres européens (les banques qui prêtent aux Etats qui s’endettent toujours plus pour pouvoir rembourser les banques) condamnaient leurs gouvernants à la navigation à vue, faute de compas ou de volonté.

Alors que les discussions en cours pour éviter le naufrage de la Grèce sont un nouveau signe de cette incapacité ou de ce refus de reconnaître la vraie nature des défis à affronter – ici celui de l’insolvabilité d’un Etat membre qu’on traite comme une simple crise de liquidité par des mesures qui contiennent en elles les germes de leur échec ( plus de prêts et plus d’austérité = moins de croissance et un ratio d’endettement mécaniquement en hausse), nous ne devons pourtant pas désespérer de l’Europe car elle peut nous offrir encore des voies de sortie pour reprendre en main les cartes, pourvu qu’on essaie de précéder les évènements au lieu de les subir.

Pour initier le débat et défricher les pistes qui nous aideront à sortir de la paralysie actuelle, nous proposons ici de structurer notre approche autour des trois thèmes pivots autour desquels se jouera notre avenir : la dette, le choc démographique et générationnel et les ressources alimentaires et énergétiques. Ils présentent l’avantage d’être à la jonction du national et du bruxellois, ce qui les rend opératoires à tous les niveaux, et d’interagir entre eux et avec l’essentiel des problématiques de seconde ligne, ce qui donnera de la cohérence à nos propositions et en assurera la profondeur de champ.

Par ailleurs, la nature des problèmes à traiter impose aussi de définir une séquence afin d’améliorer l’efficacité et la lisibilité de nos propositions et d’éviter l’effet de trop-plein.

Sur la base de premières propositions qui restent à compléter et à discuter, la sortie de crise et notre capacité financière et conceptuelle à proposer un projet pourrait s’articuler en trois temps :

– à court terme, il semble indispensable de trouver un accord entre Etats membres sur un triple mécanisme de résolution de la crise de la dette souveraine européenne qui passerait par (1) une augmentation très nette (2000 mds €) des capacités d’interventions du fonds européen de stabilité financière et de son successeur le mécanisme européen de stabilité grâce à des fonds mis à disposition par la Banque Centrale européenne, seule institution pouvant répondre vite aux besoins, (2) l’approbation d’un instrument européen de résolution des faillites bancaires (special resolution regime, comme il en existe aux Etats Unis) et (3) un mécanisme européen de gestion du défaut sur la dette souveraine, par un mécanisme institutionnel de restructuration (type FMI) ou par une approche contractuelle entre créanciers et débiteurs.

– à moyen terme et une fois l’incendie éteint, il faudra bien entendu s’accorder sur la gestion au long cours des déséquilibres de compétitivité à l’intérieur de l’Union européenne, qui pourrait passer soit (1) par la monétisation de la dette par la BCE, (2) par des transferts fiscaux entre Etats (le marché européen représente 65 % des exportations allemandes et on peut penser que l’Allemagne voudra à un moment en assurer le financement, tout comme la Chine soutient son client américain en lui achetant des bons du trésor) ou (3) par l’émission d’euro-obligations (l’augmentation du budget européen et l’introduction d’une fiscalité européenne pouvant aussi fournir des leviers, mais qui ne sont pas à eux seuls suffisants vus les montants à mobiliser).

– enfin, puisque cette Europe sauvée des eaux serait mort-née si elle ne devait avoir qu’une dimension financière et fiscale, il faut aussi dans une perspective de long terme définir quelle peut être la cohérence économique et sociale de l’Union dans le contexte mondial de l’émergence de nouvelles grandes puissances économiques. C’est ici que l’on pourra aborder le pacte entre générations pour faire face au double choc de l’allongement de la vie et du poids de la dette sur les jeunes, les réponses à apporter à la baisse de la démographie européenne et aux pressions migratoires à nos frontières, les défis commerciaux et la défense de nos intérêts, ainsi que notre gestion des ressources et le passage à une nouvelle régulation énergétique.

Faute d’accord sur les deux premiers points, il nous semble illusoire de pouvoir disposer des marges de manœuvre suffisantes pour donner corps à un vrai projet d’avenir. Nous espérons que notre plateforme d’échanges aidera à mieux appréhender ces contraintes pour donner plus de crédibilité au projet qu’elle veut porter.

 

François Schwartz

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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1 COMMENTAIRE

  1. Merci pour cet article dynamique et novateur ! N’ayons pas peur, en effet, d’affronter les situations critiques par une concertation sur les solutions techniques.

    Mais n’oublions pas l’aventure inaugurale qui continue de porter l’Europe dans le sillage d’EUR-OPE : si une monture aussi merveilleuse que dangereuse a ravi une jeune princesse – venue du fond de l’Orient comme du temps – à travers la mer et la nuit pour transformer son nom phénicien de CREPUSCULE en VASTE-VUE par son accostage forcé en Crète, les remous les plus effrayants peuvent toujours se changer en chances de dialogue créateur. Il suffit pour le croire de se rappeler qu’EUROPE a fait surgir L’EUROPE en délivrant sur le premier rivage de la civilisation occidentale les trésors phéniciens qui restent nos irremplaçables moyens de contact : les techniques nautiques et l’art alphabétique, pour naviguer non pas à vue, mais en équipage, même global.

    Loin de nous emporter hors de la réalité que nous avons le devoir toujours urgent d’organiser et d’humaniser, ces antiques fondamentaux continuent donc d’offrir à la liberté solidaire apparue en Europe les fondements démocratiques de la lucidité, de l’audace et de l’invention.

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