Le sujet des passeports dorés maltais appelle cette question en forme d’énigme que vient de traiter la Cour de justice de l’Union européenne, énigme car la réponse devrait sembler évidente : la nationalité d’un Etat membre relève de cet Etat membre seul.
Oui, mais non. Non, car la nationalité d’un pays membre est également une citoyenneté européenne, et donc l’affaire de tous. La Cour avait déjà eu à s’inquiéter de privation de nationalité par retrait pour fraude, par non usage et par renonciation accidentelle. La France n’ayant pas mis en place la déchéance de nationalité, le cas du retrait comme sanction n’a pas encore été traité, mais il y’a peu de suspense sur le résultat. La Cour avait estimé que compte tenu de la gravité de l’atteinte aux droits de la personne concernée, l’Etat devait opérer un contrôle sévère de proportionnalité et pouvait même avoir l’obligation de refuser une renonciation à la nationalité. Pour autant, le droit de principe des Etats membres de disposer de leur nationalité est confirmé, au nom de la protection d’un « rapport particulier de loyauté et de solidarité » entre les Etats et leurs ressortissants.
Et voici le cas inverse auquel on s’attendait peu : interdire à un Etat membre d’octroyer sa nationalité. La bonne République de Malte, qui fait partie des dix plus petits pays au monde, a eu l’excellente idée de donner sa nationalité aux personnes qui :
- Donnent 600.000 euros au gouvernement
- Achètent un bien immobilier pour une valeur de 700.000 euros
- Font un don de 10.000 euros à une association ou une fondation, c’est mignon
- Ont une résidence légale sur l’île de 36 mois, mais ça se négocie s’ils payent plus
Chypre avait mis en place un système similaire, mais y avait renoncé sur la pression de la Commission. Ceci ressemble furieusement à un achat de nationalité et démontre si l’on voulait être mauvaise langue un « rapport particulier de loyauté et de solidarité » . La Cour, qui a condamné ce schéma mardi dernier dans sa formation de grande chambre se trouve contrainte d’aller plus loin dans le contrôle des Etats sur un sujet éminemment passionnel. Elle indique si les Etats définissent eux-mêmes les conditions de floraison du « rapport particulier de loyauté et de solidarité » , ils ont une « large marge d’appréciation » qui doit néanmoins s’exercer dans le respect du droit européen. Les limites relevées sont de deux ordres.
La première est théoriquement la plus fondamentale : il faut respecter les valeurs de l’Union européenne, portées au fronton de l’article 2 du TUE. Ceci signifie qu’on est pas censé donner la nationalité européenne à des dictateurs en rupture de ban ou à des génocideurs, par exemple. Dans le cadre de la procédure lancée par la Commission européenne, Malte avait notamment lâché du lest en 2022 en fermant les portes aux « investisseurs » russes et biélorusses.
La seconde est le respect de la confiance légitime entre Etats membres. Un citoyen européen peut en effet aller partout en Europe. De fait, les campagnes de publicité pour ces passeports dorés mettaient essentiellement en avant ce caractère européen de la nationalité maltaise. Une citoyenneté frauduleusement acquise est donc un problème pour les autres Etats qui met en péril les coopérations de sécurité, mais aussi sociales.
Alors, la nationalité est-elle encore pleinement nationale ? La Cour de justice est-elle en train, subrepticement, machiavéliquement, de substituer une nationalité européenne à nos « rapports particuliers de loyauté et de solidarité » avec nos vieux pays ? Plus simplement sans doute, ceci montre que même dans les domaines les plus symboliques, les responsabilités nationales et européennes finissent par s’enchevêtrer. La subsidiarité est moins une épée de Salomon qui sépare les domaines nationaux et européens qu’une pratique du doigt mouillé pour trouver un équilibre entre ce qui est mieux traité au niveau transnational et ce qui est constitutif du national.