La démocratie ? « Trop compliqué »

Nous vous avions annoncé le dépôt d’un amendement au Sénat pour défendre l’équilibre de temps de parole entre les différentes familles politiques sur les sujets européens dans les grands médias audiovisuels. Nous sommes au regret de devoir vous annoncer qu’il a été repoussé, avec un accord du rapporteur Mme Françoise Gratel et du Ministre M Partick Kanner. Nous devons à la vérité de dire que les arguments qu’ils ont soulevé sont consternants.

Pour Mme Gratel, le Sénat a souhaité recentrer le texte sur l’égalité et la citoyenneté. La vérification que toutes les familles de pensées politiques trouvent à s’exprimer équitablement sur l’espace de débat européen lui semble éloignée de la notion de citoyenneté. Sans commentaire. Elle ajoute que ce comptage nécessiterait de repenser des règles qui sont conçues au niveau national. Ma foi, nous pouvons commencer par la France. Enfin une instance « purement nationale » comme le CSA n’a pas de comptes à rendre à une institution européenne. Voici qui pour le coup est étonnant de la part de quelqu’un qui se définit comme sensible à la cause européenne: le fonctionnement politique de l’Europe n’est justement rien d’autre que la mise en tension des différentes institutions purement nationales. Rappelons ici que le CSA participe pleinement à l’élaboration et au suivi du droit européen et qu’il appartient au réseau des régulateurs européens. Enfin et surtout cela sous-entend qu’une institution purement nationale ne pourrait soumettre volontairement de l’information aux institutions européennes susceptibles d’être intéressées. Ce dernier argument est un réflexe étroitement antieuropéen dans le sens le plus instinctif du terme: tant qu’on y est pas obligés, loin de nous Bruxelles!

M. Kanner élève le débat en expliquant que ce serait beaucoup de travail pour le CSA, ce dont il est chagrin car l’idée lui plait. Outre que c’est largement faux, les comptages par le CSA s’effectuant largement sur base déclarative des chaînes, l’argument est un peu glaçant. Car enfin, il s’applique tout aussi bien à la protection de notre démocratie nationale et on ne voit pas pourquoi nous ne souhaiterions pas baisser la charge du CSA sur ce chapitre également?

Nous remercions sincèrement M. André Gattolin pour le avoir déposé cet amendement et le brio avec lequel il l’a soutenu. Ensemble, nous continuerons de faire avancer la démocratie par petites touches.

 

Article additionnel après l’article 44 B
M. le président. L’amendement n° 393, présenté par M. Gattolin, est ainsi libellé :

Après l’article 44 B

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 13 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le Conseil supérieur de l’audiovisuel communique chaque mois au président du Parlement européen et aux responsables des différents partis politiques qui y sont représentés ainsi qu’aux personnes mentionnées au deuxième alinéa le relevé des temps d’intervention des personnalités politiques sur des sujets ayant trait à l’action de l’Union européenne dans les journaux et les bulletins d’information, les magazines et les autres émissions des programmes. »

La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Qu’on le veuille ou non, le destin de la France est aujourd’hui indissolublement lié à celui de l’Europe. Indissolublement, car celles et ceux qui croient que l’herbe est plus verte ailleurs feraient bien de suivre ce qui se passe au Royaume-Uni depuis quelques jours. Du fait des conséquences économiques du Brexit, des voix s’élèvent maintenant au sein même du gouvernement britannique pour renoncer à sortir de l’Union européenne dans le cas où le traité qui succéderait à la présence dans l’Union ne serait pas aussi favorable qu’espéré pour le Royaume-Uni.

Qu’on en parle en bien ou en mal, l’Europe est le fantôme de l’opéra politique et médiatique dans lequel nous baignons !

L’amendement que je propose s’inscrit dans le même esprit que la proposition de résolution européenne que nous avions adoptée en 2013 sur l’initiative de notre ex-collègue et très cher ami Pierre Bernard-Reymond, qui visait à créer une station de radio publique consacrée à l’actualité quotidienne de l’Europe et de nos partenaires de l’Union. Il vise à assurer une prise en compte réelle de la sphère publique européenne eu égard à l’équilibre et au pluralisme des courants de pensée.

Ma demande repose notamment sur l’article 16 du décret fixant le cahier des charges de France Télévisions, intitulé « L’Europe », qui dispose que « France Télévisions s’attache à intégrer la dimension européenne dans l’ensemble de ses programmes », afin d’accorder une large place à la connaissance des enjeux communautaires et à l’expression d’une identité européenne.

Ma demande s’appuie également sur le travail mené récemment par le mouvement des Jeunes Européens, qui ont comptabilisé sur le site de France Info TV tous les sujets relatifs à l’Europe pendant onze jours, du vendredi 16 septembre au mardi 27 septembre dernier. Le résultat est sans appel : huit sujets seulement ont été dédiés à l’actualité européenne, soit quinze minutes en onze jours, ou encore quatre-vingts secondes par jour. C’est peu, très peu, trop peu ! Il y avait pourtant de la matière : tenue du premier sommet à vingt-sept sans le Royaume-Uni à Bratislava, discours annuel sur l’état de l’Union de M. Juncker, président de la Commission européenne, affaire de l’ancienne commissaire européenne à la concurrence, Mme Neelie Kroes, suite du Brexit, et je ne cite là que les faits les plus saillants.

Nous devons montrer que l’espace public européen existe. Cet amendement participe de cet objectif, puisqu’il tend à confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel la mission de relever le temps d’intervention des personnalités politiques sur des sujets européens.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Gatel, rapporteur. La centriste que je suis ne peut être que sensible à la cause européenne. Toutefois, je vous rappelle, mon cher collègue, nos principes de rigueur et la volonté de la commission de centrer le texte sur ses objectifs initiaux que sont l’égalité et la citoyenneté. Votre amendement tendant à inclure la sphère publique européenne dans la mission du Conseil supérieur de l’audiovisuel, il me semble un peu éloigné de cet objectif.

Le respect du pluralisme au niveau européen, c’est-à-dire des équilibres entre partis politiques supranationaux, nécessiterait de repenser des règles conçues au niveau national. Il convient cependant de rappeler que, en période électorale, ces règles nationales sont appliquées à l’occasion des élections européennes.

En outre, une instance purement nationale telle que le CSA n’a pas à rendre de compte au président du Parlement européen ni aux dirigeants des différents partis qui y sont représentés.

Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, à moins que vous n’ayez la pertinence de le retirer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Kanner, ministre. Aux arguments de fond qui viennent d’être développés par Mme la rapporteur, j’ajouterai simplement un argument technique : du fait de la multiplication des médias audiovisuels, le CSA n’aura pas les moyens d’assumer cette responsabilité. Je le dis avec tristesse mais avec réalisme, car je partage votre ambition tout en regrettant qu’elle ne puisse pas se traduire dans les faits à la hauteur de ce que vous espérez.

Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Durant la campagne pour le référendum sur le traité de Maastricht, M. Kouchner a eu cette phrase célèbre : « Après Maastricht, on rira beaucoup plus. » Ce que je constate, c’est qu’on rit plutôt jaune ces temps-ci.

Personnellement, je trouve qu’il y a suffisamment de propagande européiste à la télévision. Je souhaiterais plutôt qu’ait lieu un débat de fond sur les raisons pour lesquelles l’espoir mis en l’Europe, et le départ des Britanniques en est l’un des signes nombreux, est loin d’être satisfait. Je ne voterai donc pas cet amendement.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote.

M. André Gattolin. Il me semble que Mme la rapporteur a mal lu mon amendement. Il s’agit non pas d’assurer l’équilibre, mais de communiquer le temps de parole des personnalités politiques européennes. Nous pouvons discuter de la liste de ces personnalités, qui inclura sans doute le président du Parlement européen et les responsables de partis politiques, mais nous sommes quand même dans une forme d’intégration, ou alors je n’ai pas bien compris où en est l’Europe. Il ne s’agit pas de créer une telle mesure puisque celle-ci existe déjà.

Je dirai à M. le ministre qu’il semble malheureusement bien mal connaître le CSA. En effet, ce n’est pas le CSA qui assure cette tâche, mais chacune des chaînes qui communique ces informations. Il s’agit donc simplement de distinguer, parmi les personnalités politiques qui se partagent le temps d’antenne, les eurodéputés et les personnalités politiques qui s’expriment sur l’Europe. Cela n’engendrera aucun coût, aucun travail en plus, sinon pour les médias, qui font déjà cette mesure.

Il s’agit certes d’une mesure symbolique, mais je pense que l’Europe a besoin de symboles pour avancer. En l’absence d’éléments statistiques, on nous renvoie à des réalités fantasmatiques, comme pour la question du suivi de la publicité ou de la représentation des femmes.

Monsieur Collombat, je me fiche totalement qu’on parle de l’Europe en bien ou en mal. Ce que je veux, c’est qu’on en parle.

Permettez-moi de rappeler que j’avais saisi le CSA au moment de l’élection européenne, car il m’avait alors semblé proprement scandaleux que le service public français soit le seul en Europe qui ne diffuse pas le débat des candidats à la présidence de la Commission européenne. Le CSA avait appuyé ma demande, mais France Télévisions n’y a pas satisfait, et c’est bien regrettable.

Mes chers collègues, je maintiens mon amendement et, que vous soyez un tant soit peu Européen dans l’âme ou que vous ayez envie de critiquer l’Europe, je vous demande de l’adopter.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 393.

(L’amendement n’est pas adopté.)

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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4 Commentaires

  1. Deux sujets passent à la trappe dans les débats pour la présidentielle : l’Europe vue comme un facteur de convergence entre les pays pour obtenir une harmonisation des politiques menées avec l’extérieur (guerres, économiques ou non)… et la finance, cette bête glouttonne qui n’en a jamais assez et qui racquette les etats quand c’est nécessaire.
    Nos chers candidats n’en ont rien à faire

  2. Les réactions, rapportées dans l’article, de Mme Gatel et de M.Collombat constituent des contributions intéressantes à l’affinement du concept de « train de sénateur »: à savoir que les nostalgiques des locomotives à vapeur et de l’enfumage qu’elles généraient font prévaloir les voies de garage sur les lignes au service des citoyens-voyageurs. Pas facile, dans ces conditions, de sortir du tunnel !

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