La crise économique est une chance pour la démocratie en Europe

 

Plaidoyer pour l’élection du président de la Commission européenne au suffrage universel

 

Le projet européen donne des étoiles dans les yeux à tous ceux qui s’en approchent de près. Il n’est pas seulement nécessaire, d’un point de vue économique, comme on le fait souvent remarquer. Il est aussi et surtout un marqueur de civilisation : celui de peuples rassemblés autour d’un projet de société. Quoi de plus naturel, alors, qu’il évolue vers la forme politique la plus aboutie que les européens aient inventé, la démocratie ?

 

Seulement voilà, il ne suffit pas de déclamer ces quelques idéaux. Il faut, pour porter le projet, le traîner dans la terre, le salir de cambouis, le passer de mains en mains, afin qu’il ait une chance d’éclore. Et c’est précisément ce qui est en train de se passer avec la crise que nous traversons. Voilà pourquoi l’occasion est à ne pas manquer.

 

Qu’on se le dise, la crise économique a bon dos mais elle ne peut porter tous les maux : l’insuffisance démocratique de l’Union européenne lui est bien antérieure. L’Europe, née officiellement en 1957 avec le traité de Rome, doit en effet patienter plusieurs années après sa majorité pour pouvoir élire pour la première fois, en 1979, ses représentants au Parlement européen. Ce premier pas de démocratie, malgré une augmentation bien réelle des pouvoirs du Parlement au cours du temps, reste malheureusement bien insuffisant. Et pour cause, cette enceinte est dénigrée par la classe politique, qui s’en sert plus comme une antichambre de repli que comme le siège du pouvoir législatif européen. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les citoyens s’en soient progressivement détournés, battant à chaque élection des records d’abstention…

 

Qui plus est, le Parlement n’est qu’un des trois organes politique de l’Union européenne. Il faut également compter avec le Conseil et la Commission, dont le détail des attributions respectives est loin d’être évident, même pour les plus passionnés des europhiles. Au fil des traités et des élargissements, la belle construction européenne s’est donc transformée pour ses citoyens en une machine obscure, un schmilblick technocratique, un « monstre doux » sans visage ni voix. Cela a débouché, entre autres, sur le rejet tonitruant du projet de doter l’Europe d’une Constitution, en 2005.

 

Le second souffle européen

Ce qu’on oublie aujourd’hui, c’est que ce rejet a fait suite à un débat passionnant, que personne n’avait anticipé, pas même les principaux protagonistes, et qui a enflammé l’actualité française des semaines durant. Voilà pour le désintérêt trop souvent prêté aux citoyens sur la construction européenne.

 

Or c’est précisément là que la crise actuelle intervient. La folie des marchés et la faiblesse de l’Europe à surmonter ses divisions imposent en effet à tous les citoyens de l’Union, par un extraordinaire tour de passe-passe dont seule l’Histoire recèle les secrets, un débat dans les mêmes termes. Que penser du plan de sauvetage européen pour résorber les déficits de la Grèce ? Le modèle exportateur allemand est-il généralisable ? Le problème de l’Italie n’est-il pas avant tout politique ? Et quid de la fiscalité du « tigre » celtique ou du chômage espagnol ? Etc, etc.

 

Cette situation est inespérée pour faire renaître le sentiment d’appartenance à un projet, à une ambition, à une destinée commune. Les racines de la démocratie – la grassroot comme disent les américains –, sont en effet dans le débat lui-même, c’est-à-dire la confrontation et l’échange d’idées. Il n’y a pas un peuple européen ? Qu’à cela ne tienne, il est désormais en gestation. Et s’il est également fait de rejets, c’est encore une bonne nouvelle, car en réalité c’est bien davantage l’indifférence qui tue.

 

Il faut désormais tirer les conséquences de cette nouvelle réalité. Tout le monde voit où l’Europe doit se diriger pour continuer à avancer – davantage d’intégration (le fédéralisme) –, mais personne ne sait comment en prendre le chemin. Voilà la clé : il faut redonner au peuple la maîtrise de son destin, en lui donnant la possibilité d’élire le président de la Commission européenne au suffrage universel. Le président qui sortirait de ce processus démocratique, chef d’un exécutif européen déjà en place, serait enfin le vrai visage de l’Europe. Légitime et autonome. Sa campagne s’adresserait aux 450 millions de citoyens européens, qui se prononceraient sur un projet clairement identifié. Celui-ci porterait uniquement sur les défis qui ne peuvent pas être élucidés à l’échelon national : finance, climat, dumpings sociaux, politique extérieure, désindustrialisation, immigration…

 

Un président élu de l’Union ce n’est pas un abandon de souveraineté, puisque la logique nationale garde par ailleurs toute sa pertinence. Bien au contraire, en brisant l’impotence du politique face à la mondialisation, on lui redonne vie. Au final, c’est bien nos vieilles démocraties qui y trouveraient un second souffle. Place au peuple européen !

 

Antoine Aubel

 

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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11 Commentaires

  1. Parfait ! Une seule question : où, quand, comment ? Il y a urgence. A force d’avoir prêché dans le désert… je pense que qu’il y a un certain désenchantement, découragement… qu’est-ce qui peut nous (re)donner espoir dans la reprise du pouvoir par le peuple ?

    • Je crois que chaque génération a un défi à relever en terme de construction européenne. La mienne devra relever celui de l’intégration politique, et c’est en cela que l’idée du suffrage universel me paraît intéressante. Oui il y a urgence, et en même temps je ne sens pas, comme vous, les forces en place mûres pour faire le pas nécessaire. A nous, à cette association jeune et dynamique, de faire entendre la voie du renouveau de la « méthode communautaire », en traçant de nouveaux horizons, de nouvelles perspectives.
      Comment redonner espoir en la démocratie?
      En brisant le cercle de l’impotence, là est bien tout le propos. Si cela n’est pas réalisé par un saut démocratique au niveau supra-national, alors cela se fera par un recul nationaliste. L’un ou l’autre, on ne continuera pas comme ça longtemps.

  2. Plus de démocratie, certes, mais ne commettons pas la même erreur que celle de l’élection du président de la république française au suffrage universel qui nous a conduit à une sorte de monarchie institutionnelle.
    Renforçons les pouvoirs et les compétences du parlement européens et organisons l’élection des principaux responsables de la CE, dont son président, mais pas au suffrage universel direct.

    • C’est vrai que l’élection au suffrage universel direct fait très 5ème république. Mais il n’y a pas raison d’en avoir honte: c’est une forme de démocratie très directe, qui colle bien à l’air du temps.

      L’élection de la Commission au suffrage universel indirect, donc par le biais du vote des parlementaires, ça existe déjà, en quelques sortes. Le président de la Commission est en effet proposé par le Conseil, mais peut être rejeté par le Parlement. Dans les faits c’est donc le Parlement qui détient le pouvoir d’investiture. Cela marche-t-il? Barroso n’a pas toute l’indépendance que nécessite sa fonction; il ne pourrait jamais critiquer ouvertement un « grand pays » par exemple (même pour défaut de gestion des deniers publics). Et de plus, il n’a eu aucun candidat concurrent lors des deux dernières élections, malgré son bilan très maigre.

      Il est temps de passer à la vitesse supérieure..!

    • C’est que je comptais dans mon chiffre la population en âge et en droit de voter. Mais je le reconnais, le calcul est un peu « à la louche » 😉

  3. Je ne suis d’accord .la commission a vocation à devenir le gouvernement de l’UE.Elle est déja responsable devant le PE.J’aime mieux la proposition que les partis europeenns désignent au moment des élections européennes une personnalité qui serait le futur président de la Commission

    • C’est la voie du suffrage indirect. On en parle, et en même temps je ne peux m’empêcher d’être du même avis qu’Arnaud. Les candidats des différents groupes à ce poste devraient en toute logique être connus. C’était le cas de Barroso pour le PPE. Seulement, l’exemple du groupe socialiste (le PSE), tellement hétérogène dans sa composition qu’il n’a pas été capable de sélectionner un candidat à présenter contre Barroso lors de la dernière investiture, doit faire réfléchir.

      Je trouve que cette idée manque d’ambition; il faut trouver un visage pour l’Europe, une voie référent qui jouisse de toute l’autonomie nécessaire, sans forcément lui changer les attributions qui ont été décidées jusque là.

      (A défaut de mieux, je me raccroche à l’idée du suffrage indirect. En ce sens, la décision prise à la dernière convention du PSE de sélectionner le candidat en lice par une primaire démocratique est une réelle bien que timide avancée)

    • Voir dans un premier temps mon commentaire précédent.

      A défaut de mieux, c’est vrai que la mini-avancée qui consisterait à désigner sur la liste de vote des élections européennes le candidat au poste de président de la Commission, ça serait déjà ça. Mais dans la réalité, on sait déjà – ou du moins on devrait savoir – qui va se présenter pour les différents groupes politiques. Ces choses là ne se font pas du jour au lendemain.
      En ce sens, le parti socialiste européen a récemment acté le fait d’organiser des primaires d’investiture du candidat socialiste à ce poste pour la prochaine investiture. C’est une avancée.

      Mais dans cette logique, on ne va pas loin car on revient aux mêmes problèmes qu’aujourd’hui: le président manque de légitimité, de visibilité, d’indépendance face aux grandes nations. Or il est en charge de faire triompher l’intérêt général sur les intérêts nationaux de chacun. Il faut donc, à mon avis, sortir de cette relation de dépendance, et donner enfin une vraie voie à l’Europe.

  4. Proposition pour une transformation de fond de l’Union européenne

    La participation aux élections européennes est en baisse d’élection en élection. Plus de six européens sur dix considèrent que leur voix ne compte pas dans l’Union européenne (UE).
    Le dernier Eurobaromètre constate que les mesures suivantes sont jugées efficaces :
    – Un rôle plus important de l’UE dans la régulation des services financiers 73%,
    – Une supervision de plus près par l’UE des activités des groupes financiers internationaux les plus importants 77%,
    – Une plus forte coordination des politiques économiques entre tous les Etats membres de l’UE 79%,
    – Une supervision de plus près par l’UE à chaque fois que de l’argent public sert à secourir des banques ou des établissements financiers 78%,
    et les répondants seraient favorables à :
    – Des règles plus sévères en matière d’évasion fiscale et de paradis fiscaux 89%,
    – L’instauration d’une taxe sur les profits faits par les banques 82%,
    – L’instauration d’une taxe sur les transactions financières 65%,
    – La réglementation des salaires dans le secteur financier (p.ex. les bonus des traders) 82%,
    – Une supervision de plus près de ce qu’on appelle les « fonds spéculatifs » 76%.
    Qu’ont fait les institutions européennes ?
    Depuis la crise de l’Euro, plusieurs chefs d’Etat évoquent la nécessité de modifier le traité de Lisbonne. Le traité de Lisbonne, qui consacre la méthode intergouvernementale, malgré que le Parlement européen ait vu augmenter son pouvoir de co-décision, est le résultat d’une manipulation après les deux référendums négatifs en France et aux Pays-Bas à propos du Traité dit Constitutionnel (TCE).
    Sur le plan démocratique, il serait inacceptable que les chefs d’Etat ou de gouvernement (même seulement ceux de la zone euro) modifient les traités sans avoir convoqué au préalable une Convention et sans que des débats ne soient organisés dans toutes les régions de l’UE avec les citoyens et les organisations de la société civile.

    Après les votes négatifs en 2005, le débat sur le projet de l’Europe ne s’est pas ouvert avec le plan D annoncé par le Conseil européen le 18 juin 2005 et officiellement lancé par la Commission européenne le 13 octobre 2005. Un plan D a été présenté comme dialogue, débat, démocratie. Il n’en a rien été, pourtant, il devient nécessaire qu’une majorité de citoyens s’intéressent à l’Europe, car :
    – les choix européens influent sur notre vie quotidienne et nos futures conditions de vie. Ainsi, en 1994, la moitié des lois votées par le Parlement français était d’origine Bruxelloise. Ce pourcentage est passé en 1999 à 60 % pour monter à 70 % en 2004.
    – l’Europe est marquée par une régression démocratique. Il y a un transfert du pouvoir d’États démocratiques à une Europe marquée par un déficit démocratique.
    – l’Europe se construit contre les européens, contre la société civile, et sur la base d’un modèle qui n’est pas en accord avec son identité ni avec la période de mutation que nous vivons.
    – le destin de l’Europe dépend de chacun d’entre nous, de notre volonté de s’informer, de comprendre.

    Deux institutions européennes pourraient jouer un rôle dans l’organisation d’un véritable plan D pour dialogue, débat, démocratie : le Comité économique et social européen (CESE) et le Comité des Régions (CR).

    Le CESE et le CR pourraient organiser en février-mars 2012 une conférence, avec les organisations de la société civile, dont le thème serait : Pour un nouveau Pacte sociétal, repenser et construire une autre Europe.
    Le débat sur un nouveau Pacte sociétal pourrait ensuite avoir lieu dans toutes les régions de l’UE et déboucher sur une troisième Convention chargée de réformer les institutions, remédier au déficit démocratique et rédiger une véritable Constitution respectueuse de la diversité des cultures européennes et de sa structure anthropologique.
    En effet les travaux d’Emmanuel Todd ont montré que l’Europe est composée d’une mosaïque de quatre types familiaux exogames (famille nucléaire égalitaire, famille nucléaire absolue, famille souche, famille communautaire exogame). Emmanuel Todd a montré que l’Europe est fondée sur une structure anthropologique polycentrique, et toute la difficulté (mais c’est aussi toute la richesse de l’Europe) consiste à respecter chacune de ses composantes et à les coordonner.
    Or les traités n’ont été basés jusqu’à présent sur le marché et la concurrence. Le progrès n’est mesuré que par la seule croissance du produit intérieur brut, qui ne tient pas compte :
    – ni de la répartition des richesses dans les différentes couches sociales et dans les différentes régions de l’UE,
    – ni des défis environnementaux (en particulier du possible changement climatique),
    – ni de la finitude des ressources,
    – ni de la consommation d’externalités,
    – ni de la différence entre le capitalisme patrimonial (capital productif, long terme, stabilité et rétroactions négatives) et le capitalisme autoréférentiel de la liquidité (capital financier, marché à très court terme, instabilité et rétroactions positives),
    – etc.

    La crise de l’euro, monnaie unique, provient entre autres choses, de son incapacité à faire face à la diversité des situations et de leurs évolutions aussi bien à court qu’à long terme, comme l’avait prévu Maurice Allais.
    Les traités n’ont pas tenu compte jusqu’à présent que d’une démarche “idéologique” basée sur le marché et la concurrence. Cette théorie “idéologique” des marchés et de la concurrence sont pris en eux-mêmes et d’un point de vue causal, qui consiste à interpréter l’écart existant entre le modèle et la réalité comme une défaillance de la réalité et non pas une erreur du modèle.
    Il en va ainsi de la loi de l’offre et de la demande qui ne tient pas compte de la diversité des structures anthropologiques, ni des trois composantes du hasard (la hasard bénin ou probabilisable, le hasard chaotique et le hasard lent).
    Il serait temps que des débats soient organisés pour faire comprendre l’héritage historique de l’Europe, son identité et sa finalité en ne confondant pas la scientificité des sciences de la nature avec celle des sciences sociales. Et en particulier l’économie de marché, telle que définie par les traités et en particulier parle traité de Lisbonne, fait pauvre figure dans son aptitude à rendre intelligible le réel.

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