Face au repli identitaire : comment entretenir des partenariats universitaires entre l’Europe et le monde ?

A compter du 1er janvier 2026, le gouvernement américain envisagerait de suspendre 38 universités, dont Harvard, Yale et Stanford, d’un programme fédéral de collaboration en matière de recherche intitulé Diplomacy Lab en raison de leur implication continue dans des initiatives en faveur de la diversité, de l’équité et de l’inclusion (DEI). Les Etats-Unis subissent déjà les conséquences des récentes politiques d’immigration et de visas puisque, à l’automne 2025, le nombre de nouveaux étudiants internationaux y a chuté de 17%.

Aux Pays-Bas, un an de gouvernement populiste a suffi pour inciter les universités à freiner la création de programmes académiques en anglais afin de réduire l’inscription d’étudiants étrangers. Le Danemark planifie également de restreindre le droit de leurs conjoints à s’installer avec eux ou de demeurer dans le pays à l’issue de leurs études.

Au Royaume-Uni, les mesures post-Brexit ont non seulement mis un frein aux étudiants européens en réinstaurant des visas coûteux et en doublant les frais d’inscription à l’université The Migration Observatory a noté une chute des inscriptions à un nouveau cursus dans les universités britanniques de 57% entre 2020 et 2023  mais, de surcroît, le gouvernement prévoit de renforcer les contrôles migratoires pour y accéder.

Les exemples sont nombreux dans les pays anglo-saxons et dans ceux gouvernés par des partis populistes. La multiplication des tensions identitaires, la remise en cause de la mobilité internationale et les tentatives de réaffirmation souverainiste fragilisent ainsi régulièrement les coopérations universitaires. Pourtant, celles-ci demeurent des vecteurs essentiels de stabilité, de diplomatie culturelle et de diffusion des valeurs européennes. Si l’environnement extérieur se durcit, les universités européennes conservent des leviers puissants pour maintenir des partenariats de qualité.

Trois axes apparaissent aujourd’hui déterminants :

  • s’appuyer sur les acquis académiques
  • s’adapter aux contextes politiques nationaux
  • sécuriser les coopérations autour des valeurs européennes.

En dépit d’une actualité se focalisant sur la morosité internationale, les échanges académiques et scientifiques sont florissants et en constante augmentation. En 2025, l’UNESCO dénombre 6,9 millions d’étudiants en échanges dans le monde. L’UE et les six pays tiers associés comptabilisent près de 1,5 million d’étudiants Erasmus par an. Le succès est tel que le Royaume-Uni a demandé à revenir dans Erasmus+… Les universités courent après les reconnaissances européennes, à l’instar du label « Bienvenue en France » ou des alliances comme l’International Association of Universities, et rivalisent surtout pour obtenir des financements européens pour soutenir leurs projets académiques ou scientifiques. Le budget alloué à Erasmus+ en 2026 s’élève à plus de 5 milliards d’euros.

S’appuyer sur les acquis académiques et scientifiques

L’Europe dispose d’une tradition séculaire de circulation des savoirs. Les universités ont bâti depuis près de 40 ans des infrastructures académiques communes, qui absorbent mieux que d’autres secteurs les crispations politiques.

Les programmes européens constituent un socle résilient : Erasmus+, Horizon Europe, les universités européennes ou les réseaux comme CIVICA, EUTOPIA, Una Europa ou plus récemment EUNICE ont créé des plateformes d’échanges pédagogiques et de coopération scientifique. Même lorsque certains États membres adoptent des discours plus identitaires, ces alliances demeurent actives.

Les coopérations internationales déjà consolidées résistent mieux aux chocs politiques. Les partenariats franco-allemands, par exemple, restent parmi les plus dynamiques au monde, soutenus par l’Université franco-allemande (UFA).

Les projets structurants créent une inertie positive. Les cotutelles de thèse, la mise en place de laboratoires internationaux associés, comme ceux pilotés par le CNRS, ou les masters conjoints protègent les relations scientifiques des variations politiques conjoncturelles. Ainsi, des cotutelles franco-libanaises ou franco-ukrainiennes se sont poursuivies malgré les crises internes, précisément parce que leur écosystème scientifique était déjà solide.

S’adapter aux contextes politiques nationaux

Face à la montée des replis identitaires, l’illusion d’une coopération uniforme n’est plus réaliste. Les universités doivent désormais ajuster leurs stratégies en fonction des réalités politiques locales.

Diversifier les formats pour contourner les obstacles. Les mobilités hybrides, développées pendant la pandémie, se sont révélées utiles lorsque des déplacements sont restreints pour des raisons politiques ou sécuritaires. Elles permettent de maintenir un lien pédagogique ou scientifique sans dépendre entièrement des autorisations de sortie ou d’entrée. De même, les séjours courts, plus faciles à organiser dans des pays soumis à des pressions internes, ont permis de préserver des collaborations avec des universités turques, argentines ou tunisiennes.

Renforcer la diplomatie académique. Le maintien de visites régulières, d’écoles d’été itinérantes ou de conférences bilatérales, joue un rôle crucial. Dans les Balkans occidentaux, sous l’impulsion de la commissaire européenne Ekaterina Zaharieva, les universités européennes multiplient les missions académiques pour préserver un dialogue malgré les fluctuations politiques locales. Au Brésil, plusieurs établissements européens ont maintenu un lien étroit avec leurs partenaires pendant les années de polarisation politique, créant des réseaux de confiance qui perdurent.

Adapter le discours institutionnel. Les universités doivent parfois ajuster la présentation de leurs actions internationales pour éviter leur instrumentalisation. Une coopération scientifique peut être valorisée en termes d’innovation, d’employabilité ou de contribution aux territoires, afin d’éviter qu’elle soit dépeinte comme contraire aux intérêts nationaux.

Sécuriser les coopérations et rappeler l’attachement aux valeurs européennes

La montée du repli identitaire exige non seulement de s’adapter, mais aussi d’affirmer un cadre clair. Les universités européennes ne peuvent défendre l’ouverture que si elles sécurisent leurs accords et rappellent les principes qui les fondent.

Protéger les libertés académiques. L’UE ne peut pas s’ingérer dans le cadre normatif de l’Education nationale. Elle ne peut que rappeler le respect des libertés académiques et scientifiques (Affaire Soros). Les partenariats doivent intégrer des clauses de sauvegarde : respect de l’indépendance scientifique, libre circulation des données de recherche, protection des chercheurs vulnérables. Ces clauses sont déjà mises en œuvre dans des coopérations menées avec des universités en Inde, en Chine ou à forte influence religieuse.

S’appuyer sur les instruments européens liés à l’État de droit. La Charte Erasmus pour l’enseignement supérieur, la stratégie de l’Espace européen de la recherche ou les lignes directrices sur l’intégrité scientifique offrent un cadre que les universités peuvent mobiliser pour évaluer leurs partenariats. Leur usage a notamment été essentiel lors de la suspension ciblée des coopérations institutionnelles avec certaines universités russes, tout en préservant les collaborations individuelles avec des chercheurs indépendants.

Renforcer la transparence et la communication. Une part des attaques identitaires prospère sur la méconnaissance des bénéfices de l’internationalisation. Mettre en avant les retombées concrètes – innovation locale, attractivité économique, réseaux d’anciens, développement de compétences linguistiques – permet de neutraliser les discours hostiles. Les programmes conjoints franco-marocains en ingénierie ou franco-vietnamiens en pharmacie illustrent comment l’international peut directement renforcer l’employabilité et la qualité scientifique.

Rappeler le sens politique de l’ouverture. Les partenariats universitaires ne sont pas neutres : ils prolongent un projet européen fondé sur la libre circulation, la coopération et le pluralisme. Dans un contexte de repli, les universités doivent assumer leur rôle de gardiennes de ces valeurs. L’ouverture internationale n’est pas un luxe, elle est une condition de l’indépendance intellectuelle et de la capacité de l’Europe à peser dans les débats mondiaux.

Le repli identitaire n’est pas une fatalité. Dans un monde fragmenté, les universités européennes demeurent des lieux privilégiés où l’échange reste possible, même lorsque les relations interétatiques se dégradent. Pour que ces ponts subsistent, il faut s’appuyer sur les acquis académiques, s’adapter aux contextes nationaux et sécuriser les partenariats autour de valeurs non négociables (inscrites à l’article 2 du traité de l’UE) : la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit. L’Union européenne pourra ainsi continuer à offrir un espace de dialogue scientifique et culturel, fidèle à sa vocation d’ouverture.

Aurelien Raccah
Aurelien Raccah
Maître de conférences - Université catholique de Lille (FLD) Avocat en droit international et européen - ELEA AVOCAT

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