Comme en 2023, Geert Wilders ne sera pas Premier ministre
Nous avions laissé les Pays-Bas dans une situation préoccupante en 2023 suite à la percée de l’extrême droite du PVV qui était arrivé largement en tête avec 37 sièges. Seule consolation: son leader, Geert Wilders, n’était pas parvenu à obtenir le poste de Premier ministre dont il rêvait, le prix à payer pour former une coalition gouvernementale viable ayant été de faire un pas en arrière face au veto unanime de ses partenaires. Par conséquent, c’était donc le technocrate Dick Schoof, ancien coordinateur national pour la sécurité et le contre-terrorisme qui prenait la tête d’un cabinet quadripartite PVV-VVD-BBB et NSC mais tout de même dominé par le PVV qui parvenait à inscrire à l’agenda gouvernemental une politique très dure contre l’immigration. C’est alors que Wilders, pensant sans doute en retirer les dividendes, jouait la posture maximaliste en provoquant la chute du gouvernement — moins d’un an après sa formation — suite au rejet par ses partenaires d’une mesure radicale qui, en pratique, aurait signifié la fin du droit d’asile. C’était sans compter le fait que, à l’instar des Allemands, les Néerlandais ont l’habitude de punir les partis qui deviennent des facteurs d’instabilité.
En plus de sa responsabilité dans la convocation de nouvelles élections, le PVV allait commettre toute une série d’erreurs durant la campagne, notamment l’édition d’une affiche à connotation raciste ou encore la participation de Geert Wilders lui-même à des actions locales contre les centres de demandeurs d’asile. Le ton très extrémiste du leader du PVV allait définitivement convaincre tous les partis majeurs de former un nouveau cordon sanitaire contre lui, déclarant que pour rien au monde ils ne souhaiteraient à nouveau gouverner avec le PVV. Wilders avait beau fanfaronner en claironnant qu’il serait en mesure de former un gouvernement minoritaire, cette bravade allait avoir l’inverse de l’effet escompté en diminuant l’intérêt de d’un vote en sa faveur puisqu’il serait de toute façon dans l’incapacité de diriger le pays. Au final, le PVV perd donc 11 sièges et, à la surprise générale, la première place qui lui semblait malgré tout promise bien qu’il n’aurait eu aucune possibilité de l’exploiter. Il est difficile de prédire à ce stade si ce résultat annonce le déclin définitif de Geert Wilders tant la vie politique néerlandaise demeure imprévisible mais, force est de constater, que tous ceux qui avaient prédit l’inévitabilité de l’accession de Wilders au pouvoir dans un futur proche en sont pour leurs frais.
Le parti centriste D66 : un gage de stabilité
Le vainqueur de l’élection est donc le parti centriste D66 qui gagne 17 sièges pour un total de 26. Ces sociaux libéraux sont des habitués de la participation gouvernementale puisqu’ils étaient déjà un membre clé de la purple coalition de Wim Kok dans les années 1990 mais c’est la première fois qu’ils vont accéder à la tête du gouvernement. Ce résultat constitue une surprise car on pensait jusque là que D66 était limité par la sociologie de son électorat, quasiment exclusivement composé des classes moyennes supérieures urbaines. En s’emparant de la thématique crucial du logement, ce parti aura considérablement élargi sa base électorale, bien aidé en cela par le charisme de son leader Rob Jetten qui caracolait en tête à la question du « Premier Ministre préféré » devenue de plus en plus prédictive du résultat final. Comme souvent aux Pays-Bas, D66 aura emporté la décision dans les derniers jours en ralliant les indécis. L’un de ses résultats les plus significatifs reste sa percée à Rotterdam, ville très diverse sur le plan sociologique avec une forte population ouvrière et des scores habituellement élevés en faveur de l’extrême droite.
L’autre grand gagnant, dans une moindre mesure, est la CDA. Les chrétiens démocrates font plus que tripler leur nombre de sièges, atterrissant à 18 sièges au total. Eux qui ont bien failli mourir en 2023 retrouvent ainsi l’essentiel de leurs bastions ruraux. Leurs gains se sont construits en partie sur la chute du Nouveau Contrat Social qui va rejoindre la longue liste des étoiles éphémères de la vie politique néerlandaise: 20 sièges en 2023 et… zéro en 2025. Le parti de Peter Omtzigt paie ainsi son alliance avec Wilders et ses multiples reniements. Le sort du BBB est à peine plus enviable et, finalement, seul le VVD limite les dégâts parmi les partis de la coalition sortante en ne perdant que deux sièges.
De son coté, la liste unie PVDA-GL (travaillistes et écologistes) enregistre une nouvelle déception. Arrivée deuxième en 2023, la gauche aurait pu capitaliser sur le recul de Wilders et faire de Frans Timmermans son premier chef de gouvernement depuis près d’un quart de siècle. Mais, victime de l’effet Jetten, elle aura abandonné près de 20% de son électorat de 2023 à D66, surtout dans les métropoles et cela bien qu’elle conserve de justesse la première place à Amsterdam. Au delà de la difficulté pour la gauche de remporter des élections dans un pays devenu structurellement de droite, on peut noter que le mariage entre Travaillistes et Verts aura sans doute été moins efficace qu’il y a deux ans. Non qu’il y ait eu des tensions majeures mais les électeurs ont sans doute ressenti une certaine dichotomie entre l’image très modérée de Timmermans et des Verts au discours plus gauchiste. Face à un Rob Jetten parvenant à développer des thématiques chères au centre gauche, cette difficulté devait s’avérer fatale. La démission de Frans Timmermans au lendemain de sa défaite et son remplacement par le leader des Verts, Jesse Klaver, éclaircit les choses d’un point de vue idéologique. Elle risque surtout d’ouvrir encore davantage l’espace au centre gauche pour D66.
En ce qui concerne les plus petits partis, le seul fait notable est la bonne performance réalisée par JA21, un parti issu d’une scission avec le FvD de Thierry Baudet, l’autre face de l’extrême droite néerlandaise. Ce petit parti se revendique de l’héritage de Pim Fortuyn, le leader de la droite populiste assassiné en 2002. S’il se veut un peu plus présentable que le PVV et le FvD, JA21 reste malgré tout très à droite avec une discours anti-immigration marqué, un fort euroscepticisme ainsi qu’une opposition aux politiques environnementales. En passant de 1 à 9 sièges, le parti a attiré pour l’essentiel des électeurs déçus par Geert Wilders. Comme le reste de la gauche, le Parti Socialiste — de gauche radicale, contrairement à ses homonymes ailleurs en Europe — prend un éclat et ne conserve que trois sièges, son pire résultat depuis 1994. Enfin, l’une des curiosités de la vie politique néerlandaise, le SGP d’obédience calviniste ultra-conservatrice, obtient ses 3 sièges habituels grâce à son électorat le plus fidèle qui soit, au cœur de la Bible Belt.
Rob Jetten, favorable à une (très) grande coalition
La formation d’une coalition gouvernementale devrait prendre beaucoup de temps et peut être même battre le record de 2021 lorsque 225 jours de négociations avaient été nécessaires afin d’aboutir au quatrième gouvernement Rutte. Le futur Premier ministre, Rob Jetten, a exprimé sa préférence pour une (très) grande coalition composée de son propre parti, du VVD, du PVDA-GL ainsi que de la CDA. De manière réaliste, c’est la seule possibilité viable sauf à former un gouvernement minoritaire, à troquer la CDA pour JA21 ou à imaginer une coalition à six partis minimum (et même sept si l’on considère que le PVDA et GL restent deux structures différentes). Or, Rob Jetten ne tient pas à intégrer un JA21 eurosceptique de droite dure, ce qui serait de toute façon un casus belli pour la gauche. Il est donc probable que l’on s’oriente vers ce scénario à quatre mais les discussions risquent d’être âpres et délicates.
La difficulté pourrait venir principalement du VVD qui sort d’une coalition avec Wilders et semble opposé à l’idée de gouverner avec la gauche. A contrario, la gauche pourrait se montrer réticente à intégrer le gouvernement : après avoir perdu cinq sièges, il est tentant pour certains cadres de la liste unie d’imaginer que l’opposition serait plus confortable. Mais il ne serait pas très sérieux, en ces circonstances, de faire passer les intérêts de son parti avant celui de son pays. Jesse Klaver semble l’avoir compris et se dit prêt à négocier. Rendez-vous sans doute pas avant le printemps, voire beaucoup plus tard pour l’inauguration du cabinet Jetten. Dick Schoof, l’improbable Premier ministre, aura donc droit à des prolongations.


