« Ceci n’est pas un budget EUROPÉEN » : Kata Tüttő, présidente du Comité européen des régions (CdR)

Après avoir cultivé pendant des mois une culture du secret inédite au sein de la Commission européenne dans l’élaboration de sa copie budgétaire, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a finalement présenté le 16 juillet 2025 ses propositions concernant le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) 2028-2034.

Ce point de départ de la négociation budgétaire correspond à une enveloppe de 1763 milliards d’euros, soit 1,26 % du PIB européen. Mesurée en prix constants de 2025, cette somme est en fait équivalente à celle du budget 2021-2027, si l’on déduit le remboursement du plan de relance européen. Malgré les déclarations d’autosatisfaction de Mme von der Leyen, il s’agit donc d’un gel des investissements et des dépenses en termes réels et peut nullement être qualifié de budget ambitieux. Il est contraire à toutes les recommandations faites au préalable dans le rapport de Mario Draghi ou par des instituts de recherche comme Bruegel, qui réclamait une hausse du budget européen de 0,8% du PIB européen. Et le président de la République, Emmanuel Macron, n’avait-il pas lui-même plusieurs fois évoqué la nécessité de « doubler [le] budget européen »?

Renationalisation et recentralisation pour une nouvelle gouvernance  ?

Mais le vrai piège serait de ne réagir à cette proposition de budget que sous un angle financier et d’anticiper une réédition à l’ancienne des marchandages de tapis et autres appels à de « justes retours » façon Margaret Thatcher.

En effet, cette proposition remanie de fond en comble le budget européen en termes de gouvernance et, sur fond de renationalisation et de recentralisation, lance des « Hunger Games budgétaires » entre les différentes politiques européennes.

Premier acte : la mise en place d’un fonds mastodontesque fourre-tout de 772 milliards d’euros regroupant politique agricole, politique de cohésion, politiques migratoire et de contrôle des frontières. La politique sociale y figure aussi mais est désormais transversale et sans enveloppe garantie. Le mastodonte prendrait appui sur des « plans de partenariat nationaux et régionaux » développés sous la responsabilité des capitales et non plus avec les régions ou les départements comme c’était le cas pour la politique de cohésion 2021-2027 et conditionnés par des « réformes ».

Au passage, la proposition élimine le fléchage urbain de la politique de cohésion (8%) ou le Fonds de la transition juste. Seules les régions les moins développées à moins de 75% du PIB européen disposeront d’une enveloppe garantie de 218 milliards d’euros. Le soutien aux autres catégories de régions, dont celles dites de transition entre 75% et 100% du PIB européen, relèveront de fait du bon vouloir des Etats-membres – ce qui devrait particulièrement inquiéter la majorité des régions françaises qui se situent justement dans cette catégorie actuellement : Bourgogne-Franche Comté, Bretagne, Centre-Val de Loire, Corse, Grand Est, Hauts de France, Martinique, Normandie, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie.

Une vraie-fausse simplification qui fragilise les territoires

Sous prétexte de simplification, à savoir plus que 27 plans à gérer plutôt que des plans développés avec les régions, Ursula von der Leyen regroupe dans le fonds-mastodonte toutes les politiques à problèmes qui ne l’intéressent pas : le soutien aux agriculteurs, la lutte contre les disparités régionales, le chômage, la politique du logement… La Commission serait délestée de ces tracas tout en laissant le soin aux Etats-membres de mettre en place des structures de coordination au niveau national, probablement pilotées par les ministères des finances, dont on connaît l’appétit structurel pour des notions comme la participation ou la décentralisation. Une vraie-fausse simplification en somme, synonyme de nouvelles lourdeurs administratives et de surcoûts budgétaires au niveau national.

En mettant par ailleurs en place des mécanismes de « ringfencing » (palissades de sécurité) pour certains types de dépenses (soutien aux agriculteurs, régions les plus défavorisées…), la Commission orchestre de véritables « Hunger Games », opposant villes, régions et politiques climatiques aux agriculteurs, pour grapiller des moyens réduits dans leur globalité dans le fonds-mastodonte. Sans parler du risque d’aboutir à des plans nationaux fragmentés, sans lien avec les objectifs européens.

Dans ce marché de dupes que la Commission propose aux Etats-membres, la Commission garderait en contrepartie le contrôle direct d’un second fonds de 362 milliards d’euros dédié à la compétitivité. Ursula von der Leyen pourrait ainsi se concentrer sur ce qui brille : les investissements dans les giga-entreprises, le numérique, l’espace ou encore l’industrie de la défense.

Une inquiétante remise en cause de la politique de cohésion comme pilier fondamental de l’UE

Fondamentalement, la proposition budgétaire de la Commission revient à réécrire les traités européens, en remettant en cause la politique de cohésion comme pilier fondamental de l’Union européenne. Or, contrairement à ce que semblent penser la présidente de la Commission européenne et son entourage immédiat, la politique de cohésion n’est pas un fonds caritatif. C’est une politique d’investissement à long terme qui permet à la fois la participation de tous les territoires au marché unique et à la transition juste de l’économie, avec une priorité accordée aux PME et aux clusters d’innovation régionale, et la mise en œuvre des politiques et de la législation européennes, qui se fait à 70% au niveau local et régional.

Dans les négociations budgétaires à venir qui devraient s’étendre jusqu’à l’été 2027, le CdR s’emploiera donc à se battre pour préserver l’autonomie de la politique de cohésion et à la sortir de la nasse du fonds-mastodonte. C’est la condition pour permettre la participation et la contribution des villes et des régions aux stratégies fondamentales de l’intégration européenne et éviter le risque de politiques européennes hors-sol.

Sachant que le gouvernement français est concentré sur le rétablissement de sa propre situation budgétaire, nous comptons sur la mobilisation des collectivités territoriales françaises pour convaincre la France que les négociations budgétaires au niveau européen auront deux enjeux essentiels :

  • permettre plus d’autonomie budgétaire pour l’Union européenne grâce à de nouvelles ressources propres (et couper court ainsi au débat sur le juste retour)
  • s’opposer à la renationalisation et à la recentralisation des politiques européennes, à commencer par celle de la cohésion.

La France, république décentralisée de par sa constitution, n’aurait qu’à y perdre en termes d’efficacité administrative et surtout en termes de légitimité démocratique de sa politique européenne.

Kata Tüttő
Kata Tüttő
Présidente du Comité des Régions (CdR)

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1 COMMENTAIRE

  1. Belle offensive – compréhensible – du Comité (européen) des régions ! L’article de la présidente de cette institution, publié ce jour, doit en effet être mis en rapport avec le plaidoyer développé également sur le présent site le 15 juillet par Isabelle Boudineau, conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine et elle-même membre de ce Comité de l’UE: un article soulignant qu’en matière budgétaire l’intégration européenne coûterait bien moins qu’elle ne rapporterait.

    Les mises en garde ainsi formulées par deux personnalités appartenant à une enceinte toute proche des réalités locales doivent être prises très au sérieux à ce stade précoce de l’odyssée budgétaire. Puisse « Ulyssa » von der Leyen ne pas être hypnotisée par un Cyclope à l’œil unique logé au milieu du front, un certain Polyphème ! – soit, selon la traduction littérale de ce nom: « abondant en paroles » !… plus qu’en actes ?

    Accessoirement, serait-il excessif de considérer que Kata Tüttö, de nationalité hongroise (celle, à l’origine, de mes parents) fait plus honneur à son pays que son compatriote Premier ministre?

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