Brexit : la confirmation d’un mensonge démocratique

Le Brexit reste une erreur historique. Quatre ans après, ni le Royaume-Uni ni l’Union européenne n’en a tiré profit. De surcroît, les enjeux migratoires, environnementaux, sanitaires, énergétiques ou militaires demeurent tout autant liés au continent européen.

Le chef de clan du UKIP de l’époque, aujourd’hui à la tête de Reform UK, Nigel Farage, et celui qui deviendra Premier ministre de 2019 à 2022, Boris Johnson, ont surfé sur une série de mensonges politiques. Le NHS n’a évidemment jamais bénéficié des « £350m per week » tant promis. Le « plan B » n’a jamais vu le jour, l’économie britannique est en berne et les questions sensibles sont reportées sine die : l’accès à la pêche a été étendu jusqu’en 2038, les frontières de l’Irlande du Nord demeurent ouvertes, les accords commerciaux signés par le Royaume-Uni ne lui sont pas plus favorables… Le Brexit augurait de « reprendre le contrôle de nos frontières, de notre argent et de nos lois tout en protégeant notre économie, notre sécurité et notre Union ». What for ?

L’an 4 post-Brexit a pourtant des airs de réchauffement diplomatique, le Royaume-Uni se targuant d’un « reset » des relations avec leur partenaire européen. Les nombreux comités institués par l’accord commercial UE-UK ne cessent de régler les détails politiques et juridiques. Face aux annonces de désengagement militaire américain, le Premier ministre britannique Keir Starmer a organisé une réunion d’urgence sur l’Ukraine, le 2 mars à Londres, avant de prendre part à une réunion sur la paix et la sécurité avec les Vingt-Sept à Paris, et de conclure le mois par une déclaration conjointe avec le groupe de Weimar+. Même son de cloches de part et d’autre de la Manche concernant l’Ukraine et tous les enjeux de sécurité.

Lors du Sommet du 29 mai dernier, l’UE et le Royaume-Uni ont annoncé le renforcement de leur coopération dans les domaines de la sécurité et la défense, de l’énergie, des contrôles sanitaires, de l’immigration, de la pêche… Suivi de peu par la première visite d’un chef d’Etat européen post-Brexit, du 8 au 10 juillet, le président Emmanuel Macron et le roi Charles III appelant de leurs vœux à la poursuite de l’Entente cordiale dont on célèbre les 121 ans.

Economie

Le « Singapore-on-Thames » peine à émerger. La partie libérale du Royaume-Uni se rêvait en nouveau tigre économique européen, doté d’une faible fiscalité et peu réglementé pour concurrencer une zone euro atone. Les bénéfices économiques du Brexit sont aujourd’hui imperceptibles.

Depuis sa sortie effective de l’UE, l’économie britannique traverse une phase instable, affichant une croissance sensiblement inférieure à ses voisins.

Source : Eurostat

Le rapport annuel 2025 sur l’application de l’Accord de commerce et de coopération UE-UK note une certaine constance dans les échanges commerciaux, freinés par les nouvelles barrières commerciales qui pèsent sur la production, la hausse des coûts salariaux et l’inflation. L’UE reste de loin le premier partenaire commercial du Royaume-Uni avec près de 50% des marchandises à l’import/export, de même pour les services, tandis qu’il reste le deuxième pour l’UE, derrière les Etats-Unis.

Force est de reconnaître que le Royaume-Uni n’a pas chômé en politique commerciale extérieure depuis 2021, signant plus de 83 accords commerciaux, dont 57 déjà ratifiés ! L’accord sur la prospérité économique entre les États-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni se limite à quelques droits de douanes en moins, bien loin pour l’instant de l’acte historique annoncé le 16 juin dernier. Les juristes détricotent les accords de l’UE pour s’adonner à un jeu de copier-coller à la mode britannique. S’ils assurent les échanges commerciaux, le Royaume-Uni est loin de connaître un rebond économique !

Pêche

Avant Brexit, près de 60% du tonnage de poissons issus des eaux britanniques étaient capturés par des navires d’autres Etats membres de l’UE. Bien qu’elle ne représente que 0,1% du PIB brut du Royaume-Uni, la pêche a cristallisé les négociations de sortie. Ainsi, depuis 2021, de nouvelles licences ont été instaurées et des totaux admissibles de captures (TAC) sont négociés chaque année.

Le 19 mai dernier, la Commission européenne et le Royaume-Uni, avalisé par une décision du conseil de partenariat et une décision du comité spécialisé sur la pêche, ont convenu d’un « accès réciproque total aux eaux jusqu’au 30 juin 2038 ». Ce pacte permet aux navires britanniques et européens de continuer à accéder aux zones économiques exclusives (ZEE) des deux parties, tant pour les stocks soumis à quotas que pour ceux hors quotas. On comprend l’incompréhension des pêcheurs écossais.

Irlande du Nord

Le Brexit devait conduire à une réinstauration d’une frontière physique entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord.

Le « Cadre de Windsor » adopté en 2023 a allégé les tensions liées au Protocole nord-irlandais, et simplifié les contrôles douaniers entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, notamment grâce à la distinction entre les voies « rouge » (vers l’UE) et « verte » (à usage interne britannique). Malgré cette avancée technique, le climat politique demeure toutefois polarisé : les unionistes continuent de dénoncer une forme de « frontière en mer d’Irlande », tandis que les nationalistes y voient une opportunité économique et une ouverture vers le marché européen. Sur le plan économique, l’Irlande du Nord bénéficie d’un accès unique à la fois au marché britannique et au marché unique européen, ce qui attire certains investissements industriels, mais ce statut hybride reste source d’incertitudes juridiques et commerciales. En toile de fond, la question de l’unité de l’île refait régulièrement surface, alimentée par une évolution démographique et électorale qui fragilise l’équilibre institutionnel issu des accords du Vendredi Saint.

Immigration

Alors que le Royaume-Uni ne faisait pas partie de l’espace Schengen, les pro-Brexiters avaient également fait de l’immigration l’un des sujets phares de sa campagne de 2016 ( Karine Tournier-Sol, Le UKIP, artisan du Brexit). Nigel Farage accusait l’Union européenne d’être une porte ouverte à « l’ennemi » (Olivier Esteves, « L’immigré, voilà l’ennemi ! », Brexit et ressentiment racial). En 2016, les estimations officielles de l’office national des statistiques britannique enregistraient un excédent migratoire de 335 000, dont 189 000 citoyens de l’UE et 196 0000 citoyens hors UE, tandis que 49 000 citoyens britanniques quittaient le territoire. Le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni quittait officiellement l’Union européenne et mettait en place un nouveau « système d’immigration ».

Dès 2022, les chiffres de l’immigration explosaient avec 1,2 million d’entrants, dont 925 000 ressortissants de pays tiers ! 557 000 quittaient le territoire sur la même période (principalement des ressortissants de l’UE), portant l’excédent migratoire à 606 000 personnes. Les données en 2024 confirment cette tendance avec près de 906 000 ressortissants étrangers accueillis au Royaume-Uni, correspondant au triple de la période pré-Brexit. L’argument du UKIP en 2016 s’est avéré purement populiste.

Demandeurs d’asile

Enfin, le sujet épineux en Europe occidental qui attise les populistes : les demandeurs d’asile, qui n’ont cessé de croître depuis le Brexit. En 2024, 108 100 personnes principalement en provenance du Pakistan, Afghanistan et Iran ont déposé une demande en ce sens, un record historique. Ni la droite ni la gauche n’arrive à endiguer les arrivées de migrants illégaux. Paradoxalement, le Brexit n’a rien arrangé en excluant le Royaume-Uni du bénéfice du règlement Dublin III sur les retours dans le premier pays d’accueil.

Au Sommet du 29 mai, Emmanuel Macron et Keir Starmer ont convenu de renforcer les contrôles sur les côtes françaises et d’augmenter les renvois de migrants illégaux, à hauteur de cinquante par semaine… Le professeur de droit Steve Peers a alerté qu’il se peut d’ailleurs que la Commission européenne s’y oppose en considérant qu’un accord sur la migration et l’asile tombe dans les compétences de l’UE. Le populiste Nigel Farage a qualifié cet accord « d’humiliation« , de quoi alimenter les tabloïds britanniques qui ne manqueraient pas une occasion de se jouer, eux aussi, de la démocratie britannique.

Aurelien Raccah
Aurelien Raccah
Maître de conférences - Université catholique de Lille (FLD) Avocat en droit international et européen - ELEA AVOCAT

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3 Commentaires

  1. Les chiffres affichés dans l’article senblent contredire ce que vous affirmez au sujet de la croissance du RU par rapport à celui de l’Union Européenne. Le Royaume Uni affiche une croissance plus élevée chaque année sauf en 2020. Pourriez-vous expliquer ?

  2. Ne nous emballons pas trop vite.
    L’UE n’est pas le fruit ultime du projet européen d’union y compris politique. Un rapprochement UK-EU doit effacer tout malentendu, ce qui aurait dû être fait en 1972-73. Si les Britanniques (en fait les Anglais) persistent à combattre un « Super State » européen, comme ils disent, c’est peine perdue. L’Europe peut moins que jamais plus rester absente des débats géo-stratégiques. Les bricolages intergouvernementaux ne sont plus tolérables. Seul un État européen, fédéral, aux relations internes confiantes et apaisées, respectueux de la démocratie et du bien commun européens, peut faire le poids, avec le R-U s’il l’accepte. Et cela est urgent. N’attendons pas que les Anglais le comprennent. Les siècles passés nous ont amplement montré les limites du simple concert des nations.

  3. Nous avons fortement regretté le BREXIT à l’époque, car on avait bien ressenti qu’une partie de la population a cru les mensonges. Avant nous allions 2 fois par an en Angleterre, car nous aimone beaucoup ce pays. Cependant après le BREXIT nous avons décidé avec le reste de la famille de ne plus y aller. Tout … en espérant qu’ils reviennent dans la communauté Européenne. Pour info: après une enquête perso nous avons constaté que 43 % de ceux qu’on connait avaient décidé la même chose.

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