La Maison-Blanche vient de publier la nouvelle Stratégie Nationale de Sécurité des Etats Unis. Celle-ci tourne le dos à la description traditionnelle de la politique étrangère américaine comme fer de lance de la lutte des démocraties contre les autocraties (ce qui n’était certes souvent qu’un paravent). Les Etats-Unis de Donald Trump ne trouvent plus rien à redire aux régimes politiques de la Russie ou encore de la Chine, ramenés au rang de simples concurrents économiques à combattre sur ce terrain-là. Les seuls que la Maison-Blanche continue véritablement de désigner comme des adversaires politiques des Etats-Unis sont désormais l’Union européenne et les gouvernements démocratiques européens. Ce document affiche clairement en effet la volonté de l’administration Trump de faire du regime change sur le vieux continent en soutenant l’extrême droite européenne.
Les Etats Unis n’ont plus qu’un seul véritable ennemi : l’Europe démocratique
Parallèlement, suite à l’amende de 120 millions d’euros qui a été infligée à sa société, Elon Musk lâchait sur X/Twitter que « l’Union européenne doit être abolie », affirmation immédiatement soutenue par Dmitri Medvedev, l’ancien président de Russie. S’il était encore besoin de se convaincre que les Etats Unis de Donald Trump et des oligarques de la tech qui le soutiennent ne sont plus les alliés de l’Europe démocratique mais ses ennemis, les choses sont désormais claires. On ne peut pas reprocher en effet au Président américain de cacher ce qu’il entend faire…
Comme l’ont montré les dernières avanies imposées à l’Europe par Donald Trump et ses compères russes dans le dossier ukrainien, le profil bas choisi par les dirigeants de l’Union et de ses principaux Etats membres depuis un an, ne fonctionne pas : Donald Trump ne respecte et ne cède qu’à ceux qui lui résistent. Il convient donc désormais de tenir bon, au sujet de l’Ukraine bien sûr, mais aussi en particulier au sujet de la régulation numérique européenne. Il nous faut dénoncer et combattre sans état d’âme les ingérences inacceptables de Donald Trump et des oligarques de la tech dans les affaires intérieures de l’Union et de ses Etats membres. Il en va de l’avenir de nos démocraties et de nos libertés.
Les géants de la tech américains sont très dépendants de l’Europe
Contrairement à une idée reçue, ce combat-là n’est pas perdu d’avance. L’Europe est certes extrêmement dépendante des géants américains du numérique et ne dispose d’aucune alternative pour les remplacer à court terme, mais l’inverse est également vrai. Les champions de la tech américains sont en effet de plus en plus exclus du marché chinois, du marché indien et de nombreux autres pays du Sud. En dehors des Etats-Unis, le principal marché solvable de taille importante auquel ils ont accès est celui de l’UE. Nous dépendons certes d’eux mais eux dépendent aussi pour une part essentielle de nous. Nous devons nous en servir.
Plus globalement, il nous faut désormais défendre sans concessions, la démocratie, les libertés et les valeurs humanistes européennes contre l’autoritarisme, le masculinisme et le suprémacisme blanc défendus par Donald Trump. C’est cela qu’il faut mettre en avant aujourd’hui plus que la défense de l’Union européenne en tant que telle. Ses dysfonctionnements sont en effet massifs et très handicapants. Ils contribuent à la montée de l’extrême droite sur le vieux continent et à l’écho que rencontre le discours trumpiste antieuropéen chez nos concitoyens. Il est bien entendu essentiel de renforcer les institutions communes européennes pour résister à l’alliance entre Donald Trump et Vladimir Poutine mais cela impliquera aussi une profonde transformation de l’Union. Les Européens anti Trump ne doivent surtout pas apparaître comme des défenseurs du statu quo.
L’extrême droite, cheval de Troie de l’impérialisme américain
Là aussi ce combat n’est pas forcément perdu d’avance contrairement au défaitisme qui est souvent répandu aujourd’hui. Certes, nombreux sont les Européens hostiles à « Bruxelles » et sensibles au discours masculiniste ou anti immigrés de Donald Trump qui rêvent d’un pouvoir fort. Dans l’immédiat, son retour à la Maison-Blanche a probablement contribué à doper l’extrême droite en Europe. Il n’en reste pas moins que c’est plutôt un handicap pour cette extrême droite, qui se veut nationaliste et souverainiste, d’apparaître désormais comme l’instrument, le cheval de Troie de l’impérialisme américain en Europe. Elle est d’ailleurs d’ores et déjà souvent gênée aux entournures face aux initiatives antieuropéennes de Donald Trump.
De plus, la situation économique et sociale ne va pas manquer de se dégrader sérieusement aux Etats-Unis même, sous l’impact des mesures ineptes prises par Donald Trump. Tandis que les tensions au sein de la société américaine vont encore s’aggraver et les menaces qui résultent pour tous les Américains — de l’arbitraire et de l’autoritarisme qui caractérisent l’action liberticide de son administration — vont devenir de plus en plus évidentes. Il en va de même de la corruption inouïe des dirigeants trumpistes.
L’aggravation de la crise américaine va détourner les Européens de l’extrême droite
Cette aggravation de la crise de la société et de l’économie américaines, sous l’impact des politiques trumpiennes, devrait finir par effrayer les Français et les autres Européens et les détourner de l’extrême droite. Les dynamiques internes au pays ont sans doute joué un rôle prépondérant mais il n’est pas exclu que les dérives du trumpisme aient déjà contribué à la défaite de Geert Wilders et de son parti d’extrême droite aux élections néerlandaises, en octobre dernier.
On assisterait ainsi à une dynamique inverse de celle qu’on avait pu observer dans les années 1920 et 1930 entre une Europe qui avait sombré dans le fascisme et des Etats-Unis qui avaient finalement résisté à cette tentation. A cette époque, le racisme et l’eugénisme étaient pourtant très répandus aux Etats-Unis entre la discrimination raciale, le Ku Klux Klan et une extrême droite très puissante. A l’instar d’Elon Musk aujourd’hui, Henry Ford — l’inventeur de la voiture pour tous — était un antisémite fanatique et fervent supporter d’Adolf Hitler, tout comme l’aviateur Charles Lindbergh qui avait le premier traversé l’Atlantique. Le parti pro nazi américain avait même réuni 20 000 personnes au Madison Square Garden à New York. Devant les excès des fascistes et la montée des tensions vers la guerre en Europe, les électeurs américains s’étaient finalement détournés de l’extrême droite pour préférer Franklin D. Roosevelt et son New Deal afin de faire face aux conséquences de la Crise de 1929. Avant de finalement s’engager dans la Seconde Guerre mondiale contre les nazis et leurs alliés.
Se tourner résolument vers le Sud
Parallèlement, pour ne pas être écrasés par d’un côté Donald Trump et de l’autre un Vladimir Poutine allié à Xi Jinping, il nous faut désormais nous tourner résolument vers le Sud pour y rechercher de nouveaux alliés tant sur le plan géopolitique que géoéconomique. Il faut avec le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud, l’Indonésie, etc. agir de concert pour non seulement préserver mais réinventer le multilatéralisme afin d’éviter que les empires ne nous imposent de nouveau la logique du might makes rights, la puissance fait le droit. Cela implique cependant en particulier de renoncer à la logique d’une « Europe forteresse » qui entend se barricader face à ses voisins du Sud de la Méditerranée.
Bref, face à un Donald Trump qui ne cache plus sa volonté de casser l’Union européenne et de combattre la démocratie en Europe, il faut désormais faire front pour défendre nos valeurs. Dans ce combat décisif pour l’avenir, le défaitisme n’est pas de mise et l’espoir est permis.



Beaucoup de points intéressants à noter.
Mais tout d’abord, oui le défaitisme n’est pas une solution, la situation est sombre certes mais c’est en se battant pour un avenir meilleur que l’on peut essayer de se sauver (et non pas en acceptant la défaite sans combattre comme VDL à Turnberry).
Cependant, plusieurs éléments semblent occulter par l’auteur ou simplement mis de côté alors qu’ils me semblent vitaux.
La comparaison avec le monde dans les années 20/30 n’est pas mauvais, et rappeler que le New Deal fut un élément éloignant le public américain du fascisme est aussi important à rappeler. Mais de ce que nous en voyons l’UE (et ses membres) font l’inverse de Roosevelt, nous savons que le vote d’Extrême Droite se nourrit notamment de la pauvreté et de la marginalisation, or l’actuel Parlement semble plutôt tourné vers une politique néolibérale qui certes enrichira les industriels et quelques acteurs économiques mais pas les populations.
L’absence d’une Europe sociale et les disparités économiques entre les Etats membres ne peut que résulter en un appauvrissement généralisé (lent mais progressif) avec un accaparement des richesses de moins en moins acceptable.
L’auteur ensuite sous-entend que la présidence Trump va entraîner la défaite des Extrêmes Droite européennes au fil du temps (et de la chute de l’économie américaine) en prenant comme exemple le semi-échec de Wilders (je rappelle que son parti reste n°2 en terme d’importance). C’est une affirmation peut être juste mais qui demandera plus d’exemples pour être réellement crédible, par exemple les éléctions hongroises de 2026 ou les municipales françaises. En attendant, aujourd’hui le Chili vient d’élire un héritier de Pinochet pro-Trump à sa tête, il semble donc que l’Extrême Droite mondiale a encore des cartes à jouer.
Qui plus est, si l’incompétence trumpienne concernant la gestion et la politique sont manifestes, qu’a à opposer l’UE ? Une politique de moins en moins ambitieuse avec un budget toujours plus réduit, un décrochage économique graduel, une baisse générale du niveau de vie et une paupérisation des populations européennes ? Il est inutile de clamer à l’incompétence du camp d’en face quand l’UE et les Etats-Membres sont eux même inaptes à faire prospérer leurs peuples (et je précise bien prospérer, la stagnation n’est enviable que lorsque les choses vont vraiment bien, ce qui n’est pas le cas pour de nombreux groupes sociaux au sein de l’Union).
Enfin dernier point (car cela commence à être long), l’auteur semble oculter le fait que l’UE actuelle est divisée sur le comportement à adopter envers les USA et au sujet de l’autonomie européenne. L’Italie, la Hongrie, la Slovaquie et la Tchéquie sont totalement d’accords avec l’agenda trumpiste en ce qui concerne l’UE et militent pour une Europe des nations sans plus d’unité. Les pays baltes refusent toute remise en cause du partenariat avec les USA et seront probablement prêts à courber l’échine si cela leur offre une vague promesse de Washington (les déclarations de Kaja Kallas sont assez révélateurs). L’Allemagne, par l’intermédiaire de son chancelier, a montré son égoïsme lors d’une déclaration choquante qui remet totalement en cause le but même de l’UE (et qui prouve comme lors de la crise Grecque, ou lors du découplage européen du gaz russe, l’Allemagne ne pense avant tout qu’à ses intérêts propres au sein de l’Union mais est prête à s’en décrocher si l’herbe est plus verte ailleurs).
En l’état, je ne pense donc pas que les choses vont évoluer dans le bon sens au moins sur le court terme. Il faudrait que les dirigeants européens se souviennent qu’ils sont citoyens européens (et pas juste des interlocuteurs pour lobbyies économiques ou étrangers). Et que, au vu des sondages, ils sont par leur faiblesse et leur lâcheté les premiers moteurs de l’Extrême Droite.
Ce dernier petit paragraphe est particulièrement juste.
Que faire en tant que citoyen européen anonyme (retraité dans mon cas): boycotter, autant que faire se peut, tous les produits et services que nous vendent les USA: entre MacDo, KFC, Stabucks, Levi’s, les GAFAM, Nike, le tourisme aux US, etc, etc.
450 millions de citoyens de l’UE (riches à l’échelle du monde actuel): même si tous ne boycottent pas tout, tout le temps, les électeurs de Trump en subiront les effets et commenceront (ils ont déjà commencé…) à se poser des questions. Qui pour organiser un tel mouvement? Partis politiques, mouvements, syndicats?
En complément de l’excellente analyse de « D.B. » (dommage, le pseudo), je me permettrais d’ajouter ceci : le « frontisme » n’a jamais été ma tasse de thé. Je pense qu’il ne faut rien attendre de la droite et de l’extrême droite européennes, aujourd’hui parfaitement compatibles pour prêter allégeance à Trump et à toute l’extrême droite mondiale. La solution est d’opposer à l’extrême droite et à son géniteur, le néo-libéralisme, un programme économique, politique, social et environnemental qui tienne la route. La gauche possède suffisamment d’intellectuels et d’économistes (à titre d’exemples, Piketty, Généreux, Zucman, Porcher, et bien d’autres) de valeur pour l’élaborer et le soutenir. Autour de ce programme, il faudrait réunir l’ensemble des forces de gauche européennes pour le défendre, aussi bien au niveau local, régional, national et européen. Le combat à mener se situe aussi bien à l’intérieur de l’Europe qu’à l’international. Quant aux relations avec le Sud, d’accord, mais conditionnées à un protectionnisme social et environnemental. Pas de Mercosur, donc, négocié en loucedé par quelques technocrates néolibéraux, tellement dévastateur pour l’agriculture européenne et son développement écologique.
Bonjour.
Ok pour l’article et les commentaires ci-dessus.
L’Europe actuelle manque cruellement d’un projet qui redonnerait de l’espoir aux Européens.
Ce projet doit ‘être avant tout politique et fédérateur, il nous faut un véritable gouvernement européen avec à sa tête un leader qui travaillerait pour l’Europe et non pour son propre intérêt ou celui de quelques uns.
Mais ou est cette personne, mais ou sont ces quelques pays qui s’associeraient pour faire renaître l’espoir, pour contrer cette néfaste et mortelle montée des nationalisme en Europe.
L’histoire se répète, est ce normal ?