Métamorphose proeuropéenne du Danemark en cours ?

Le 1er juillet 2025, le Danemark entamait sa huitième présidence tournante du Conseil de l’UE. Longtemps catégorisé comme Etat-membre eurosceptique, le Danemark a considérablement évolué depuis 2022 vers des positions plus « euroconstructives ». La réunion du Conseil européen du 18 décembre prochain, concluant la présidence danoise de six mois et consacré très largement au futur cadre financier 2028-2034 de l’Union européenne, sera le moment de vérité pour confirmer cette métamorphose.

Un euroscepticisme consacré par trois référendums de rejet d’avancées européennes

Le Danemark rejoint la Communauté économique européenne (CEE) en 1973, en même temps que l’Irlande et le Royaume-Uni. L’adhésion est approuvée par référendum en 1972, mais avec une majorité relativement étroite, reflétant un scepticisme qui restera durable. Vingt ans plus tard, en 1992, les Danois rejettent le traité de Maastricht par référendum. Après renégociation, le pays obtient plusieurs opt-outs (clauses d’exemption) : la non-participation à l’euro, l’exemption de la coopération en matière de défense, une coopération policière et judiciaire limitée et une non-participation au développement d’une citoyenneté européenne comme concept politique. Un second référendum en 1993 approuve alors Maastricht. En 2000, nouveau référendum : cette fois-ci les Danois rejettent l’adoption de l’euro, gardant la couronne danoise, bien que fortement arrimée à l’euro via le mécanisme de taux de change ERM II. En 2015, un référendum visant à transformer l’opt-out sur la justice et les affaires intérieures en opt-in flexible est également rejeté.

Outre les sujets soumis à référendum, le Danemark apparaît de façon continue comme un faucon sur les questions du budget de l’Union européenne (aux côtés de la Suède, des Pays-Bas et de l’Autriche) et freine des quatre fers sur les avancées en matière sociale au titre de l’autonomie des partenaires sociaux, sacro-sainte au Danemark. Certes, le Danemark apparaît comme un modèle en termes de sécurité sociale ou de formation professionnelle. Mais pour les Danois, ce n’est pas a priori un modèle partageable au niveau européen. C’est ainsi que le Danemark introduit en 2022 un recours devant la Cour de justice de l’UE (CJUE) pour faire annuler la directive qui oblige les États membres à fixer un salaire minimum au motif que les États membres devaient décider de la manière dont les salaires sont fixés, principalement par le biais de conventions collectives entre les syndicats et les employeurs. Ce n’est d’ailleurs que le 11 novembre dernier que la CJUE confirme « la validité de la majeure partie de la directive en question », estimant qu’elle « ne constitue pas une ingérence directe du droit de l’UE dans le droit d’association ».

La politique migratoire est peut-être le sujet sur lequel le Danemark a été longtemps le plus isolé dans l’Union européenne. Ce sont notamment les sociaux-démocrates de l’actuelle Première Ministre Mette Fredriksen, une des désormais rares chefs de gouvernement sociaux-démocrates en Europe avec ceux d’Espagne, de Malte, de Roumanie et de Lituanie, qui apparaissaient en porte-à-faux avec leur propre famille politique européenne, en conduisant la politique migratoire la plus restrictive en Europe. Ainsi, le Danemark applique des critères d’asile plus sévères, pratique une politique active de retour vers les pays d’origine, limite les droits au regroupement familial et fixe même comme objectif politique déclaré d’atteindre « zéro demandeur d’asile ». Le pays a par ailleurs adopté une loi permettant d’examiner les demandes d’asile dans des pays tiers, en dehors de l’Europe — option unique dans l’UE.

2022 : le tournant géopolitique de la guerre en Ukraine alimente un sursaut proeuropéen

La guerre d’agression russe contre l’Ukraine suscite une réaction de solidarité particulière du Danemark et réoriente le pays dans le sillon européen. Pour le Danemark, soutenir l’Ukraine, c’est aussi protéger la sécurité collective en Europe. Le 1er juin 2022, les Danois votent pour abandonner l’opt-out de défense, renforçant leur participation à la politique européenne de sécurité et de défense. Au niveau militaire, le Danemark aurait mobilisé environ 8,5 milliards d’euros en aide militaire entre 2022 et l’été 2025. Il met en place un  « Ukraine Fund » pour structurer le soutien militaire sur plusieurs années (2023-2028), fournit des équipements lourds : chars (Leopard), véhicules blindés, artillerie, drones, munitions, systèmes anti-aériens. Il est l’un des premiers Etats à transférer des avions de combat (F-16) à l’Ukraine, finance la production d’armes en Ukraine mais aussi au Danemark.

Au niveau humanitaire, le Danemark est en pointe pour le soutien aux populations touchées, la protection des civils, l’assistance psychologique et le déminage. Le pays scandinave soutient financièrement les services publics ukrainiens et apporte des garanties de prêt et des subventions pour des institutions publiques ukrainiennes. Le Danemark figure parmi les pays les plus généreux par rapport à son produit intérieur brut : il figure à la deuxième place au niveau mondial (2.34%), seulement dépassé par l’Estonie. Le Danemark tire aussi les conséquences de l’agression russe au niveau national et prévoit de passer de dépenses pour sa défense d’un montant de 2,37% en 2024 à 3,2% fin 2025, pour devenir ainsi le meilleur élève de la classe européenne.

Le dossier du Groenland contribue également à ce sursaut géopolitique proeuropéen du Danemark. Le Groenland a quitté la Communauté économique européenne en 1985 mais reste un territoire d’outre-mer associé à l’UE (PTOM) au même titre que la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie Française. Cela signifie que le Groenland participe à programmes de coopération importants (développement, éducation, ressources naturelles). Lorsque Donald Trump au début de son second mandat en 2025 réitère son idée que les Etats-Unis achètent le Groenland, les institutions européennes et plusieurs États-membres rappellent rapidement que le Groenland fait partie du Royaume du Danemark, avec un statut d’autonomie élargie et que la souveraineté danoise sur le territoire n’est pas négociable. Cette réaction rapide est non seulement perçue comme une manière d’affirmer la place du Groenland dans la sphère européenne plutôt que de laisser le champ libre à Washington, mais elle fait aussi comprendre au Danemark que son appartenance à l’Union européenne lui garantit d’éviter un isolement stratégique.

Le Danemark, meilleur élève de classe européen sur le climat et le logement

Au-delà des questions géopolitiques, le Danemark apparaît également à la pointe de l’Union européenne sur des questions comme le climat ou le logement. Ainsi, le Danemark s’est fixé un objectif de réduction de 70% de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990 — l’un des plus élevés de l’UE — et le pays vise également la neutralité carbone en 2050.

Sur le logement, le tout premier commissaire dédié à cette question, le social-démocrate Dan Jørgensen a pour feuille de route de proposer à la mi-décembre 2025, un plan européen pour le logement abordable, visant à réduire les coûts de construction et à augmenter l’offre. Le sujet figure également parmi les priorités de la présidence danoise de l’Union européenne, ce qui peut paraître d’autant plus surprenant que le logement ne constitue pas une compétence explicite de l’Union européenne et que toute action européenne en la matière aurait probablement soulevé il y a quelques années encore une levée de boucliers danoise au titre du principe de subsidiarité.

Et enfin, même sur le budget européen, l’inflexion danoise est remarquable. Alors que le Danemark arrive en 26e position dans l’ordre des Etats bénéficiaires de la politique de cohésion, la Première Ministre Mette Fredriksen déclare au début de la présidence danoise : « Nous examinons les aides d’Etat d’un œil nouveau, la dette commune d’un œil nouveau et le budget de l’UE d’un œil nouveau. C’est une nouvelle époque. Nous serons toujours durs dans les négociations du budget. Mais faire partie du club des frugaux n’est plus la bonne option pour nous« .

Même si l’heure de vérité budgétaire est encore à venir à l’occasion de la réunion du Conseil européen du 18 décembre prochain, il apparaît que le Danemark a désormais fait le choix de la solidarité européenne. Dans un laps de temps très court de 3 ans, le Danemark s’est mué en l’Etat-membre scandinave le plus progressiste sur les questions d’intégration européenne. Il n’en reste pas moins que la métamorphose proeuropéenne du Danemark n’est pas terminée. Certains totems eurosceptiques en jonchent encore le parcours. La métamorphose ira de pair avec des changements sociétaux profonds, notamment sur les questions de politique migratoire. Or les dernières élections locales de la mi-novembre 2025, qui ont fait perdre aux sociaux-démocrates le contrôle de la ville de Copenhague, dont ils détenaient la mairie depuis plus de cent ans, sont peut-être annonciatrices d’une accélération de ces changements sociétaux.

Matthieu Hornung
Matthieu Hornung
Animateur de Sauvons l'Europe en Belgique. Administrateur au Comité européen des régions.

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