Ce n’est pas faire injure à la Moldavie, petit pays d’un peu plus de deux millions d’habitants et dont le revenu par tête le classait comme la nation le plus pauvre du continent, que de dire qu’elle ne faisait que rarement irruption sur la scène politique européenne avant février 2022.
Si nous nous sommes toujours efforcés, à Sauvons l’Europe, d’essayer de présenter l’actualité des petits pays périphériques aux portes de l’Union européenne, force est de constater que nous étions à l’époque bien isolés pour décrire ce qui se déroulait au Parlement de Chisinau. Ce n’est plus vrai aujourd’hui, en cause l’agression russe en Ukraine qui a totalement changé la donne en faisant de ce pays situé entre la Roumanie et l’Ukraine, un pays clé. L’un des épicentres où les influences européennes et russes se disputent le pouvoir. Aussi, chaque élection en Moldavie est-elle devenue une sorte de quitte ou double permanent avec cet enjeu quasiment unique dans un pays où le problème est concret avec une Transinistrie occupée par les forces prorusses.
La capacité de nuisance de la Russie pèse à chaque scrutin
La dernière joute électorale datait d’à peine un an avec une victoire à la Pyrrhus des forces européennes lors du referendum portant sur la constitutionalisation de l’objectif d’adhésion à l’Union européenne. Le « oui » l’avait emporté sur le fil, avec 50.4% des suffrages et en grande partie grâce à une importante mobilisation de la diaspora. Mais nous avions assisté lors de ce vote à une fraude massive orchestrée par un oligarque pro Kremlin qui était allé jusqu’à acheter des voix pour près de 15 millions de dollars. Fort heureusement, cela n’avait pas suffi à faire basculer le résultat du référendum et l’impact de celui-ci permettait à la présidente Maia Sandu d’être réélue deux semaines plus tard, lors du second tour de l’élection présidentielle, cette fois avec une majorité plus large. Pour autant, la capacité de nuisance de la Russie dans les affaires moldaves avait été démontrée et il n’y avait aucune raison de penser qu’elle ne planerait pas, telle l’épée de Damoclès, comme une menace constante pesant à chaque scrutin.
Les élections législatives de 2025 n’ont pas fait exception en la matière et le Kremlin aura bel et bien tout tenté pour les influencer. La Russie a d’abord utilisé l’arme économique en provoquant une crise énergétique massive en janvier dernier, privant ainsi la Moldavie de gaz naturel par l’intermédiaire de la Transinistrie. En obligeant le gouvernement moldave à se tourner vers une solution plus onéreuse, le Kremlin espérait ainsi provoquer l’impopularité du PAS, le parti pro européen au pouvoir. Naturellement, les choses n’allaient pas s’arrêter là et on peut dire, hélas, que la Russie aura sorti le grand jeu avec de nouveaux achats de vote, des manifestations provoquées sous de faux prétextes dans le seul but de déstabiliser le pouvoir ainsi que de vaste campagnes de désinformation.
L’implication totale de la Présidente Sandu, soutenue par Tusk et Merz
De faux bulletins ont également été découverts par la police moldave, quelques jours avant le vote. Même s’il est difficile de définir avec exactitude le coût des diverses opérations, il est exact de dire que les 15 millions de dollars de 2024 auront constitué un simple apéritif par rapport aux plusieurs centaines de millions dépensés en 2025. Il faut également ajouter à cela l’apport de l’extrême droite roumaine, elle aussi phagocytée par les forces prorusses et qui désirait se venger du soutien de la Présidente Maia Sandu à Nicusor Dan lors de la présidentielle roumaine.
Fort heureusement, les forces proeuropéennes ne s’en sont pas laissé compter, ripostant à travers une campagne particulièrement offensive, surtout de la part de la Présidente qui s’est pleinement impliquée dans un scrutin qu’elle définissait, une fois de plus, comme le vote le plus important de l’histoire du pays. Le PAS aura bénéficié du soutien de deux personnalités majeures de la scène politique européenne puisque Donald Tusk et Friedrich Merz ont fait le déplacement à Chisinau. Il aura également mené campagne sur la lutte contre la corruption, sujet essentiel s’il en est et tout à fait mobilisateur, surtout au sein de la diaspora qui devait se montrer une fois de plus la force décisive.
Une fracture entre la diaspora et les minorités turque et bulgare
Au final, le PAS franchit donc tout juste la barre des 50% ce qui lui permet surtout de s’assurer d’une nouvelle majorité au Parlement avec 55 sièges sur 101. Dans ce contexte, la perte de 8 sièges par rapport à 2021 relève presque du détail tant 2021 parait évoquer un autre monde. Le PAS obtient 78% des voix de la diaspora, ce qui est encore plus haut que le score du « oui » lors du référendum de l’an dernier. En revanche, il ne surperforme pas beaucoup dans la capitale avec 52% des voix soit un score à peine supérieur à la moyenne nationale. De son côté, l’alliance prorusse ne réalise que 24.1% des suffrages, perdant ainsi 6 sièges par rapport à 2021. Le bloc dit patriotique aura donc largement perdu son pari même s’il confirme qu’il est bien le parti des minorités avec des scores écrasants au sein de la minorité turque et bulgare, ce qui constitue une source d’inquiétude de plus en plus constante pour le gouvernement.
Trois autres partis entrent au Parlement. L’Alternative, qui obtient 8 sièges, occupe un espace au centre gauche trop délaissé par le PAS qui se présente comme clairement libéral. Il obtient notamment de très bons scores dans la région de la capitale. Il s’agit à priori d’une bonne nouvelle mais il faut souligner que l’Alternative est parfois accusée de défendre un proeuropéanisme de façade. Les points de vue sur la question sont effectivement divers, y compris parmi les observateurs au sein de l’UE.
Le parti prorusse de gauche, Notre Parti, rafle de son côté 6 sièges, de même que l’extrême droite du PPDA. Il est néanmoins important de préciser que bien qu’étant détestable sur un certain nombre de sujets, il est de fait antirusse puisque favorable à la réunification de la Moldavie avec la Roumanie. Ce qui en fait une extrême droite atypique et difficilement exploitable par Moscou, sauf si Georgescu devait un jour arriver au pouvoir à Bucarest.
La suite ? Faire avancer l’agenda progressiste européen
Quoiqu’il en soit, ce résultat offre à priori plusieurs années de tranquillité à Maiu Sandu qui bénéficiera ainsi d’une majorité confortable jusqu’à la fin de son mandat et pourra faire avancer son agenda proeuropéen. Il s’agit à contrario d’un revers majeur pour le Kremlin qui, au vu des moyens dépensés, faisait pourtant de la Moldavie un objectif clé dans son entreprise de déstabilisation des pays européens. Pour des proeuropéens progressistes, ces résultats constituent donc une très bonne nouvelle.
Deux remarques néanmoins : la première, interne, se doit de pointer le danger consistant à laisser le monopole du proeuropéanisme à une force libérale de centre droit ; la seconde, externe, consiste à rappeler à l’Union européenne qu’il est interdit de décevoir les espoirs qu’une majorité de Moldaves, notamment sa jeunesse, tourne vers nous. L’adhésion sans heurts de la Moldavie sera l’un des défis de ces prochaines années.