Dans la nuit du 9 au 10 septembre, une vingtaine de drones russes ont violé l’espace aérien polonais. Seuls trois ou quatre ont été abattus, et aucun dégât majeur n’a été constaté. Mais cette escalade, qui ressemble à un test, constitue un avertissement adressé aux Européens comme à l’OTAN et appelle une réponse ferme.
La plupart des engins ont été retrouvés près de la frontière biélorusse, mais l’un d’entre eux est parvenu jusqu’aux environs de Gdańsk, soit environ à 300 kilomètres à l’intérieur du territoire polonais. D’après les dernières informations, les drones abattus se dirigeaient vers l’aéroport et le nœud logistique stratégique de Rzeszów dans le Sud-Est de la Pologne, essentiel au soutien de l’Ukraine. Selon l’Etat-major polonais, les défenses ont été concentrées sur les drones armés et les missiles présentant une menace directe, tandis que les autres, considérés comme de simples leurres destinés à tester la défense, ont été laissés en vol. Reste que ce choix ne fait que souligner un contraste gênant : le taux d’interception en Pologne est sans commune mesure avec celui de l’Ukraine, qui parvient à neutraliser 80 à 90% des appareils ennemis.
Cet argument du coût révèle une faiblesse structurelle de l’OTAN : elle dispose d’une défense antiaérienne lourde et extrêmement chère, mais mal adaptée aux attaques low cost. Tirer un missile à plusieurs millions contre un drone en bois et en mousse est une absurdité opérationnelle et budgétaire. En même temps, cette attaque russe fait craindre, comme l’a souligné Volodymyr Zelensky, que certains Européens soient tentés de conserver pour eux leurs systèmes de défense antiaérienne et de réduire l’aide à l’Ukraine.
La Russie teste l’OTAN pour mieux la fragiliser
La manœuvre russe vise ainsi à affaiblir la solidarité occidentale en instillant la peur d’une escalade et en testant les réflexes des alliés. Elle ouvre aussi la possibilité d’une provocation calculée, destinée à causer des victimes civiles ou militaires, mais à faible intensité, de manière à fragiliser l’OTAN sans déclencher de riposte massive.
L’opération ne s’est pas limitée au terrain militaire. Quelques heures seulement après l’incident, des campagnes de désinformation circulaient déjà : certains trolls russes tentaient de faire croire que les drones provenaient d’Ukraine, ou qu’ils avaient dérivé par erreur en raison de brouillages. Ces récits très peu convaincants face à la coordination de cette désinformation et au nombre élevé de drones qui simultanément auraient disjoncté ont pourtant trouvé un certain écho. Ainsi, certains dirigeants comme Donald Trump ou Viktor Orbán ont exprimé des doutes quant à l’origine des drones, au nom d’une prudence mal placée.
La véritable question reste donc celle de la réponse occidentale. Trump, finalement convaincu de l’origine russe des drones, a plaidé pour des sanctions conjointes. Mais sa vision diverge radicalement de celle des Européens : là où Bruxelles veut imposer des sanctions financières classiques et continue de sonder les voies juridiques pour l’utilisation des avoirs russes gelés, Washington défend une logique commerciale, proposant d’instaurer des droits de douane de 100 % contre l’Inde et la Chine pour leurs achats de pétrole russe. Cette divergence alimente le soupçon que la Maison-Blanche cherche surtout un prétexte pour ne pas agir si l’Europe ne s’aligne pas sur sa stratégie.
En réponse immédiate à l’attaque, l’OTAN a déjà annoncé une opération “Sentinelle de l’Est” incluant des défenses aériennes et terrestres sur le flanc oriental mises à disposition par le Danemark, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Au vu du manque d’implication américaine, nous assistons ici à une “européanisation” nécessaire de l’OTAN.
Au-delà du réarmement : comment réagir ?
Le but de Poutine est clair : semer la peur, inciter certains Etats européens à se désengager du conflit, et éroder le ciment politique de l’OTAN et de l’Union. Au niveau du réarmement européen, la Commission européenne a lancé fin mai 2025 l’Action de Sécurité pour l’Europe (SAFE), un nouvel instrument financier de l’UE qui sera financé par des emprunts de l’UE. La Commission sera appelée à émettre jusqu’à 150 milliards d’euros de financement d’ici la fin de la décennie pour aider les États membres de l’UE à accroître leurs dépenses en matière d’achats de défense communs. Mais, au niveau de l’Union européenne, les gouvernements à tous les niveaux de pouvoir comme les sociétés civiles doivent donc se préparer non seulement à une escalade militaire, mais aussi à une continuation des attaques hybrides : désinformation et déstabilisation des processus démocratiques dans la logique du mode d’emploi décrit dans La Guerre de l’Information de David Colon, sabotages, notamment dans l’espace cyber, et attaques ciblées contre les infrastructures essentielles.
L’Union européenne peut, dans ce contexte, jouer un rôle central grâce à la politique de cohésion. Ainsi, la Commission européenne prévoit l’adoption d’ici la fin de 2025 d’un « Pacte pour les régions des frontières orientales ». Le Pacte doit comprendre des mesures visant à surmonter les obstacles au développement socio-économique tout en renforçant la préparation civile et la sécurité dans les régions orientales. En effet, les collectivités territoriales sont en première ligne pour assurer la résilience des infrastructures critiques pour les communications, les transports, l’énergie, l’eau ou la santé notamment.
Tout autant que l’Union européenne doit considérablement investir dans la préparation et la résilience, il ne faut pas perdre de vue l’essentiel : le champ de bataille conventionnel reste l’Ukraine. C’est là que doit se concentrer l’aide, qu’il s’agisse de soutien militaire ou économique. Car si la solidarité s’effrite et que l’UE cède à la tentation du repli, elle ne sera plus qu’une proie facile pour Moscou.