La dangereuse logique du budget von der Leyen

Le 16 juillet dernier, la Commission européenne a présenté un projet de budget pluriannuel de l’Union européenne pour la période 2028-2034. Il s’agit plus exactement d’une proposition de budget de la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, car celle-ci n’a quasiment pas consulté ses collègues commissaires contrairement à ce que prévoient les Traités qui imposent en théorie un fonctionnement collégial de la Commission, chaque commissaire ayant son mot à dire sur chaque décision, y compris celles qui ne sont pas de son domaine de responsabilité. Ce projet doit maintenant être négocié avec les Etats membres au sein du Conseil européen et approuvé par le Parlement européen. Un processus qui va durer au moins jusqu’à l’été 2027.

La présidente de la Commission a mis en avant une augmentation sensible du budget européen par rapport à la période précédente. Mais cette hausse de 1,1% du PIB de l’Union à 1,26% est en trompe-l’œil parce qu’elle inclut le remboursement de l’emprunt de 750 milliards d’euros contracté pour Next Generation EU en 2020. Les dépenses réelles des politiques de l’Union n’augmentent pas par rapport au budget adopté en 2020. De plus grâce à l’emprunt de Next Generation EU, les dépenses effectives de l’Union auront été en pratique de 1,7% du PIB sur la période 2021-2027.

Ce budget prévoit donc en réalité une baisse très sensible des dépenses de l’Union par rapport à la période précédente. Et cela d’autant plus qu’en pratique les dépenses baisseront au final encore par rapport à la proposition initiale de la Commission parce que la négociation avec les Etats membres se termine toujours par des moins sous la pression des « Etats frugaux ».

Le budget rêvé des bureaucrates européens néolibéraux

Cette proposition bouscule l’architecture classique du budget européen. Le principal changement consiste à rassembler les dépenses consacrées traditionnellement à la cohésion (c’est-à-dire l’argent transféré vers les régions les moins riches de l’Union) et celles de la Politique agricole commune qui cessent d’être de véritables politiques communes européennes.

Elles sont transformées en fonds dont le déboursement sera conditionné à la conclusion de plans nationaux entre la Commission et les Etats membres prévoyant la mise en œuvre des fameuses réformes structurelles (baisse des dépenses publiques, allongement de l’âge de la retraite, flexibilisation du marché du travail…). Par la suite, les fonds ne seront déboursés que si et lorsque les engagements initiaux des Etats membres seront tenus.

On présente souvent cette réforme fondamentale du budget européen comme une renationalisation des politiques de cohésion et de la Politique agricole commune. Mais en réalité dans l’esprit d’Ursula von der Leyen il s’agit plutôt exactement de l’inverse : bruxelliser les politiques nationales, prendre le contrôle des politiques des Etats membres, le rêve fou des bureaucrates européens néolibéraux depuis des décennies.

Ils avaient déjà tenté de le mettre en œuvre via le pacte de stabilité et les plans de réforme associés mais, faute de véritable levier financier, cette tentative avait largement échoué. Cette fois-ci avec à la clef des budgets de l’ordre de 0,5% du PIB en moyenne chaque année pour chaque Etat membre (et nettement plus pour les plus pauvres d’entre eux), cela devient tout à fait autre chose… La carotte et le bâton sont de taille suffisante pour mettre au pas n’importe quel gouvernement.

Une politique extérieure de l’Union centrée vers « la forteresse Europe »

Le rêve de vider de remplacer les choix politiques démocratiques effectués au sein des Etats membres sous le contrôle de leurs parlements nationaux par une gouvernance technocratique imposée depuis Bruxelles peut enfin devenir réalité. Avantage annexe : le Parlement européen n’a plus en pratique son mot à dire non plus sur la moitié du budget européen puisque ces contrats nationaux seront négociés exclusivement entre la Commission et les États membres, et leur suivi assuré lui aussi par la seule Commission…

Quant au budget de la politique extérieure de l’Union, et en particulier celui de l’aide au développement, il est totalement détourné de son sens pour être mis au service d’un seul objectif : servir de levier pour obliger les pays partenaires de l’Union à bloquer l’émigration vers « la forteresse Europe » que veut construire Ursula von der Leyen avec l’extrême droite européenne. Ce choix se traduit notamment par l’abandon de toute politique européenne significative vis-à-vis de l’Amérique latine ou de l’Indo-Pacifique.

Une telle logique technocratique et antidémocratique ne peut qu’aggraver la défiance à l’égard de l’Union et aggraver son isolement. Elle est orthogonale à ce qui serait impératif de faire pour pouvoir combattre efficacement l’extrême droite, renforcer l’intégration européenne et desserrer l’étau de Trump et de Poutine.

Guillaume Duval
Guillaume Duval
Ancien speechwriter du HR/VP Josep Borrell

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3 Commentaires

  1. Merci à Guillaume Duval, une nouvelle fois, pour son analyse pertinente.
    Juste une petite précision : « Ce projet doit maintenant être négocié avec les États membres au sein du Conseil européen ». Formellement, non : au sein du Conseil (des ministres des États membres) de l’Union européenne. En fait, c’est vrai, d’une manière ou d’une autre, ce sont bien les États membres qui auront le dernier mot, ce qui n’est pas forcément plus rassurant.
    Encore une fois, si la gouvernance de l’Europe, au niveau européen, relevait d’un dispositif (d’un État) fédéral européen, démocratique et démocratiquement légitime, en vertu d’une (vraie) constitution démocratique, nous n’en serions pas là ! Qui le demande ? Nous devons apprendre à distinguer les vessies des lanternes. L’UE n’est pas un État et ne peut en tenir lieu. Elle n’est qu’une association d’États nationaux à visée économique et commerciale gérée par des institutions technocratiques. Que le PPE cherche à en prendre le contrôle n’est pas nouveau.
    Si, désabusés, nous nous satisfaisons, par aveuglement ou par découragement, de cette mystification, nous en sommes et en restons complices, et ce depuis des décennies.
    Il faut dénoncer les contes de fées. Depuis Montesquieu, nous savons comment établir un État démocratique.

  2. Réflexions qui peuvent séduire vu de l’extérieur pour les adversaires acharnés de la Commission européenne et en particulier de sa présidente que G. Duval a décidé de charger au maximum. Tout est à charge mais Uvd Leyen n’est ni le dictateur ni la sorcière de l’Europe. Elle est la première présidente à de la Commission à avoir une idée de l’Union depuis J Delors. Les États membres la France en tête revendiquent la gestion au niveau des États des fonds européens au dépend des régions qui en étaient les organisateurs et les bénéficiaires. Plus près du terrain les régions sont les seules à même de connaître les besoins et monter les dossiers. Paris va exercer son droit de décision sur les dossiers en toute subjectivité politique. Les états membres reprennent la main dans une Europe des nations confédérale par rapport à une Europe des citoyens fédérale.

  3. Bonjour.

    Monsieur DUBY, vous parlez vous d’acharnement quand les faits démontrent que la commission européenne, surtout sa présidente, s’assoit sur un fonctionnement démocratique de l’EU.

    Cette tendance à manipuler la démocratie , nous la retrouvons malheureusement également au niveau national.

    Quand vous dites qu’elle a une idée de l’union, veuillez l’argumenter car rien n’a été fait pour construire la nation européenne, nous n’en serions pas là si cela avait été fait.

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