La Roumanie est sauvée (pour le moment)

Le moins que l’on puisse dire est que les Roumains attachés à la démocratie et à l’intégration européenne auront vécu un véritable ascenseur émotionnel depuis six mois. De Georgescu à Simion, le pays semblait destiné à intégrer le club peu reluisant des nations ayant succombé à l’horrible charme de l’extrême droite néofasciste mais la résilience des institutions associée au regain de civisme des Roumains auront permis d’arracher à son funeste destin une Roumanie pourtant au bord du précipice. Car, une fois encore, le coup sera passé très près…

Petit flash back : l’année 2024 s’était terminée sur une double élection présidentielle/parlementaire, la première inachevée. Arrivé en tête au premier tour, l’obscur candidat de l’ultradroite Calin Georgescu avait été convaincu de fraudes liées à son utilisation des réseaux sociaux sur fond d’ingérence russe, entrainant l’annulation du vote et le report de l’élection. Il sera par la suite interdit de présenter à nouveau sa candidature par une décision de la Cour Constitutionnelle. Les législatives, pour leur part, avaient permis la formation d’une majorité proeuropéenne, contrant ainsi in extremis la montée de l’extrême droite. Un gouvernement de large entente, réunissant les frères ennemis du PSD et du PNL associés au petit parti de la minorité hongroise, pouvait ainsi voir le jour sous la direction du social démocrate Marcel Ciolacu. Enfin, il était alors question de ne présenter qu’un seul candidat à la prochaine présidentielle face à l’extrême droite. Tout est bien qui finit bien? Pas si sûr, car les choses allaient rapidement se compliquer.

Tout d’abord, les relations allaient se tendre entre les forces de la coalition et le petit parti libéral proeuropéen de l’USR. Ce qui, au fond, n’était pas si surprenant si l’on considère que l’USR, fondé par le centriste Nicusor Dan, tient à conserver son étiquette de parti antisystème ayant pour cheval de bataille la lutte anticorruption. De ce point de vue, l’USR a toujours voulu tenir à distance le PNL et le PSD comme étant les représentants d’un ancien monde aux pratiques claniques et corrompues. Et si les deux partis de l’establishment avaient accepté de soutenir sa candidate, Elena Lasconi, en vue du second tour initial qui aurait du l’opposer à Calin Georgescu, le report de l’ensemble du processus électoral allait redistribuer les cartes.

Présidentielle : une erreur de « casting » de la coalition gouvernementale

La coalition gouvernementale allait ensuite commettre une erreur en s’accordant sur le nom de l’ancien Président du Sénat Crin Antonescu pour les représenter lors de la présidentielle. Homme d’expérience ayant été ministre et leader du PNL, Antonescu avait incontestablement la stature d’un chef d’état potentiel et semblait un excellent choix sur le papier mais il n’était en aucun cas l’homme de la situation en ces circonstances bien précises où l’électorat roumain était travaillé par un puissant réflexe de vote antisystème. Et qui pouvait mieux représenter l’ancien monde que Crin Antonescu ? Victor Ponta peut être ? Malheureusement, l’ancien candidat à la Présidentielle de 2014, en rupture de ban avec le Parti Social Démocrate depuis plusieurs années, allait lui aussi se lancer dans la course à la Présidence en portant une plateforme très populiste, économiquement à gauche mais n’ayant pas grand chose à envier à l’extrême droite sur les sujets sociétaux.

Revenons à l’USR : initialement, ce parti avait investi une nouvelle fois Elena Lasconi mais le maire de Bucarest et fondateur du parti, Nicusor Dan, décidait quand même de se présenter en indépendant. Vu qu’il était largement mieux placé dans les sondages que sa rivale, l’USR était alors revenu sur sa décision en choisissant de se ranger derrière Dan. Ce qui n’empêchait pas ce dernier de continuer à se présenter en indépendant, bien que soutenu par l’USR quand Lasconi restait officiellement la candidate du parti, même si celui-ci ne la soutenait plus. Imbroglio finalement très roumain.

L’extrême droite entretient le complotisme

Le camp proeuropéen se rendait finalement à l’élection en ordre dispersé quand l’extrême droite allait apparaitre plus unie que jamais. On se souvient pourtant que le parti d’extrême droite classique, l’AUR, avait été frustré de voir son leader George Simion être devancé en novembre dernier par l’encore plus radical Georgescu. Cette fois ci, Simion allait tirer partie à merveille de la disqualification de Georgescu en l’associant pleinement à sa campagne et en tenant des discours de plus en plus extrêmes et complotistes autour de l’annulation de la précédente élection. Son ton radical ainsi que sa position de pointe dans les sondages devenait alors de plus en plus inquiétante, avec la probabilité élevée de voir le scénario de 2024 se répéter.

Les résultats du premier tour allaient s’avérer être pire encore que la plus funeste des prédictions. Non seulement George Simion arrivait nettement en tête du scrutin mais il obtenait entre six et neuf points de plus que ce que lui promettaient les sondages. Avec près de 41% des suffrages, son score était près de deux fois supérieur à celui de son challenger. A l’instar de Georgescu six mois plus tôt, il enregistrait ses meilleurs scores dans les zones rurales, les comtés frontaliers ainsi que la diaspora où il obtenait un véritable raz de marée avec plus de 60% des suffrages chez les Roumains de l’étranger. A contrario, sa faiblesse dans les grandes villes restait visible, notamment à Cluj et à Bucarest et il était laminé dans les comtés à minorité hongroise, malgré le soutien du Premier ministre de Hongrie Victor Orban.

Seconde (demi) surprise du premier tour, c’est finalement le maire centriste de Bucarest Nicusor Dan qui se qualifiait aux dépens de Crin Antonescu. Comme je l’ai écrit au début de ce compte rendu, il faut y voir là une défiance très forte vis-à-vis des deux principaux partis ayant gouverné la Roumanie depuis la chute de la dictature. La sociologie entre les deux votes était d’ailleurs assez différente : Dan réalisait ses meilleurs score parmi la jeunesse urbaine et diplômée quand le score de Crin Antonescu était plus élevé dans les campagnes. Et surtout auprès des minorités hongroises et germanophones, conséquence de l’alliance avec les petits partis communautaires. La qualification de Dan offrait toutefois un mince espoir de vaincre Simion puisque la campagne de second tour avec un candidat relativement neuf apparaissait comme potentiellement plus mobilisatrice qu’avec Antonescu.

Simion accuse Macron d’ingérence dans l’entre-deux-tours

L’entre-deux-tours allait s’avérer relativement animé avec la démission immédiate du Premier Ministre Marcel Ciolacu, conséquence évidente de la déroute d’Antonescu. L’implosion de la coalition proeuropéenne rendait ainsi encore plus dangereuse un éventuel succès de George Simion, d’autant que ce dernier en profitait pour annoncer que son choix pour le poste de Premier ministre serait Calin Georgescu. Les conséquences de l’arrivée au pouvoir de ce duo infernal seraient désastreuses pour la Roumanie comme pour l’Europe, contribuant à dramatiser les enjeux. Toute l’Europe démocratique observait la vie politique roumaine comme rarement, à tel point que Simion allait accuser le Président français Emmanuel Macron d’ingérence. Au milieu de ces polémiques, un certain nombre de faits porteurs d’espoir apparaissaient néanmoins: la campagne de Dan, relativement brillante avec une bonne prestation du candidat lors du débat, semblait générer une mobilisation susceptible d’entrainer une plus forte participation qu’au premier tour. L’état major de l’USR avait calculé qu’il fallait au moins 60% de participation pour jouer la victoire, ce qui paraissait possible. A contrario, George Simion a multiplié les performances médiocres au cours des derniers jours, adoptant un ton de plus plus inquiétant et se montrant incapable de rassurer.

Avec 65% de participation, le second tour est donc devenu assez vite une nouvelle élection. Non seulement Dan l’emporte mais il obtient de manière surprenante une marge relativement confortable. Fait notable: Simion ne réalise que 55% au sein de la diaspora, un score moins élevé qu’ au premier tour. Dan réalise des performances énormes au sein de la minorité hongroise avec un score de 90% dans le comté magyarophone de Harghita et domine nettement son adversaire dans la capitale comme à Cluj avec 70% des voix. Il fait presque jeu égal dans les zones rurales avec 48% contre 52% pour Simion. En ce qui concerne les reports de voix, Dan obtient évidemment une grande partie des suffrages qui s’étaient portés sur Antonescu et Lasconi mais aussi, et c’est plus étonnant, 62% des voix obtenus par Victor Ponta deux semaines plus tôt.  En effet, la tonalité aux accents très populistes de la campagne de Ponta aurait pu faire craindre le pire quand aux reports mais il n’en aura finalement rien été.

Un sursis provisoire dans l’attente de résultats… sur le terrain

Le comportement de Simion suite à sa défaite aura été assez erratique, à l’image de ses derniers jours de campagne. Il a commencé par prétendre avoir gagné puis a reconnu sa défaite avant de finalement déposer un recours qu’il perdra. Mais l’essentiel est sauf : l’extrême droite est vaincu et le bon score de Dan lui offre une véritable légitimité. Il lui reste maintenant à bâtir une coalition pour gouverner, ce qui ne sera pas forcément facile. Reste à savoir si les deux partis de l’ancien système, le PSD et le PNL, seront disposés à jouer la carte de la stabilité. Les Roumains peuvent pousser un soupir de soulagement mais, ne nous leurrons pas, il ne s’agira que d’un sursis provisoire si les forces démocratiques sont incapables non seulement de s’entendre mais aussi et surtout d’obtenir des résultats concrets.

Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

Soutenez notre action !

Sauvons l'Europe doit son indépendance éditoriale à un site Internet sans publicité et grâce à l’implication de ses rédacteurs bénévoles. Cette liberté a un coût, notamment pour les frais de gestion du site. En parallèle d’une adhésion à notre association, il est possible d’effectuer un don. Chaque euro compte pour défendre une vision europrogressiste !

Articles du même auteur

4 Commentaires

  1. Merci Sébastien pour cette excellente analyse. Je partage volontiers la conclusion : les pro Européens peuvent pousser un « ouf » de soulagement, mais tout reste à faire pour faire revenir la Roumanie vers un chemin démocratique permettant aux citoyens de faire confiance à leurs décideurs politiques, ce qui n’est pas actuellement le cas

  2. Je crois que les eurolâtres ont tort de se complaire dans ce triomphalisme et qu’au contraire le cas roumain devrait les inviter à une réflexion profonde sur ces « valeurs » et cette « démocratie » qu’ils croient défendre.
    A les en croire, les Roumains étaient sous le coup d' »ingérences russes » via Tik-Tok (qui finalement se sont avérées bien roumaines et financées par le candidat pro-Europe pour discréditer son adversaire); mais grâce à une ingérence bien française et bien démocratique celle-ci, ils se sont finalement ralliés au camp du Bien. Happy end? Ceci soulève quand même deux questions : d’une part la démocratie ne consiste-t-elle pas à accepter le choix des électeurs quel qu’il soit? L’affirmation selon laquelle les électeurs sont libres de choisir uniquement dans la mesure où ils font « le bon choix » (et que sinon l’élection est annulée) sonne un peu creux. D’autre part, quelle est la valeur du suffrage universel s’il suffit de quelques comptes Tik-Tok ou de quelques conseils francophones pour faire basculer le choix des électeurs ?

    • Cher Big-Brother, pourriez-vous expliciter, à l’aide de ce qu’on appelle un argumentaire étayé par des preuves, ce que vous dénoncez comme étant des manœuvres « bien roumaines et financées par le candidat pro-Europe » ? Le débat y gagnerait en substance, en clarté et en honnêteté intellectuelle, loin du manichéisme sommaire que vous semblez exalter.

      Personnellement, j’y attache d’autant plus d’importance qu’un long séjour en Roumanie m’a permis de nouer des contacts approfondis et instructifs avec des gens du peuple… et non avec une élite qui, à une certaine époque, était complice du regrettable (plus que regretté) Ceausescu – un personnage dont on peut estimer qu’il ne manque pas, encore aujourd’hui, d’héritiers tels que Simion et Georgescu.

      Pour en revenir à l’article, heureusement que nous pouvons bénéficier de l’esprit d’analyse de quelques auteurs qui, tel Sébastien Poupon, font honneur à une approche scientifique des faits politiques.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

A lire également