Le 14 mai dernier, Mario Draghi lançait l’appel de Coimbra qui résonne comme un second coup de semonce après son intervention du 18 février de cette année. Une nouvelle fois, il se révèle bien plus qu’un banquier central ayant réussi à faire passer l’euro au pont d’Arcole en 2012, devenu Premier ministre italien par hasard.
Force est de constater que pour la première fois depuis Jacques Delors, Mario Draghi défend une vision politique globale pour l’Europe qui transcende les frontières physiques et politiques. Occupant cet espace commun à la Sociale-démocratie et à la Démocratie-chrétienne comme seul Jacques Delors savait le faire, l’Italien devrait aussi pouvoir rencontrer les attentes du mouvement écologiste par sa détermination à trouver les financements nécessaires au défi climatique.
La question qui se pose est de savoir s’il existe au sein du Parlement européen et du Conseil européen une majorité de « courage » pour reconnaître non seulement que le diagnostic est implacable, mais surtout que seul Draghi possède l’envergure, la crédibilité et la vision pour mettre en musique les recommandations contenues dans les bouteilles à la mer qu’il ne cesse d’envoyer dans les flots tumultueux de nos opinions publiques. Réduire l’avenir politique du « Sage Italien » à la seule conquête du Quirinal à Rome arrange assurément beaucoup, mais ne relève pas de l’intérêt général européen.
Extraits choisis de l’Appel de Coimbra
(…) On dit souvent que « l’Europe n’avance qu’en temps de crise » mais, en réalité, notre crise a commencé il y a près de vingt ans.
C’est à cette époque que le système géopolitique mis en place après la Seconde Guerre mondiale, et qui a culminé avec la chute de l’Union soviétique, a commencé à s’effondrer. C’est également à cette époque que notre position en matière d’innovation et de technologie mondiales a commencé à décliner. Mais pendant une grande partie de cette période, nous avons ignoré tous les signes.
Prenons l’énergie. Nos importations de gaz en provenance de Russie ont continué de croître même après l’invasion de la Crimée, et bien après que l’hostilité de Poutine envers l’Occident et l’UE ait été largement exprimée.
(…) Prenons l’exemple de la technologie. Alors que les révolutions du cloud computing et de l’IA ont pris de l’ampleur, l’Europe a été laissée de côté. Pourtant, nous avons continué à créer un environnement qui freine l’innovation radicale.
(…) Considérons ensuite la défense. Les menaces croissantes à notre frontière orientale sont évidentes depuis au moins une décennie. La Russie ne cache pas qu’elle nous considère comme un ennemi à affaiblir par une guerre hybride. Il y a dix ans, elle a envahi la Crimée et, il y a trois ans, elle a envahi l’Ukraine. Mais face à l’intensification de cette menace, nous n’avons guère fait pour renforcer notre défense commune. Aujourd’hui, l’Europe compte 1,4 million de militaires, ce qui en fait l’une des plus grandes forces armées du monde. Mais elle est divisée en 27 armées, sans chaîne de commandement commune, fragmentée technologiquement et dépourvue de stratégies communes – autant de facteurs qui nous rendent insignifiants d’un point de vue militaire.
(…) Pour autant, n’oublions pas que nos pères fondateurs nous ont légué une Europe dont nous pouvons être fiers. Tout en évaluant les faiblesses de l’Europe actuelle, nous devons sans cesse chercher l’espoir dans son avenir.
Lorsque, par le passé, l’UE a fait un bond en avant vers une plus grande intégration, trois facteurs ont généralement été présents.
Premièrement, une crise prouvant sans l’ombre d’un doute que le système précédent est devenu intenable. Deuxièmement, un choc politique majeur bouleversant l’ordre institutionnel.
Troisièmement, un plan d’action déjà existant auquel tous les partis peuvent adhérer.
(…) Aujourd’hui, pour la première fois depuis peut-être 30 ans, ces trois facteurs sont à nouveau présents.
Depuis 2020, nous avons perdu notre modèle de croissance, notre modèle énergétique et notre modèle de défense. Les Européens ressentent vivement le sentiment de crise. La croissance, l’énergie et la défense sont les domaines fondamentaux dans lesquels les gouvernements doivent subvenir aux besoins de leurs citoyens. Pourtant, dans chacun de ces domaines, nous nous sommes retrouvés otages du destin et exposés aux décisions imprévisibles d’autrui.
En conséquence, les perceptions des industries, des travailleurs, des responsables politiques et des marchés sont passées de la complaisance à l’inquiétude. Les risques matériels auxquels nous sommes confrontés pour notre croissance, nos valeurs sociales et notre identité pèsent sur toutes nos décisions.
Nous assistons à des ruptures institutionnelles majeures. Le choc politique américain est massif. Il s’accompagne d’un changement radical de cap dans des pays comme l’Allemagne et d’une nouvelle détermination de la Commission à s’attaquer aux obstacles et à la bureaucratie.
Et nous avons un début de plan d’action, fourni par les récents rapports. Leurs recommandations politiques sont devenues, si possible, encore plus urgentes aujourd’hui.
Nous investirons à nouveau en Europe, massivement et de manière responsable. Nous nous attaquerons aux intérêts particuliers qui entravent actuellement notre chemin vers un avenir fondé sur l’innovation plutôt que sur les privilèges. Et nous protégerons et préserverons notre liberté.
Textes intégraux
L’Appel de Coimbra en version anglaise est lisible depuis le site geopolitique.eu
Bonjour.
Bravo pur cet article, l’intérêt général européen est la finalisation de la construction de la nation européenne, nous avons de nombreux atouts pour la faire à condition d’éliminer tous ces incapables qui s’accrochent par cupidité à leurs postes.
A la suite des pères fondateurs, de Jacque DELORS, aurons nous enfin l’homme providentiel que nous attendons en la personne de Monsieur DRAGHI Mario ?