En octobre dernier, à l’issue d’élections parlementaires qui conduisirent au pouvoir la coalition menée par Donald Tusk de la plateforme civique (PO, centre-droit), du parti libéral-agraire de la Troisième Voie et de la gauche (Lewica), la Pologne semblait avoir (re)basculé dans le camp progressiste après huit années de gouvernement eurosceptique du PiS. Le taux de participation atteignit 74,4%, un score inégalé en Pologne depuis la chute du communisme en 1989.
Au terme du premier tour des élections locales et régionales de ce 7 avril, qui avaient pour objet d’élire les maires des villes, 2477 conseils municipaux, les membres des 16 assemblées régionales (sejmik wojewódzki) ainsi que 314 conseils de comté (powiat), l’allégresse de l’automne a subi une douche froide : à l’échelle du pays, le PiS reste la première force politique à 34,3% (254 sièges dans les assemblées régionales) contre 30,6% pour le PO (210), 14,25% pour la Troisième Voie (80) et 6,3% pour la gauche (8). L’extrême-droite (Konfederacyja) est contenue à 7,23% (6).
La carte des mandats dans les assemblées régionales :
(faire un clic droit et « ouvrir l’image dans un nouvel onglet » pour davantage de lisibilité) :
A peu de choses près, les rapports de force des élections parlementaires sont confirmés. La nouvelle coalition gouvernementale ne bénéficie donc pas d’un bonus pour ces trois premiers mois de travail au cours desquels le nouveau gouvernement a notamment obtenu le déblocage de la bagatelle de 137 milliards d’euros de fonds européens (Facilité pour la Relance et fonds de cohésion) retenus jusque-là pour non-respect par la Pologne des conditionnalités en matière d’Etat de droit.
Les élections locales et régionales ont par ailleurs fait réapparaître une double fracture : celle séculaire entre l’Ouest et l’Est le long des frontières des empires allemand, russe et autrichien et celle entre les villes et les campagnes.
La carte de la division de la Pologne en 1795 est à juxtaposer avec la carte des résultats électoraux pour les assemblées régionales :
La fracture entre la Pologne urbaine et la Pologne rurale conduit à ce que le PO remporte d’éclatantes victoires dans les villes. Rafał Trzaskowski, probable candidat du PO aux élections présidentielles de l’été 2025, est brillamment réélu maire de Varsovie dès le premier tour avec près de 60% des voix. Il est dépassé à Gdańsk par Aleksandra Dulkiewicz, réélue à 63%. Les candidats soutenus par le PO l’emportent également à Łódź, Białystok, Katowice, ou Szczecin, tout en étant en ballottage favorable pour le second tour du 21 avril notamment à Wrocław, Cracovie ou Poznań. Il est probable que le PO reste aux commandes des quinze plus grandes villes polonaises. Avec ses partenaires, il devrait aussi garder la mainmise sur 11 des 16 assemblées régionales, c’est-à-dire gagner le contrôle d’une région supplémentaire par rapport à 2019.
Dans les campagnes par contre, le PiS résiste très largement. 57% des agriculteurs auraient ainsi voté en faveur du PiS sur fond de crise agraire même si le gouvernement PiS précédent peut-être tenu pour très largement responsable des erreurs de spéculation sur le prix du blé dont souffre l’agriculture polonaise en ce moment.
Dans un contexte où la polarisation politique et sociétale entre le PiS et la coalition gouvernementale semble faite pour durer, le taux de participation paraît le paramètre déterminant. Ainsi, aux élections locales et régionales de ce printemps 2024, celui-ci était de plus de 20% inférieur à celui des élections parlementaires de l’automne (52%).
A l’approche des élections européennes, tout l’enjeu pour les partis politiques polonais sera de trouver les remèdes à une certaine fatigue électorale, notamment dans l’électorat féminin et jeune. Les partis de la coalition auront certainement en tête qu’en 2019 avec un taux de participation de 45,7% le PiS avait obtenu 45,4% des voix (26 sièges) contre 38,5% pour le PO (22 sièges) et 6% pour la gauche (3 sièges). Avec un nouveau moment de vérité à l’été 2025 où les élections présidentielles détermineront si la Pologne bascule de façon durable dans le camp progressiste.
Merci Matthieu pour cette analyse rigoureuse de la situation polonaise, au vu des dernières élections
Excellent article merci