Ce qui s’est dit à Bruxelles

Le 16 octobre, Sauvons l’Europe organisait un banquet européen à Bruxelles, à la Moule sacrée. Nous en rapportons ici la substantifique moelle.

CONFERENCE

Jean Monnet reconnaîtrait-il encore l’Europe?

Par Jacques-René RABIER

Ancien directeur de cabinet de Jean Monnet

Directeur général honoraire de l’information à la Commission européenne

Fondateur de l’Eurobaromètre

Jacques Rabier a rappelé ce qu’était « la méthode Monnet » (en précisant qu’il ne faut pas prendre le mot « méthode au sens cartésien du terme puisqu’il s’agissait bien plus d’une pratique !) et exposé quels enseignements nous pouvons en tirer dans la situation actuelle de l’Europe et de l’Union européenne : 1° Choisir son projet et son moment, compte tenu des circonstances, et notamment des situations de crise, alors que tout le monde cherche des solutions (ou des camouflages) aux problèmes. 2° Ne poursuivre qu’un seul objectif à la fois, même si cet objectif ne constitue qu’une étape dans un long cheminement vers un but plus lointain. D’où la question : quel est l’objectif aujourd’hui ? Qu’est ce que cela signifie quand les Etats membres se déclarent, dans le Préambule du Traité de Lisbonne, «résolus à poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe » ? 3° Dans une discussion entre partenaires ayant des objectifs ou des intérêts différents, voire opposés, s’efforcer de parvenir à un accord sur l’objectif à atteindre, c’est-à-dire sur ce qui est – à long terme – d’intérêt commun, avant de discuter en détail les moyens et les étapes qui pourront permettre d’y parvenir. 4° Enfin et surtout, car c’est là le principal enseignement que l’on peut tirer de la « méthode Monnet » : faire confiance aux autres, à ses interlocuteurs dans une discussion, à ses partenaires dans une négociation ; leur faire confiance afin d’obtenir en retour leur confiance, sans aveuglement ni naïveté, mais sans arrière-pensées. Monnet, en ce sens, c’est l’Anti-Machiavel.
Aujourd’hui, Monnet encouragerait sans doute ceux et celles qui se proposent de « Sauver l’Europe », en s’efforçant de susciter des relations et, si possible, des coopérations (par exemple pour organiser des « Banquets européens dans différents Etats membres !), entre toutes les initiatives qui ont pour objectif l’union des peuples de l’Europe et la constitution , avec, en perspective, la formation, à plus long terme, des Etats-Unis d’Europe, évoquée par Victor Hugo. Il est probable qu’il soutiendrait également l’initiative récente du « Groupe Spinelli » au Parlement européen, visant à la formation d’une sorte de « shadow cabinet », composé de membres de différents groupes politiques, qui prendrait publiquement position sur les sujets venant en discussion au Conseil de l’Union européenne. Sans doute soutiendrait-il également l’initiative d’Andrew Duff, membre britannique du Parlement européen, visant à la création d’une circonscription paneuropéenne pour l’élection d’un certain nombre de membres de ce Parlement.

L’Italie de Silvio Berlusconi et l’Europe

Par Lorenzo CONSOLI

Journaliste, correspondant en affaires européennes depuis 1991

Ancien Porte-Parole du bureau européen de Greenpeace à Bruxelles

Président de l’Association de la presse internationale à Bruxelles

Lorenzo Consoli a dressé un tableau très sombre de l’Italie deSilvio Berlusconi, un pays où il n’est plus possible de revenir à un débat basé sur les faits et où l’intérêt public est remplacé par l’intérêt du parti et des lobbys qui le soutiennent. Il a souligné le rôle de l’UE comme l’un des derniers garants de l’Etat de droit, avec la magistrature, le Président, quelques intellectuels et quelques journaux qui réussissent à garder leur indépendance. Sans l’appartenance à l’UE, et les « checks & balances » qu’elle permet, il est probable que l’Italie connaîtrait un retour au fascisme, pas dans la forme des années 1920-1930, mais dans une version populiste. Silvio Berlusconi ne s’y trompe pas et c’est pourquoi il refuse aux Commissaires le droit de s’exprimer. Il est inquiétant de voir que Nicolas Sarkozy a récemment emprunté cette voie en refusant de facto à une Commissaire (Viviane Reding) le droit de s’exprimer en tant que représentante de l’institution gardienne des Traités. Idem avec l’expulsion des Roms, une politique que l’Italie mène depuis deux ans déjà. Malgré ces similitudes Lorenzo Consoli met en garde contre des amalgames trop hâtifs entre la situation en Italie et en France : il y a en France de vrais débats politiques, une véritable opposition et des medias beaucoup plus indépendants du pouvoir.
Lorenzo Consoli a également commenté la politique de communication de l’UE, en parlant de son combat, en tant que président de l’association de la presse internationale à Bruxelles, pour le maintien du bilinguisme FR/EN (sans étendre à d’autres langues, car un tel élargissement signifierait de facto un monopole de l’anglais). Il s’inquiète notamment de la très forte tendance des Commissaires à recruter des porte-paroles de langue maternelle anglaise et souvent porteurs d’une vision de l’UE qui est loin de refléter celle de l’ensemble des Etats membres.

Europe : Etat des lieux après la crise financière

Par Jean QUATREMER

Journaliste (http://bruxelles.blogs.liberation.fr)

Président de la section française de l’Association des journalistes européens

Jean Quatremer, qui prépare un documentaire sur la crisefinancière et l’UE pour ARTE, a rappelé le contexte du positionnement de l’UE : les trois institutions principales, Conseil, Commission et Parlement, sont très largement dominées par les conservateurs. Ce simple constat explique le manque d’ambition dans la législation et les mécanismes mis en place depuis le début de la crise : il n’y a pas la volonté politique de réformer radicalement le système financier qui a justement provoqué cette crise. Un exemple marquant est la directive sur la supervision financière, basée sur un rapport élaboré par un « Comité des Sages », présidé par Jacques de Larosière. Ce dernier a passé vingt ans à BNP-Paribas, tandis que plusieurs personnes parmi les autres « sages » avaient des responsabilités dans des banques américaines, ce qui limitait dès le départ l’ambition régulatrice des propositions. Au-delà de la « réponse » à la crise financière, on peut généralement regretter le manque d’ambition de la Commission Barroso I et II, qui aurait pu par exemple lancer un « Green New Deal » et réaliser quelque chose d’une envergure comparable au marché unique de Jacques Delors.
Parallèlement le manque d’intérêt et de la classe politique, et des citoyens, et des media nationaux pour les questions européennes est à la fois tangible et pour partie incompréhensible. Ainsi c’est précisément au moment où le Parlement européen a le plus de pouvoir que la participation aux élections est la plus basse ; il semble en fait que personne ne réalise le pouvoir réel du Parlement (et du coup, qu’aucun media national n’en parle, ou presque). De manière générale, Jean Quatremer fait le triste constat que personne, en France, ne pense plus au-delà des frontières françaises et que les élites politiques et intellectuelles ne sont plus européennes.

SEANCE DE REFLEXION

L’initiative citoyenne européenne : quelle opportunité pour la société civile européenne?

Par Philippe Grosjean, coordinateur du Forum permanent de la société civile

L’initiative citoyenne européenne (ICE) est une disposition du Traité de Lisbonne qui permet à des citoyens européens, au nombre d’au moins un million, et ressortissants d’un nombre significatif d’Etats membres, d’appeler directement la Commission à soumettre une proposition sur des questions présentant pour eux un intérêt et relevant des domaines de compétence de l’UE. Un règlement fixant les modalités d’application de cette disposition est actuellement en cours de discussion au Parlement européen et au Conseil de l’UE et devrait être en vigueur début 2011.
Philippe Grosjean a exposé les conditions sous lesquelles selon lui l’ICE représentera une opportunité réelle pour la société civile européenne. Tout d’abord, bien faire la différence entre une pétition (qui peut être adressée par tout résident européen au Parlement) et une ICE, adressée à la Commission européenne et qui ouvrira le droit aux personnes soumettant une telle initiative de s’adresser à la Cour de justice de l’UE en cas de réponse jugée non satisfaisante de la part de la Commission. Ensuite, il faudra que les hommes politiques fassent suffisamment confiance aux citoyens et ne multiplient pas les chausse-trappes visant à soi-disant « éviter les abus ». Il est important également que les conditions de l’exercice de ce droit soient homogènes au niveau de toute l’UE, pour refléter le fait que ce droit est accordé par l’UE et non par chaque Etat membre (la question se pose par exemple au niveau de la définition de l’âge minimum pour souscrire à une ICE). Il est essentiel, dans ce cadre, que ce soit la Commission qui vérifie le contrôle de la citoyenneté européenne des signataires (par exemple via une mise à disposition de la part des Etats membres de leurs listes de citoyens). Enfin, la Commission ne doit pas être appelée à jouer un rôle de juge et partie et l’appréciation de la recevabilité d’une ICE devrait être un acte purement juridique, qui pourrait être exercé non par la Commission mais par le Tribunal de première instance de Luxembourg.
Si ces conditions sont réunies, il est certain que l’ICE constituera une opportunité pour les citoyens et la société civile. C’est pourquoi, après l’exposé de Philippe Grosjean, la réunion s’est achevée par une séance de réflexion sur ce que pourrait être une ICE portée par Sauvons l’Europe. Les limites de cet instrument ont été abordées, et notamment son caractère non obligatoire pour la Commission. Il a été décidé de l’aborder sous l’angle du débat public qu’il permet de susciter, en se coulant dans sa procédure plus qu’en se fiant à son efficacité propre.
Les débats ont porté autour de la dette, de la fracture générationnelle et de la nécessiter d’accroitre le budget européen. Un groupe de travail piloté par François HADA a été lancé à cette occasion qui doit proposer un thème susceptible de constituer le support d’une ICE.

Après quoi l’équipe de Sauvons l’Europe a continué son travail de découverte et de convictions, en échangeant avec les Bruxellois et en leur faisant découvrir notre belle association.

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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