Vers une Union fiscale ?

L’Union européenne abrite les plus grands paradis fiscaux au monde. Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas d’endroits exotiques, mais les Pays-Bas, l’Irlande et la Belgique représentent ensemble le plus grand trou noir mondial de la fiscalité. Ces pays bénéficient à la fois d’une stabilité politique et économique exceptionnelle, d’un branchement direct au sein du plus grand marché mondial, et d’une indépendance fiscale quasi-totale au sein du marché unique. C’en est au point que l’Irlande ne sait guère plus calculer son PIB réel.

En effet, la matière fiscale est régie par l’unanimité et les progrès en matière d’harmonisation de l’impôt sur les sociétés sont nuls depuis près de 40 ans. Il a fallu récemment une pression forte des Etats-Unis et de l’OCDE pour qu’un seuil d’impôts des sociétés minimal de 15% pour les entreprises réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires. L’Europe n’a pas été capable de réguler son propre marché malgré ses nombreux efforts.

Rappelons donc ici une des vieilles propositions de Sauvons l’Europe, sur laquelle nous avons fort bataillé : une avant-garde européenne vers une Union fiscale. Quel serait son rôle ? Les Etats-membres volontaires pourraient développer une préfiguration des règles fiscales futures du bloc européen, de la même manière qu’a démarré l’euro. Ceci pourrait permettre de réduire la concurrence fiscale au sein du continent.

Le premier élément, central, est de définir des bases de calcul communes pour les principaux impôts. C’est le cas pour la TVA en Europe, mais pas pour l’impôt sur les sociétés, malgré de nombreuses tentatives en ce sens de la Commission. Or les sociétés sont extrêmement mobiles dans l’espace juridique européen. Les boutiques, les bureaux et les usines ne se déplacent qu’avec difficulté et en renonçant à une part de leur marché local, les sièges sociaux bondissent d’un simple trait de plume. Elles doivent donc trouver les mêmes règles partout, afin que les avantages fiscaux accordés par les Etats soient clairs et publics.

Le second élément est une politique fiscale relativement commune, sous la forme d’un taux d’impôt minimal. Ce second point n’est pas obligatoire, et ne concernerait pas par exemple des impôts qui ne sont pas mis en oeuvre dans tous les pays comme désormais la taxe d’habitation. Il est en revanche essentiel pour l’impôt sur les sociétés et de manière générale sur les taxes qui frappent le capital mobile.

Ensuite, un service d’enquêtes fiscal transnational permettra des positions conjointes sur les entreprises qui ont une politique internationale d’évitement fiscal, ou sur les acteurs comme les banques ou les cabinets de conseil qui organisent cette disparition fiscale. Au delà de la mise sur pied d’équipes ad hoc, la constitution d’un bureau permanent qui centralise les enquêtes communes assurerait une forte capacité de récupération fiscale. En attaquant de manière systématique les entreprises qui ont recours aux mécanismes de délocalisation fiscale dans les paradis, y compris européens, ce service d’enquêtes pourrait rendre plus délicate leur attractivité. Une coopération avec les Etats-Unis sur ce point serait de nature à démultiplier cet effet.

Enfin, politiquement, les contributions des Etats membres concernés au budget de l’Union européenne pourraient par défaut faire l’objet d’une identification sous forme d’imposition commune, avec une part européenne de l’impôt sur les sociétés. Il s’agit là essentiellement d’affichage, mais la chose est importante lorsque l’on cherche à dessiner le futur de l’Europe.

Certes, me direz-vous, il ne s’agit là que de rassembler des volontaire au nombre desquels ne figureront pas les Etats délinquants. Absolument. Mais une telle coopération renforcée se traduirait par l’apparition de normes de référence européenne qu’il ne serait plus possible d’écarter par la suite. Petit à petit, elles informeraient les décisions des juges sur ce qu’est un cadre fiscal normal, aux côtés des principes de l’OCDE. L’implication de la Commission aurait le même effet, autant pour la rédaction des normes futures dont elles seraient le modèle évident que comme schéma de référence pour l’ensemble de la question fiscale dans les négociations internationales ou l’application du droit de la concurrence. Dans l’avant-garde, l’unanimité fiscale serait remplacée par un système de majorité permettant les évolutions futures. Enfin, on peut supposer que des avancées dans la solidarité, désirables par tout un chacun, puissent à terme se trouver liées à une pression de plus en plus forte à rejoindre ce groupe qui a vocation à englober un jour tous les Etats membres.

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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12 Commentaires

  1. En effet, une harmonisation fiscale serait un premier pas significatif dans la construction de L’Europe, encore faudrait-il que les premiers à s’y engager aient une place significative en Europe, L’Allemagne, la France, l’Espagne, Italie, la Pologne par exemple

    • Je crains que tout cela ne reste dans un fond de tiroir à Bruxelles. Ce serait si bien d’obtenir enfin un peu de justice.

  2. Je rejoins le comment de Péquignot ci-dessus, en m’étonnant tout de même que les pays au comportements fiscaux les plus opportunistes et…mafieux ? (…mais tout en restant dans un cadre juridique légal), aient en même temps la plus grande stabilité politique. A ce moment, je pense qu’il serait certainement plus ´´vendeur’´ de proposer à tous les autres, les mêmes avantages en faisant de l’UE un paradis fiscal, une vaste démocratie bananière d’où serait exclue une bonne partie de la population que leurs états encourageraient à migrer…ce qui arrive de toute façon quand on voit l’interprétation des principes de droit dans tous les pays, y compris le nôtre, tant au niveau de ses services publics que de la prise en compte de l’expression des idées de chacun dans une représentation démocratique apaisée. Or ce sont les idées (et les idéaux…) qui font avancer les états. Comme celle exprimée ici, qui propose quelques pistes pour normaliser cette anarchie fiscale. Nous avons apparemment en UE les meilleurs fiscalistes d’entreprise qui « organisent cette disparition fiscale ». Peut-être pourrions-nous en débaucher quelques-uns pour qu’ils conseillent la Commission et les états « volontaires » sur ce futur «cadre fiscal normal» ? En sachant que nous n’éviterons pas non plus la classique réponse toute faite de l’appauvrissement lié à la perte de ces statuts privilégiés et de la fuite des capitaux et des investissements dans…d’autres paradis fiscaux, plus exotiques.
    L’Union ? Nous en sommes encore loin !
    Les citoyens eux, se sont déjà lassés de ces petits jeux politiques et des marchands de tapis qui les mènent.

  3. Enfin dit ! Les seules frontières sont fiscales, j’écrivais il y a quelques décennies. Reste à le faire déjà en coopération renforcée, comme la taxation des transactions financières, et en toute urgence.

  4. Il serait intéressant que SLE interroge les différents partis qui vont se présenter aux prochaines élections européennes, dans les 27 pays, sur leur position par rapport à cette revendication progressiste qu’est l’harmonisation fiscale intereuropéenne. Je me demande s’il y aurait de quoi en faire une majorité parlementaire.

  5. L’article est intéressant et pose bien l’état de la situation, mais les solutions temporaires proposées sont encore assez loin de pouvoir constituer des réponses tout à fait opérationnelles.
    Maurice Guyader

  6. Un objectif fondamental, que « Sauvons l’Europe » a raison de ne pas abandonner. Pour autant, le point d’interrogation du titre est justifié. Bien sûr, une coopération renforcée sur le terrain fiscal serait actuellement le seul moyen de surmonter l’obstacle d’une thématique liée par le principe du vote à l’unanimité. Nous savons bien que l’époque actuelle n’est guère favorable à des grands changements qui n’ont pas eu lieu, ces cinquante dernières années. Faisons en, en tout cas, un thème de campagne électorale dans le contexte de l’élection du Parlement européen, en 2024

  7. Lutter contre l’ « optimisation fiscale », la fuite des capitaux et les paradis fiscaux (Caraïbes, Émirats arabes…) les zones franches (Genève…)… pratiquée par Malte (yacht…) la Belgique (héritages, sièges…), le Luxembourg, les pays du Nord comme les Pays Bas, la Suède (Banques : HSBC, BNP…), l’Irlande (siège de sociétés notamment informatiques) est évidemment une bonne idée, mais qui est morte née à partir du moment où elle ne s’applique que sur la base du volontariat,

    Cette idée doit être imposée à tous par un referendum sinon des parades seront vite trouvées par des cabinets conseil pour y échapper. Il est temps que L’UE propose à ses peuples un referendum sur son bilan, ce qu’elle a fait de notre argent, sur ses résultats réels, sur ses échecs d’investissement (détournés par des corruptions diverses…), sur ses objectifs, clairement exprimés, enfin en finisse avec les droits de veto, la majorité absolue, qui freine toute dynamique et en vienne à la majorité relative de 51% !

    Un budget a-t-il été voté pour 2024, où peut-on le consulter car il indique mieux que tout blabla ce que l’UE veut faire de notre argent, ses priorités réelles !L’UE reste pour l’ensemble de ses citoyens une énorme machine opaque, aux structures anti-démocratiques, lente, manipulée par les lobbies, dirigée surtout pour défendre les intérêts de l’Allemagne et de ses satellites, et tant qu’elle ne jouera pas la carte de plus de transparence, de plus de partage de pouvoir avec ses électeurs et leurs représentants, qu’elle continuera à pratiquer sa rhétorique absconse, jargonesque, incantatoire, elle ne fera que renforcer les suspicions, fondées ou non, des citoyens, leur rejet !

  8. On peut se demander si les États-Unis vont appuyer une telle initiative (service d’enquêtes ), alors qu’ils ont eux mêmes leurs propres paradis fiscaux (Delaware).

  9. Bonjour.

    Cet article et vos divers commentaires montrent que l’Europe actuelle est incapable d’être au service des peuples, que la cupidité et les manipulations diverses aboutissent à d’énormes manques à gagner pour une bonne gouvernance des nations qui la composent.
    Il est plus facile de faire travailler plus longtemps un être humain qui se tue à la tâche que de récupérer un impôt qui est du par les plus nantis ?

    C’est toujours la loi du plus fort, du pot de terre contre le pot de fer, il est de plus en plus difficile d’être optimiste.

  10. Une multinationale devrait faire une seule déclaration fiscale à l’UE. L’UE devrait ristourner les revenus fiscaux aux différents pays suivant des critères objectifs à établir.

    De plus l’implantation des centres de production des multinationales devrait être supervisée par l’UE et décidée en fonction du soutien économique que l’UE voudrait donner à ses régions sous-développées au chômage important.

    • Bonjour GERARD.

      Votre commentaire est plein de bon sens, malheureusement, l’obstacle est l’absence d’une véritable gouvernance européenne, il faudrait mais ils n’en veulent pas ?

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