Vaccins : les choix européens

La poussière retombe lentement sur les raisons de la lenteur vaccinale européenne et nous commençons à avoir un meilleure appréciation de ce qui s’est passé. Si la bureaucratie et la lourdeur de Bruxelles ont été immédiatement pointées du doigt, les véritables choix européens ont été ailleurs.

Au départ, plusieurs grands pays européens, dont la France, l’Allemagne et l’Italie démarrent une négociation avec les producteurs de vaccins et parviennent à signer de premiers accords. Ceci soulève une immense inquiétude des pays plus petits et plus pauvres, persuadés que l’ensemble de la production sera monopolisée par ce groupe de tête. On réfléchit à confier à la Commission un groupe d’achat pour les petits, mais la concurrence entre les deux initiatives est politiquement compliquée.

Les pays de tête vont donc accepter de transmettre le flambeau à la Commission. Ceci est le premier choix, et on verra qu’il n’est pas anodin. Il a été fait au nom de la solidarité européenne et va peser lourd par la suite.

La Commission se met donc en branle pour négocier. Elle a pris un peu de retard, elle n’a pas de compétence sur la santé (et donc d’administration bien affutée), surtout elle n’a pas les mains libres : tout ceci se discute à 27. Au final, on perd quelques semaines; peu dans l’absolu mais énorme en temps de pandémie.

Les pays membres vont faire deux autres choix qu’ils vont imposer à la Commission dans sa stratégie de négociation, aujourd’hui fortement discutés. Le premier est de négocier très fortement les prix. Pari tenu : l’Europe paye ses vaccins un quart à la moitié moins cher que les USA. C’était l’inquiétude des pays moins fortunés d’Europe, mais était-ce le coeur du sujet quand on voit le coût quotidien de l’activité économique ralentie ? Le second est de tenir les industriels responsables en cas de problème lié au vaccin. Les autres pays semblent avoir accepté de garantir les fabricants contre tous risque de défaut de leur produit. Nous saurons si ce focus sur la qualité sera payant à terme.

Le quatrième choix est géopolitique : l’Europe accepte que ses industries vaccinent le monde. Les USA ont fermé les ventes à l’international, pas l’Europe. L’Europe s’engage dans un effort mondial pour fournir des vaccins aux autres continents, pas les USA. La vaccination au Canada est made in Europe. On peut estimer que la moitié de la production européenne environ part vacciner d’autres pays, ce qui permet d’expliquer en grande partie la différence de vaccination entre la population européenne et américaine.

On découvre en revanche que contrairement à ce qui a pu être dit un peu rapidement, les clauses sur les livraisons effectives de vaccins dans les contrats avec Astra-Zeneca sont les mêmes pour l’UE et la Grande-Bretagne. Les différences de livraisons proviennent donc plutôt, en contexte de pénurie, de la volonté de l’entreprise de fournir en priorité son pays, dont la recherche a créé le vaccin et où elle dispose d’une usine de production (et qui paye les doses beaucoup plus cher).

Au final le problème ne semble pas tant être dans le retard à l’allumage du fait de coordonner sur le vif 27 pays (et stratégies) différentes, que dans la production physique des vaccins, et dans le choix de ne pas se les réserver.

Thierry Breton est en charge de mettre sous tension l’appareil de production européen (et Suisse). Mais la vive montée en température auprès d’Astra Zeneca, qui a vendu au monde bien plus que ce qu’il peut produire et n’est sans doute pas seul dans cette situation oblige à poser les questions : solidarité mondiale ou Europe d’abord ?

De fait, hormis Israël et quelques pays du golfe à faible population qui ont accepté de payer très cher et très en amont les vaccins quand leur efficacité était encore à étudier, personne ne peut se targuer d’une vaccination avancée de sa population. Le Royaume-Uni fait un peu mieux, parce qu’il a des usines sur son sol. Mais la réalité crue est que les vaccins n’existent pas pour l’heure. Si nous fermions nos frontières au nez des autres pays, l’Europe pourrait faire mieux (un peu en dessous du double du rythme actuel ?). Les comparaisons avec l’effort qu’on pu faire de petits pays pour sécuriser l’écume de la production n’ont aucun sens : il n’est matériellement pas possible de disposer du même nombre de vaccins qu’en Israël pour l’ensemble de la population européenne.

Sauf pour un pays : l’Allemagne. L’Allemagne a une forte capacité de production sur son sol. Elle aurait eu la capacité de vacciner sa population si elle avait réservé un stock stratégique de vaccin. Elle ne l’a pas conservée. Le choix allemand de la solidarité passe totalement inaperçu en France, mais le débat politique y est d’une extrême violence, et à raison. Nous avons souvent fustigé le retard permanent de l’Allemagne sur les décisions communes, son mauvais gré à fédéraliser la puissance économique. Disons-le franchement, le choix allemand de jouer collectif sur les vaccins est une décision de solidarité historique, et qui laissera des traces.

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

Soutenez notre action !

Sauvons l'Europe doit son indépendance éditoriale à un site Internet sans publicité et grâce à l’implication de ses rédacteurs bénévoles. Cette liberté a un coût, notamment pour les frais de gestion du site. En parallèle d’une adhésion à notre association, il est possible d’effectuer un don. Chaque euro compte pour défendre une vision europrogressiste !

Articles du même auteur

9 Commentaires

  1. Merci Arthur pour ce très bon article.
    Je le trouve convainquant, parce-que bien renseigné. Il pointe en même temps la volonté sociale de l’Europe, mais aussi la complexité de mêler des intérêts différents, voire contradictoires pour trouver une solution de compromis !
    Le fonctionnement démocratique prend parfois beaucoup de temps, mais, est capable de se remettre en cause, pour corriger des erreurs, améliorer.
    Sachons garder raison.

    • J’adhère à cette analyse car elle ouvre une voie vers une prise de conscience essentielle de la destinée de l’Europe: s’unir vraiment au delà des différences ou perdre toute influence au niveau mondial. Cela serait préjudiciable à l’ensemble de l’humanité car l’Europe est une des composantes du monde portée par l’héritage d’une histoire longue , lequel rassemble des cultures dont la diversité enrichi l’héritage commun.
      Parmi les éléments de cet héritage notre pays apporte deux concepts originaux qui nous valent les critiques des pays où les religions interviennent dans les modèles de sociétés aux niveaux politiques :notre concept de république et la laïcité interprétée à tort comme rejetant les religions.
      Or ces deux concepts ont l’avantage considérable et unique d’assurer à la fois un modèle démocratique et le libre choix de chacun d’exercer pleinement sa liberté de pensée tant dans les domaines philosophiques que religieux et politiques , avec comme réserve qu’ils ne visent pas à les imposer à d’autres.
      C’est dans l’état actuel des connaissances le mieux à même d’installer une société apaisée. Ce qui lui confère une valeur universelle en cela qu’elle concerne l’humanité dans son ensemble.

  2. Quand on voit tous ces atermoiements ( mot faible ) entre les 27, çà renforce l’idée que l’Europe est insipide. Il y a quand même urgence médicale. Ce n’est pas rien ! Si nous étions en phase exterminatrice violente du virus, on ne serait même plus là pour en parler.

  3. Merci pour cet excellent article, il repose malgré tout la question de la gouvernance européenne, quand aurons nous un véritable gouvernement européen (président, conseil des ministres, etc…), quand aurons nous une armée européenne, une douane européenne, une fiscalité européenne, une politique de santé et une politique sociale européenne, etc, etc…
    Seul nous ne sommes rien, uni nous ferions jeu égal avec les autres grands blocs, ce n’est pourtant pas difficile de le comprendre, surtout arrêtons de dire que nous ne sommes pas prêt, ce sont les profiteurs qui maintiennent cet état de penser, commençons si nécessaire avec quelques pays, les autres suivront.

  4. Merci pour cet article, et singulièrement sur cet éclairage du choix allemand, dont, à titre perso, je n’avais encore rien lu de tel, sur ce fait.

  5. Merci pour votre article qui expose la situation avec beaucoup de clarté et aussi, et ce n’est pas négligeable, rend justice à l’Allemagne. C’est assez rare pour le souligner.

  6. C’est le meilleur article que j’aie lu depuis des années. Félicitations ! Ça donne une sacrée leçon aux grands media comme le Monde etc. C’est ça l’information qu’ils devraient nous donner, au lieu de parler de détails qui ne sont pas les causes de la lenteur de la vaccination.

  7. Cher Arthur, j’ajoute mes louanges au concert.
    Mais j’ajoute aussi que les Britanniques (plutôt le gouvernement Anglais en l’espèce) se vantent d’avoir vacciné plus de personnes que les autres, alors qu’ils ont cru malin de différer à plus tard la 2e injection, pourtant nécessaire pour établir une immunité à peu près solide (il faut encore peser ses mots). Continuons à observer et à apprendre.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

A lire également