Une taxe européenne sur les transactions financières, ou comment les consciences politiques basculent ?

Le Parlement européen dans le camp des régulateurs

La semaine dernière, les députés européens se sont prononcés en faveur d’une taxe sur les transactions financières (TTF). Dans son viseur, les hedge

funds notamment qui vendent, achètent et revendent sans cesse, générant une instabilité chronique sur les marchés. Certes, une résolution n’est pas contraignante, mais quand une majorité de 529 voix pour se dégage, c’est incontestablement qu’il se passe quelque chose ! Et pour enfoncer le clou, un amendement a été voté pour que cette taxe s’applique à l’échelle européenne. C’est un acte fort qui, s’il aboutissait, pèserait annuellement de 200 à 300 milliards d’euros.

Quand la coupe est pleine

Qu’y a-t-il sous cette petite révolution qui voit les droites d’Europe apporter leurs suffrages aux régulateurs ? Un message déterminé adressé à la Commission et aux gouvernements ? Sans doute. Peut-être aussi une dose de calcul politique dans le vote favorable de la CDU de Merkel qui a des échéances électorales en Bade-Wurtemberg. Mais il y a plus. A l’UMP, la majorité des députés a choisi de désobéir aux consignes du gouvernement Sarkozy et de voter pour cette résolution. Qui aurait imaginé que les droites européennes – allemande et française notamment – iraient dans ce sens ? Même Anni Podimata, la socialiste grecque auteur du rapport, n’y croyait pas.

Pour beaucoup de parlementaires, la coupe est pleine. La dictature des spéculateurs passe de moins en moins et le plafond de verre libéral se fissure. La mue idéologique serait-elle enclenchée ? Après avoir été qualifiés d’archaïques car nous voulions réguler l’économie de marché, n’y a-t-il pas là un mea culpa inavouable des libéraux de tous poils ? En réalité, chacun sent bien qu’il n’est plus possible de laisser aux marchés le choix de faire ce qu’ils veulent, car ils ne manient pas seulement des flux financiers, mais bien les destins de millions de citoyens d’Europe et bien au-delà. En montrant au politique tous les sujets sur lequel il avait cédé face au marché, la crise a-t-elle eu le mérite de le réveille ? La suite nous le dira, mais prenons ce premier geste. Après l’insurrection des consciences, celle des pratiques devra suivre, car les peuples ne pourront pas se contenter de déclarations d’intentions. N’oublions cependant pas que, dans le même temps, les forces de l’argent ont repris leur poussée et Wall Street a publié des profits de 144 milliards distribués aux actionnaires pour 2010. La marche est encore longue.

Des ruisseaux pour une rivière ?

Isolément, cette taxe sur les transactions financières ne signifie rien, mais lorsqu’on la conjugue à l’interdiction d’achat des CDS, alors les possibilités de spéculer se réduisent. Les CDS (Credit Default Swap) sont des assurances contre les défauts de paiement. Actuellement, il est possible de prendre ces assurances sur des titres que l’on ne possède pas. C’est comme si monsieur X prenait une assurance sur la vie de monsieur Y. Son intérêt serait alors de le tuer pour toucher le jackpot. Le Parlement européen a, sur ce dossier, pris l’initiative de durcir la position de la Commission, ce qui va dans le même sens que la limitation drastique des ventes à découvert à nu (la possibilité de vendre un titre que l’on ne possède pas). A terme, les spéculateurs vont perdre leurs instruments favoris.

Transformation radicale plutôt que réformisme ?

Taxe sur les transactions, interdiction de multiples pratiques spéculatives. Sur le papier, le retour du politique ne fait pas dans la demi-mesure. On est alors en droit de se demander si le logiciel réformiste n’a pas du plomb dans l’aile, si la gauche ne doit pas revenir sur ces orientations de ces 15 dernières années, c’est-à-dire l’accompagnement des marchés avec une régulation à dose homéopathique ? Car de cette situation, nous sommes aussi les co-responsables (n’oublions pas les bilans des gouvernements Blair, Schröder et, sur certains points, Jospin). Dans l’imaginaire de la réforme, il y a l’idée d’un changement à la marge, ou plutôt à système constant, sans changement des règles du jeu, mais en insérant seulement quelques clauses supplémentaires. Ne faut-il pas au contraire renverser l’échiquier et imaginer un système entièrement reconstruit en assumant un certain dirigisme, une stratégie d’affirmation politique résolue et opérante pour éliminer des pratiques que la social-démocratie a fini par tolérer tant bien que mal ? Gardons-nous toutefois de toute incantation stérile dont nous avons aussi le secret. Souhaitons une aube nouvelle pour une voie de transformation profonde et sans concession, assumant la confrontation avec les marchés financiers et l’innovation politique et économique. Non pas classe contre classe, mais sans doute front contre front ou plutôt intérêt général contre intérêts des spéculateurs qui finissent par mettre en péril l’ensemble de l’économie. Car au fond des sociétés européennes, la colère monte et la gauche aurait bien tort, faute de courage politique, d’endosser une fois encore le costume du dindon de la farce, à la remorque d’un changement qui va plus vite que nous.

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