Une part de notre humanité

Depuis plus de 6 ans, une tragédie humaine se déroule au Burundi au vu et au su du monde. Un régime cruel est à l’origine d’une véritable catastrophe humanitaire qui interroge sur la capacité de la Communauté internationale à protéger un peuple en danger. Pourtant, celle-ci dispose des instruments légaux de mise à l’arrêt des atrocités en cours et pourrait tirer toute la gloire d’être à la hauteur de sa mission. Mais, pour l’instant, l’absence à la souffrance de l’autre laisse mourir une part de notre humanité commune au Burundi.

Le désastre en cours au Burundi débute en 2015, quand le Président Nkurunziza décide de se représenter pour un troisième mandat en violation de la Constitution et de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi signé en 2000 grâce à la médiation de Nelson Mandela et le soutien actif de la Communauté internationale. Ce putsch contre les textes fondateurs déclencha les manifestations pacifiques citoyennes d’un peuple qui n’en pouvait plus des crimes politiques et économiques perpétrés par le régime du CNDD-FDD depuis son arrivée au pouvoir en 2005. La police tira à balle réelle sur un peuple sans arme sous l’œil des caméras des reporters internationaux, enclenchant une mécanique de répression qui ne s’est jamais arrêtée. Le bilan de l’état de terreur instauré depuis lors par le régime du CNDD-FDD fait froid dans le dos. De 2015 à ce jour, on dénombre plus de 2 500 opposants assassinés, des milliers de disparus, 11 000 prisonniers politiques qui survivent dans des conditions infrahumaines, des milliers de femmes violées et des jeunes gens castrés, près d’un demi- million de réfugiés. Il ne se passe pas un jour sans que des corps sans vie ne soient découverts dans des rivières, dans des champs ou des caniveaux, défigurés par les actes de tortures perpétrés tantôt par la police, tantôt par des unités des services de renseignements ou par la sinistre milice imbonerakure. Terrorisés, les parents des victimes s’emmurent dans le silence pour tenter d’échapper à la répression qui les guette s’ils osent murmurer leur colère et leur détresse de ne même pas pouvoir accéder aux corps des leurs pour les enterrer dans la dignité. Car tout ceci se passe dans un contexte où l’opposition politique, la société civile et les médias indépendants ont été muselés et forcés à l’exil afin que le crime contre la population se poursuive à huis clos. Face à cette violence inouïe, la CPI a ouvert en 2017 une enquête pour crime contre l’humanité au Burundi. Des centaines de rescapés ont été auditionnés par les enquêteurs mais le temps de la justice étant indépendant des urgences de la survie humaine, les victimes se multiplient et leurs bourreaux se croient intouchables.

Comme cela s’est passé ailleurs, la tragédie humaine en cours au Burundi est aussi encouragée par ce qui ressemble au renoncement de la Communauté internationale à son obligation de protéger un peuple en danger. Celle-ci est au courant des discours animalisants et d’appel au meurtre que déversent quotidiennement les ténors du régime de terreur contre les opposants. Elle sait que des milliers de miliciens illégaux quadrillent le territoire national burundais, qu’ils rackettent, violent et tuent qui ils veulent quand ils veulent. Que, donc, les instruments du crime de masse sont déjà en place. Pourtant, aussi bien l’ONU que l’UA semblent s’être résignés au pire. Ces deux organisations, si importantes pour la paix dans le monde, n’ont pas réagi face au rejet, par le régime du CNDD-FDD, de leur proposition de déployer des forces de sécurisation de la population burundaise afin de créer les conditions propices au dialogue national.

Elles n’ont pas réagi quand les médiateurs, Michel Kafondo pour l’ONU et Benjamin Mkapa pour l’EAC, ont été obligés de jeter l’éponge face au refus du régime de dialoguer avec son opposition. La Communauté internationale a également beau savoir que le Burundi post- Nkurunziza est dirigé par des généraux dont une partie est sous sanction internationale pour leur implication dans de graves crimes contre la population, elle regarde, pour l’instant, ailleurs. Profitant de cette amnésie internationale, les lobbies s’activent dans l’ombre pour une reprise de la coopération économique entre l’Europe et le régime du CNDD-FDD malgré les crimes en cours. Se moquant des tentatives de l’amadouer, et toujours dans la caricature, le régime du CNDD-FDD vient de condamner des humanitaires, des journalistes, des opposants et des défenseurs des droits humains à perpétuité sous le motif fallacieux d’être des putschistes, transférant ainsi sa culpabilité sur ses victimes. Ce même pouvoir qui, à ses débuts, m’a accordé la distinction de « Maman nationale » pour mon rôle dans la protection des enfants, me condamne aujourd’hui à perpétuité !

Cependant et heureusement, dans les périodes sombres de l’histoire humaine, où l’absence à l’autre semble prendre le pas sur l’élan de secours, se révèle également la part lumineuse de l’ Humanité. Alors que les infrastructures modernes de soutien à la population, financées par plusieurs organisations et fondations familiales privées de l’Europe telles que l’hôpital REMA, la banque microfinance, les écoles, les centres d’enseignement des métiers, les centres de réhabilitation de jeunes traumatisés, les bibliothèques communautaires etc ont été pillés par le régime du CNDD-FDD et que nous étions forcés à l’exil, pour échapper à la mort, nous avons rencontré des êtres humains qui font honneur à l’humanité. La solidarité du gouvernement Rwandais à l’égard des réfugiés a été exemplaire. Notre peuple a été accueilli en toute dignité. Sa sécurité et l’accès aux services de base assurés. Quant à notre association Maison Shalom, elle a pu reconstruire des infrastructures de soutien psychologique aux rescapés de la terreur d’Etat, trouver des bourses pour des étudiants, ouvrir des ateliers de la formation en métier pour les réfugiés grâce à la solidarité indéfectible des amis de la Maison Shalom dans le monde. Actuellement, nous nous sommes lancés dans la création de l’Académie Ubuntu pour armer notre jeunesse des compétences scientifiques et technologiques ainsi que des valeurs de culture de paix. Car pour nous l’antithèse à la barbarie se trouve dans les valeurs humanistes d’Ubuntu. En ces moments de grande souffrance pour le peuple burundais, je tiens à remercier également du fond du cœur les diplomates, les parlementaires, les défenseurs des droits humains, les hommes d’Eglises ainsi que les simples citoyens qui, partout dans le monde, refusent de plus en plus de cautionner la barbarie en cours sous les tropiques. A vous tous, je dis merci de votre fidélité au sens profond du « Plus jamais ça ». Vous incarnez le combat contre l’effritement de la mémoire et le cynisme politique sur nos vies et l’avenir de nos enfants. Sachez que comme l’on fait d’autres avant lui, le peuple burundais est bien entendu debout et résilient. Il poursuit la lutte pour sa survie. La lutte pour un État de droit dans lequel la sécurité physique, morale, économique et la liberté sont garantis à tous.

En tant que mère, chrétienne, citoyenne du monde et lauréate des dizaines de prix décernés par de nombreux pays et institutions internationales pour mon engagement en faveur de la protection des enfants et pour la paix, mais aussi en tant que victime parmi les victimes, je ne peux que porter plus haut le cri d’alarme de mon peuple. J’implore la communauté internationale à ne pas fermer les yeux sur le désastre en cours au Burundi. Car là se meurt une part de notre humanité commune.

[author title= »Marguerite Barankitse » image= »https://www.sauvonsleurope.eu/wp-content/uploads/2021/10/722px-Marguerite_Barankitse_2017_stamp_of_Armenia.jpg »]Fondatrice de la Maison Shalom, Chevalier de la Légion d’Honneur et Docteur Honoris Causa notamment des Universités de Louvain-La-Neuve en Belgique, de Lille en France, ainsi que Duke et Seattle aux Etats Unis[/author]

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2 Commentaires

  1. C’est terrible! De cette situation dramatique on n’en fait nullement état aux actualitées télévisées. Comme si cela avait moins d’importance que le temps qu’ils accordent à des futilités au journal de 13 ou 20 heures. Comment sotenir ces hommes; ces femmes, ces enfants qui ont le même sang que celui qui coule dans mes veines?
    Nadya.

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