Un peu d’arc-en-ciel en Pologne ne suffira pas à faire un printemps européen

« Zone sans idéologie LGBT ». Ces mots renvoient aux heures les plus sombres de l’histoire européenne et résonnent comme un slogan glacial, soutenant qu’aimer – autrement qu’en étant hétérosexuel – serait une croyance, voire une déviance par rapport à un ordre « naturel ». Ces déclarations absurdes et anachroniques sont prononcées au XXIe siècle, en Pologne.

Depuis le retour du parti Droit et Justice (PiS) au pouvoir en 2015, les relations entre ce pays et l’Union européenne – dont il est pourtant membre – ne cessent de se crisper. En 2019, des dizaines de communes, de comtés et 5 régions (voïvodies) situées dans le Sud-Est du pays (sur 16 voïvodies en Pologne) avaient pris des arrêtés homophobes, rejetant une soi-disant idéologie homophobe et refusant la muse en œuvre des recommandations en matière d’éducation sexuelle de l’Organisation Mondiale de la Santé. Cette déferlante homophobe s’inscrivait aussi en réaction à l’initiative de certaines métropoles polonaises, dont Varsovie, d’adopter des chartes sur la non-discrimination pour motifs sexuels.

La Commission européenne avait, dans un premier temps, diligenté une enquête au niveau administratif enjoignant les autorités régionales à apporter des clarifications juridiques sur la portée de ces résolutions, et menacé du gel du versement des fonds structurels dont la Pologne est le plus grand bénéficiaire.

Pour sa part, le Parlement européen adoptait en décembre 2019 une résolution demandant à la Commission d’envisager l’introduction d’une procédure d’infraction aux Traités de la part de la Pologne. Des communes de toute l’Europe, dont en France Nogent sur Oise ou Saint Jean de Braye, avaient alors annoncé la suspension de leur jumelage avec les collectivités locales concernées, tout en encourageant les associations à poursuivre leur collaboration. La Commission européenne lançait finalement en juillet 2021 une procédure d’infraction contre la Pologne : une lettre de mise en demeure avait été envoyée, dénonçant le caractère discriminatoire de ces mesures à l’encontre des personnes LGBTQ+. Ursula von der Leyen avait qualifié ces zones de « sans humanité ». Sauvons l’Europe milite activement pour les libertés en Europe et avait soutenu l’ADDP dans la lettre envoyée aux villes et régions françaises jumelées avec les collectivités polonaises appliquant ces décisions liberticides.

La région de Sainte-Croix faisait partie des collectivités ayant pris ce type d’arrêté homophobe. Or, ce 22 septembre 2021, mettant en œuvre une « recommandation » de l’entourage du Premier ministre Morawiecki, elle vient de renoncer à se déclarer « zone sans idéologie LGBT » lors d’une assemblée régionale retransmise en direct en ligne. En effet, Bruxelles ayant suspendu les négociations sur le versement de fonds européens (programme de soutien à la reprise en faveur de la cohésion – React EU), la voïvodie de Sainte-Croix s’est subitement découvert un vif intérêt pour les droits et libertés individuels. La voïvodie de Petite-Pologne a annoncé emboîter le pas à sa région voisine.

Sauvons l’Europe rappelle que l’Europe, à défaut d’invoquer seulement l’amour et l’eau fraîche, dispose d’un moyen de pression, certes universel mais efficace : l’argent. La Pologne est le premier pays bénéficiaire des fonds structurels pour la période 2021-2027 avec 75 milliards d’€ programmés. Elle pourrait bénéficier de 30 milliards d’€ d’ici 2026 au titre du plan de relance européen, mais leur versement est actuellement gelé car le gouvernement polonais fait la sourde oreille pour donner suite aux demandes de la Commission de remédier aux déficiences structurelles dans son système d’Etat de droit. La politique de conditionnalité sur le respect des droits fondamentaux doit être rigoureusement poursuivie.

Le revirement annoncé de quelques voïvodies sur le sujet des droits LGTBQ+ ne doit cependant pas être l’arbre qui cache la forêt. La liste des conflits juridiques entre l’Union européenne et la Pologne reste très longue : contentieux sur la réforme du système judiciaire, procédure en cours devant la Cour constitutionnelle polonaise risquant d’aboutir à la remise en cause du principe de la primauté du droit européen sur le droit polonais, bâillonnement des médias critiques du gouvernement, droit des femmes ou encore droit de l’environnement. Or, si le gouvernement polonais effectue un travail de sape continu de l’application du droit européen et pave la voie vers un « Polexit » de fait, la population polonaise reste très largement acquise à l’appartenance à l’Union européenne.

Dès lors, il faudrait souhaiter que, pour assainir les relations entre la Pologne et l’Union européenne, le gouvernement actuel aille au bout de ses responsabilités et, dans une logique d’hygiène démocratique, porte la question de la place de la Pologne dans l’Union européenne devant les électeurs !

[author title= »Solen Menguy et Matthieu Hornung » image= »https://www.sauvonsleurope.eu/wp-content/uploads/2016/01/logo-initiales-SLE.jpeg »]Solen et Matthieu sont membres du conseil d’administration de Sauvons l’Europe[/author]

 

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2 Commentaires

  1. Bonjour, pourquoi voulez que le gouvernement polonais porte la question de la place de la Pologne dans l’Union européenne devant ses électeurs, il n’a aucun intérêt à le faire, ceci dans une logique d’hygiène démocratique, mais ils en ont rien à faire.
    Pour eux, ce qui les intéressent, c’est de recevoir de l’argent de l’EUROPE, en le détournant si possible.
    Quand aux idéaux européen, ils s’en contrefoutent.
    Supprimer ces aides, on ne cesse de l’évoquer s’en le faire ?
    Beaucoup de naïveté (peut-être volontaire) dans l’intégration des pays de l’est, la cupidité a dominée, beaucoup ont voulu s’enrichir avec les salaires très bas de ces pays ?

  2. Sur le plan juridique, la seule conditionnalité relative au versement des fonds européens se réfère à l’existence d’un « état de droit » dans les EM bénéficiaires. Cette conditionnalité n’est donc pas directement liée au respect de droits individuels tels que ceux concernant les personnes LGBT. D’autre part, la légalité du règlement relatif à la conditionnalité est actuellement examinée par la CJE.

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