Super Ligue : le séparatisme des nantis du football n’aura pas lieu

« Observons donc l’Europe à travers son football. On y rencontre une société de plus en plus inégalitaire avec sa bourgeoisie des grands clubs. Ils accaparent les titres en Europe et souhaiteraient des championnats rien que pour eux. A côté, un presque prolétariat du ballon rond. Tous ces autres clubs, plus modestes, piétinent dans les différentes compétitions. Avant, les « petits » étaient le piment du sport, désormais ils retardent le profit, tout simplement parce qu’il n’y a pas d’arbitre économique dans le football européen. Chaque année, dans cette course folle aux armements, les riches équipes continuent à piller méthodiquement de leurs meilleurs éléments les équipes plus modestes. Chaque exploit est rendu un peu plus difficile et les classements sont de plus en plus figés. L’accumulation du meilleur capital sportif par les clubs les plus privilégiés conduit forcément à fausser la compétition. »

Nous avons écrit ces lignes il y a près de 15 ans et elles sont malheureusement d’une actualité terrible. Ce mois-ci, douze grands clubs européens ont cru le moment venu de créer une ligue close sur elle-même dans laquelle l’homogénéisation des équipes dans l’excellence ramène à un résidu négligeable le mérite et en fait tout aléa sportif. Officiellement, il s’agit bien sûr de sauver le football face au désintérêt supposé des jeunes générations et accessoirement des fortes pertes enregistrées par les clubs, la pandémie précipitant le tout.

Dans la réalité, c’est le modèle de fuite en avant financière de ces grands clubs qui s’écroule : dépenser pendant des années toujours plus d’argent qu’ils n’ont pas en spéculant sur une hausse future des recettes (billetterie, sponsoring, droits TV, vente de joueurs). Une bien belle bulle financière, sous transfusion de fonds publics.

Ce train de vie démesuré était toléré par les supporters car l’âme du football restait malgré tout préservée : Leicester pouvait être champion d’Angleterre, le Stade Rennais se qualifier pour la Ligue des champions et l’Atalanta Bergame ou l’Ajax d’Amsterdam y réaliser des exploits. L’accès au stade de plus en plus cher, l’écart de budget entre les clubs grotesque à force de gigantisme, ils faisaient avec. Jusqu’au projet déconnecté d’une Super Ligue qui a fait souffler un vent de révolte chez tous les amateurs de football, y compris les supporteurs des douze équipes sécessionnistes. Ces images incroyables des fans de Chelsea bloquant le bus de leur propre équipe et insultant leurs dirigeants pour dénoncer cette trahison resteront dans l’histoire du football.

Sous une nouvelle face, cette révolte met à nouveau en scène le fossé qui sépare la majorité des citoyens de nos élites. Quand les Britanniques votent pour le Brexit, quand les Américains élisent Trump, quand les Français manifestent en gilet jaune, quand les Italiens votent pour des partis antisystème, ils s’opposent à l’idée que les citoyens n’auraient plus leur mot à dire et ne seraient appelés qu’à applaudir les décisions forcément salutaires prises par ceux qui savent.

Cette colère doit se canaliser dans un débouché politique progressiste qui mette en avant la dignité de chaque être humain. Rappeler que chaque vie compte, qu’il faut protéger les plus fragiles sans désigner de boucs-émissaires faciles, redonner l’espoir que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, n’est-ce pas ce qu’essaie de faire actuellement Joe Biden aux Etats-Unis ?

Ces valeurs s’incarnent naturellement dans le sport, dès lors que l’arbitre fait respecter les règles. Le fameux arrêt Bosman prenait bien garde à confirmer que « les objectifs consistant à assurer le maintien d’un équilibre entre les clubs, en préservant une certaine égalité des chances et l’incertitude des résultats […] sont légitimes. » Contre le dopage financier, l’Europe doit se doter d’un plafonnement des salaires des joueurs et du contrôle des transferts, ainsi qu’une régulation des droits à l’image. Puisque la sécession des ultra-riches du football n’aura pas lieu, rêvons à un renouveau progressiste né en Europe lorsque des supporters ont spontanément défendu leurs idéaux de partage et de fraternité.

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3 Commentaires

  1. Notons le grand écart entre, les cris d’orfraie du gouvernement quand il s’agit de combattre les ultras-riches du foot, et les cadeaux ou soutiens de ce même gouvernement aux ultra-riches avec le plafonnement à 40 ou 50% de la tranche max des impôts ou la suppression de l’ISF par exemple. Je suis contre l’envolée des rémunérations des grands sportifs et contre celle de nos milliardaires (+30% de leur patrimoine financier en France en 2020 sur la tête des 4 plus gros) !
    Alors SLE, un effort… Avez-vous vu Macron monter au créneau en augmentant les tranches supérieures d’impôts de façon significative, non pas sur les seuls salaires, mais bien sur les hauts patrimoines immobilier, financier et de succession ?
    Fendez vous d’articles en ce sens, et vous ferez figure de prophètes.

  2. N’y aurait ‘il pas un rapprochement à faire entre nos soi disantes élites (politique et économique) et ces ultra riches du football ?
    Nos divers gouvernements, qu’ils soient nationaux ou européen, pour préserver leurs prérogatives actuelles, n’empêchent’ ils pas la création d’une véritable nation européenne ?
    Bien sûr, ils essaient de nous faire croire le contraire mais les faits sont là.
    Arrêtons cette duperie, levons nous comme ces supporteurs pour que l’EUROPE soit une puissance politique,
    économique et sociale, un modèle pour le monde entier.

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