Rebondir après le non irlandais

LE NON IRLANDAIS est un sérieux avertissement. Pourquoi le contester ? Il est révélateur du malaise des opinions publiques bien au-delà de l’Irlande. La mondialisation et les mouvements migratoires inquiètent les citoyens. On peut résumer ainsi leur état d’esprit : tout fout le camp ! A qui la faute ? Dans la plupart des pays membres, ni le gouvernement ni le Parlement n’ont expliqué l’Europe. Ils se sont même défaussés sur elle. Ils ont fait de l’antipédagogie. D’où cette expression fantomatique d’un « Bruxelles » coupable de tous les maux. On dirait presque un film d’épouvante. Ce qui ne va pas ? La faute à Bruxelles, bien sûr. Une des raisons du non français était liée à la peur de l’élargissement, la fable du plombier polonais. Ni le président ni le gouvernement de l’époque n’avaient donné la dimension historique de l’événement. Ils n’avaient pas su expliquer que c’était un bonheur pour nous d’accueillir des pays qui avaient passé plus de quarante ans sous la dictature communiste.

 

Comment réagir ? Avec calme. Il ne sert à rien de paniquer ni d’essayer de trouver des solutions dans l’immédiat. Il faut laisser le processus de ratification aller à son terme. A ce moment-là, les gouvernements aviseront. N’oublions pas que le traité de Lisbonne était le fruit de laborieux compromis : il ne mérite ni les excès d’honneur ni les excès d’indignité dont on le qualifie aujourd’hui. Il ne devait entrer, en ce qui concerne le processus de décision, garantie de l’efficacité, en vigueur qu’en 2014, sans doute même un peu plus tard à la demande des Polonais. En réalité, les décisions qui comptent en Europe sont prises par les conseils des ministres, donc par les gouvernements. Les chefs d’Etat et de gouvernement ne pourront donc pas se cacher derrière le non irlandais. Ils doivent débattre et décider pour ce qui figure à l’agenda de l’Union européenne : le très bon programme élaboré par la Commission européenne sur le climat et l’énergie, l’avenir de la Politique agricole commune, la création d’un ensemble euro-Méditerranée, les propositions de M. Sarkozy sur le pacte sur l’immigration.

 

Pour que l’Union avance à nouveau, il faut que les chefs d’Etat et de gouvernement aient une vision à la fois rassurante et exaltante de l’Europe. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous en sommes à l’Europe des seuls intérêts communs. Un exemple : lorsque la Commission européenne fait des propositions concernant le climat et l’écologie, ce sont les gouvernements nationaux qui freinent en réagissant sur la base de leurs intérêts à court terme. Il n’y aura pas de relance politique de l’Europe au sens plein du terme tant que les chefs d’Etat et de gouvernement ne seront pas capables de dépasser les intérêts nationaux. Certains ont su le faire dans un passé récent. Je pense à Giscard et à Schmidt, à Mitterrand et à Kohl. Pour que l’Europe avance, il faut que ses institutions soient plus réactives à l’actualité. Par exemple qu’elle réponde aux événements qui touchent aujourd’hui les pêcheurs, les transporteurs, les agriculteurs… Or que constate-t-on ? Lorsque les autorités françaises disent à juste titre qu’il faut trouver une parade européenne à la hausse du prix du pétrole, la Commission répond : circulez il n’y a rien à voir !

 

Mais il faut surtout, et c’est en cela que le non irlandais est préoccupant, qu’on en revienne à ce qui a permis d’avancer dans le passé. Quelle que soit sa taille, est-ce qu’un seul pays, grand ou petit, peut s’opposer à l’avancée de la construction européenne ? C’est la question de fond. Elle avait été tranchée grâce à ce qu’on a appelé la différenciation puis les coopérations renforcées. Est-ce qu’en 1985 nous aurions démarré le processus de Schengen, la liberté de circulation des personnes à l’intérieur de l’Union, si on avait dû attendre l’accord de tous ? La décision a été prise à cinq sur neuf et peu à peu les autres ont rejoint… Sauf l’Irlande et la Grande-Bretagne. Aurait-on fait l’euro en 1991 s’il avait fallu l’accord de tous ? Onze pays sur quinze seulement étaient favorables à la monnaie unique et remplissaient les conditions. Dire cela, ce n’est pas menacer les Irlandais, c’est rappeler les conditions de l’efficacité. Ce qui était vrai à neuf ou à quinze l’est plus encore à vingt-sept.

 

Le véritable défi lancé à l’Union européenne, c’est la conciliation entre l’élargissement – réponse aux mouvements de l’Histoire – et l’approfondissement – condition de survie de l’Europe dans un monde en mutation profonde. Qui aura le courage et la sagesse de proposer des coopérations renforcées sur l’énergie, avec une politique commune vis-à-vis des producteurs, ou sur l’Union économique et monétaire, pour rééquilibrer l’économique et le monétaire ?

 

Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne

Tribune parue dans Le Nouvel Observateur du jeudi 19 juin 2008

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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