Paul Collowald : le « big-bang » du 9 mai

Dialogue avec Paul Collowald pour les 70 ans de la déclaration Schuman

Paul Collowald fut le premier correspondant du journal Le Monde auprès des jeunes institutions européennes à Strasbourg. Il fut ensuite porte-parole auprès des Vice-présidents français de la Commission européenne, R. Marjolin et R. Barre, avant de rejoindre Pierre Pflimlin alors président du Parlement Européen. Il a ensuite présidé l’association Robert Schuman tout en s’investissant dans l’intergroupe « Quart monde » du Parlement Européen sur la grande pauvreté. Il est toujours proche de Jacques Delors.

Alsacien et homme des frontières, Paul Collowald reste l’un des derniers témoins encore actifs, à 97 ans, et acteur de ce moment historique unique, où une même génération d’Européens assista au suicide matériel et spirituel de l’Europe avant de faire le choix de vivre et de reconstruire. Une biographie Paul Collowald, pionnier de l’Europe à Unir lui a été consacrée par Sabine Menu, professeur à l’université de Strasbourg.

Il échange ici avec Henri Lastenouse, Secrétaire Général de Sauvons l’Europe, et Jean-Pierre Bobichon, Conseiller de l’Institut Jacques Delors.

Vous pouvez télécharger l’entretien sous ce lien, ou le lire ci-dessous

J.-P. Bobichon Cher Paul Collowald, racontez-nous « votre » 9 mai 1950

Je vais sans doute vous surprendre un peu, car mon expérience du 9 mai 1950 est indissociablement liée à une autre date très personnelle, celle du 12 août 1949. Autour de ces deux dates se dessine aussi mon propre parcours européen.

Pour ce qui est du 9 mai 1950, je me trouve jeune journaliste à la rédaction de mon quotidien strasbourgeois Le Nouvel Alsacien. Sur le fil AFP je vois annoncer une conférence de presse pour l’après-midi portant sur une importante communication du gouvernement français. Au fur et à mesure que tombent les dépêches, je découvre dans la quarantaine de lignes de la « Déclaration Schuman » la réponse aux questions que j’avais eues l’incroyable chance de partager avec Schuman (alors ministre français des affaires étrangères) quelques mois plus tôt, en août 1949, lors de la rencontre que nous avions eue ensemble en marge de la première session du Conseil de l’Europe, à Strasbourg.

H.Lastenouse Votre mémoire du 9 mai 1950 est donc aussi celle d’une rencontre fondatrice ?

Exactement, le 9 mai me renvoie au souvenir de ce moment si particulier pour moi que fut ma première rencontre avec Robert Schuman. Cette soirée du 12 août 1949, où j’ai cheminé avec le ministre à pied dans Strasbourg jusqu’à la préfecture où il logeait.

Durant notre pérégrination, Schuman m’interroge sur mes derniers reportages. Je lui indique que je reviens d’une enquête sur la jeunesse allemande.  J’expliquais la complexité de la situation de cette génération issue des jeunesses hitlériennes. En traversant le Rhin pour la première fois depuis le 8 mai 1945, j’avais constaté les dégâts de l’hitlérisme sur les jeunes générations allemandes issues des Hitlerjugend. Ma conclusion soulignait le rôle que devrait aussi jouer ce qui ne s’appelait pas encore « la société civile », notamment au travers d’échanges de jeunes.

Robert Schuman enchaîne en me faisant remarquer que les premières élections allemandes « d’après-guerre » auront lieu le surlendemain, le dimanche 14 août. La République fédérale d’Allemagne existe depuis le mois de mai 1949 avec sa Constitution, mais elle n‘a encore ni parlement, ni gouvernement. Je vois le ministre très préoccupé de ce qui va sortir des urnes. Je l’entends encore s’interroger : « Allons-nous recommencer le traité de Versailles avec son cortège d’humiliation, de crises et d’engrenages tragiques comme pour le « premier » après-guerre ? Comment allons-nous trouver une solution européenne permettant à cette jeune république allemande de s’intégrer dans un après-guerre démocratique ? »

Ainsi en découvrant la teneur de cette, désormais si fameuse, déclaration Schuman, au-delà de sa portée publique, je tenais aussi la conclusion de mes propres échanges strasbourgeois avec Robert Schuman.

J.-P. Bobichon Avec le recul, à quel point le 9 mai 1950 a-t-il infléchi la vie des Français ?

Indiscutablement, il y a un avant et après 9 mai 1950 pour la France, pour l’Allemagne et, in fine, pour l’organisation politique du continent européen. En me quittant Robert Schuman m’indique aussi qu’il doit se rendre à New York le mois suivant pour rencontrer ses homologues anglais et américain, pour traiter justement du « problème allemand ». Au cours de cette réunion, il sera décidé d’y apporter un début de réponse lors d’une nouvelle rencontre prévue à Londres le 10 mai 1950. C’est Schuman qui se voit confier la mission de proposer un document exploratoire préparant de futures décisions.

Au cours du printemps 1950, au fur et à mesure qu’approche la date du 10 mai, Robert Schuman réfléchit à sa proposition pour Londres. Voilà, par ailleurs, que Jean Monnet, Commissaire au Plan avec son équipe lui fournit, mi-avril, les sept feuillets qui allaient devenir la « Déclaration Schuman ». La proposition Monnet, c’est un « avenir possible » à présenter à ses collègues américains et anglais. En décidant de faire de ce texte la position de la France, via un vote en conseil des ministres, Schuman fait date. Assumer politiquement les sept feuillets de Monnet, qui auraient pu très bien finir aux archives, c’est poser un acte historique en rupture avec la tradition du quai d’Orsay dont il est le patron.

Avant d’être l’acte fondateur de l’Europe, le 9 mai 1950 est un acte par lequel la France ouvre une nouvelle ère dans sa relation à l’Allemagne. Un acte certes déjà imaginé par quelques pionniers ou visionnaires, mais jamais incarné avant cette date. D’ailleurs, Adenauer dans sa réponse à Schuman rajoutera un postscriptum à la main avouant avoir espéré cette nouvelle ère depuis 1925… Aujourd’hui encore, même après la chute du bloc soviétique, l’Europe s’organise toujours dans le sillage de ce « big-bang » du 9 mai 1950.

H.Lastenouse Quel regret dans la gestion française de l’héritage du 9 mai 1950 ?

Naturellement, je pourrais rappeler les épisodes de 1954 (échec de la Communauté européenne de défense), puis de 1965 (la politique de la « chaise vide » du général De Gaulle) ou encore une sorte d’effacement français durant la décennie 2000, pour tenter une liste des « ralentissements successifs » du train lancé le 9 mai 1950…

Mais, plus modestement, je constate que chez beaucoup de nos voisins européens, notamment en Allemagne, les députés européens et plus généralement ceux qui s’investissent dans le « champ européen » sont scrupuleusement sélectionnés en vue d’effectuer plusieurs mandats, afin de faire leur miel des réseaux bruxellois. C’est seulement à ce prix qu’il est possible de se voir confier les postes clefs de rédacteur ou de coordinateurs des textes législatifs initiés par la Commission européenne et ensuite amendés et voté par le Parlement européen. Cette réalité n’a jamais été vraiment perçue en France, sans doute à cause du caractère « particulier » du mode de scrutin électoral des européennes. Avec le temps, la France a perdu l’habitude d’envoyer à Strasbourg des personnalités hors du commun comme ce fut le cas pour Louise Weiss et Simone Veil, que j’ai eu l’honneur de côtoyer. Bref, il y a dans la marche quotidienne de l’Europe un enjeu concret lié à la qualité des personnalités qui sont la voix de la France en Europe.

J.-P. Bobichon Que souhaitez-vous retenir d’essentiel au sujet de la « révolution » du 9 mai 1950 ?

Le 9 mai 1950, Robert Schuman répondait dans le contexte de son temps à cette question fondamentale qui continue à courir : « quel est encore le poids des nations européennes ? ». Ce dont je me souviens et ce que je ressens aujourd’hui, c’est qu’en politique, il faut à la fois de l’imagination, de l’audace et du pragmatisme. Cela donne au final les petits pas très concrets de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) et en même temps la vision à terme d’une « fédération européenne ».

On oublie aussi souvent que dans le texte du 9 mai se trouve une innovation institutionnelle fondamentale. C’est la composante « supranationale » du dispositif CECA. Je veux parler de la Haute Autorité, qui sera présidée par Jean Monnet à ses débuts. C’est dans cette composante « supranationale » que se niche toute « Souveraineté européenne », mais aussi le principe de l’égalité de droits entre partenaires, quelle que soit leur puissance et performance du moment. Cette égalité fonde la paix.

H.Lastenouse L’Europe affronte la pire crise sanitaire depuis un siècle. Vous évoquez le contexte si particulier de l’après-guerre. Mais aujourd’hui, quels enjeux pour le projet européen à l’heure du coronavirus qui nous dévoile le côté sombre de la mondialisation ?

En rebondissant sur le mot « mondialisation », je vous renvoie aux premières lignes du texte de la Déclaration Schuman qui résonne encore aujourd’hui. Je cite : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menace. La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut apporter (…) est indispensable ».

Ce rapprochement d’un texte de mai 1950, et des réalités d’aujourd’hui, peut-il être perçu par l’opinion publique ? Je crois que c’est possible. Certes pour ma génération, nous étions en sortie de guerre, avec ses dégâts collatéraux, mais avec la conviction que l’on construirait la paix grâce à une réconciliation basée sur la solidarité.

J.-P. Bobichon Justement, après notamment un appel à la solidarité européenne de Jacques Delors, il semble qu’un réveil soit en train de se produire en Europe. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, les Européens ont fini par s’entendre sur un plan d’aide hors normes de 540 milliards que chacun appréciera selon sa propre vision du projet européen… Il faut maintenir la pression pour aller plus loin et plus vite. Et notamment bien se mettre d’accord sur ce que les uns et les autres mettent derrière le mot « solidarité européenne ». Le débat est ouvert. Les réseaux sociaux et les médias devraient y apporter leur compétence et sang-froid. Reste, qu’aujourd’hui et demain, en sortie de crise, cette solidarité reste un impératif. Pour nos responsables politiques, comme pour le citoyen. À ce jour, l’acte du 9 mai 1950 reste un bel exemple de « sortie par le haut », d’une crise meurtrière, d’une guerre, par la confiance et la solidarité !

 

Pour en savoir plus :
www.institutdelors.euwww.sauvonsleurope.eu

A lire, entre autre :

MAILLARD S. 2013. Qu’avons-nous fait de l’Europe ? Lettres à Robert Schuman. Préface : Delors J., Paris : Editions Salvator.

MENU S. 2018. Paul Collowald, pionnier d’une Europe à unir, Bruxelles : Editions Peter Lang.

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