Olivier Ferrand, politique européen

L’ensemble de la famille progressiste européenne a été profondément émue par le départ si prématuré d’Olivier Ferrand, président fondateur de Terra Nova, tout jeune député des Bouches du Rhône. Et pour cause. Olivier Ferrand était non seulement un Européen convaincu mais un homme politique européen, comme la France en a si peu. Roger Liddle, ancien conseiller de Tony Blair pour les affaires européennes, livrait, dans son très bel hommage rendu à Olivier au nom de Policy Network, son immense tristesse à voir partir si tôt son brillant ami, dont les convictions européennes étaient l’épine dorsale idéologique, ayant « un drapeau européen pour colonne vertébrale », et qui aurait tant fait la France et l’Europe.

 

Tout au long de son parcours, Olivier Ferrand a porté avec constance un grand combat : la refondation d’une pensée sociale-démocrate globale, répondant aux défis posés par la nouvelle mondiale et la crise d’une Europe devant redéfinir son modèle. Le provincialisme de nos élites comme l’archaïsme de nos partis l’exaspéraient et étaient pour lui des injonctions à l’innovation. Ce diplômé d’HEC et de l’ENA avait tout pour faire une belle carrière classique en entreprise, dans la haute administration ou la politique, il a combiné les trois voies : son talent, son exigence et son courage ont fait de lui un remarquable entrepreneur en politique. Et le débat européen en a largement bénéficié.

 

Olivier Ferrand a très tôt choisi les enjeux internationaux et européens pour sujets de prédilection, convaincu que les politiques devaient désormais raisonner à cet échelon. Après avoir fait ses premières armes dans les négociations financières internationales, il devient conseiller pour les affaires européennes du premier ministre Lionel Jospin, puis de Pierre Moscovici, représentant de la France à la Convention sur l’avenir de l’Europe, avant d’être celui du Président de la Commission européenne, Romado Prodi, lui-même. Olivier ne se contente pas des affaires courantes, la prospective tournée vers l’initiative est sa méthode et sa passion. Il est alors rapporteur des travaux de la Table Ronde « Un projet durable pour l’Europe de demain » organisée à l’initiative du Président de la Commission européenne et présidée par Dominique Strauss-Kahn. Cette réflexion avec de grands acteurs européens, tel que Bronislaw Geremek et José Saramango, débouche en avril 2004 sur un texte programmatique capital pour la social-démocratie : « Construire l’Europe politique, 50 propositions pour l’Europe de demain». Il participe également à la rédaction du rapport d’Europanova, dont il est administrateur, « Peut-on faire l’Europe sans les européens ?», remis au Conseil européen en juin 2006, et fut le rapporteur général de la mission « l’Europe dans la mondialisation » présidée par Laurent Cohen-Tanugi (2007 – 2008). Son investissement le conduit, par ailleurs, à être délégué général de « A gauche en Europe », think tank fondé par Michel Rocard, Dominique Strauss-Kahn et Pierre Moscovici, ainsi que responsable du PS pour les questions européennes et internationales.

 

Olivier Ferrand n’a cessé d’appeler à la définition d’un nouveau projet européen pour une Europe politique. De l’essai remis à Romano Prodi avec Dominique Strauss-Kahn à son ouvrage de 2009, L’Europe contre l’Europe, il explique que l’Union européenne est à un tournant de son histoire et traverse une crise profonde, qui se reflète dans ses difficultés institutionnelles, son malaise démocratique et la crispation du débat sur ses frontières. Cette crise trouve pour lui son origine dans la méthode même de la construction européenne: la logique technocratique, qui a permis le lancement de l’intégration en écartant le débat sur sa finalité politique, constitue aujourd’hui son point d’achoppement. L’absence de légitimité démocratique de la Commission et la focalisation de l’Union sur l’approfondissement du seul marché intérieur alimentent une défiance croissante des citoyens à l’égard d’une Europe assimilée à un Diktat libéral et conduisent à de grandes carences en politiques publiques, d’ailleurs mises en exergue par la crise actuelle. Le choix d’une Europe politique, et non plus seulement économique, véritablement démocratique, et non technocratique, s’imposait pour Olivier Ferrand. L’enjeu n’était pas idéologique, mais bel est bien pragmatique : permettre à l’Union de poursuivre l’ensemble des objectifs que les Etats lui assignent, en premier lieu préserver et promouvoir le modèle de société des Européens. L’Europe fédérale n’impliquait guère pour lui de tremblement de terre, simplement d’adopter un système bicaméral, reposant sur le Parlement et le Conseil, doté d’un double exécutif, le Conseil européen et la Commission européenne, à l’image de l’équilibre français entre le Président de la République et le premier ministre.

 

Cette réflexion, trop audacieuse aux yeux de certains il y a peu, est pourtant lumineuse à l’heure où le débat sur l’avenir fédéral de l’Europe ressurgit, les Etats membres souhaitant renforcer l’Union après la crise. Sauvons l’Europe partage, pour sa part, l’essentiel des propositions d’Olivier Ferrand, notamment son appel à un « un coup d’Etat parlementaire » qui ferait directement émaner le Président de la Commission du Parlement européen, et salue encore son soutien au projet de primaires citoyennes européennes, innovation qu’il avait porté avec succès pour l’élection présidentielle française et qu’il aurait vu d’un bon œil répliquer pour la sélection du candidat du Parti Socialiste Européen à la Présidence de la Commission européenne. Le PSE a acté le principe de telles primaires en 2009 et 2010, reste à définir leur degré d’ouverture en France…

 

Nous ne perdons pas seulement avec Olivier Ferrand un visionnaire, dont le volontarisme et l’exigence ne reculaient devant aucun scepticisme convenu, mais également l’un des trop rares jeunes politiques français dont le réseau était véritablement européen. Il travaillait spontanément avec ses amis sociaux-démocrates italiens, allemands, espagnols, britanniques ou suédois, comme Sandro Gozi, son collaborateur auprès de Romano Prodi, aujourd’hui député responsable des affaires européennes du Parti démocrate italien et vice-président du Mouvement européen-Italie et Matt Browne, ancien conseiller de Jacques Delors et Président de Policy Network, directeur des affaires publiques pour le bureau londonien de APCO Worlwide, grand promoteur des primaires aux côtés d’Olivier. Il contribuait ainsi à l’émergence d’une nouvelle génération de politiques européens, qu’il appelait de ses vœux. C’est naturellement vers lui que le think thank américain, the Center for American Progress s’était tourné pour lancer en Europe la « Global Progress Initiative », qui visait à réunir de jeunes décideurs progressistes. Olivier Ferrand s’appuyait également sur ce réseau pour mener son combat pour la modernisation de la vie politique française. Il s’est ainsi inspiré des expériences de think tanks sociaux-démocrates européens et américains pour vivifier le débat d’idées en France et créer Terra Nova, boîte à idées qu’abreuve aujourd’hui l’ensemble de la sphère politique progressiste, la société civile et nos partenaires européens…

 

Olivier Ferrand va beaucoup manquer à la politique européenne et à Sauvons l’Europe, qui comptait travailler avec lui au développement dans nos Assemblées d’un « Europrogressisme ».

 

Mathilde Bouyé, responsable des relations avec les partis politiques

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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