Nos libertés ne sont pas invincibles

Acquis, oui, mais pas invincibles pour autant, nos droits et libertés subissent aujourd’hui les conséquences d’une épidémie qu’aucun pays européen ne s’était préparé à affronter.

Il y a près d’un mois et demi, l’Italie annonçait un confinement de sa population, suivie de près par la quasi-totalité des États membres de l’Union européenne. Alors que lois et régimes spéciaux ont été adoptés à tour de bras au nom de la santé et de la sécurité – une formule magique, pour sûr, de taille – les risques de dérives liberticides vont croissant. Si la majorité de ces mesures ont été indispensables pour endiguer l’épidémie et alors que l’Europe se prépare à un déconfinement progressif, la peur ne doit pas motiver ces restrictions sur le long terme, ni leur entrée dans le droit commun.

Je dis bien « la majorité de ces mesures ont été indispensables », car il en est qui ont largement dépassé les strictes exigences de proportionnalité et de nécessité qui s’imposent dans l’urgence ; des conditions par ailleurs rappelées par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. En Hongrie, c’est une atteinte manifeste qui a été portée aux principes fondamentaux de la démocratie lorsque Viktor Orban, le Premier ministre, s’est arrogé le pouvoir de légiférer par ordonnances dans le cadre d’un état d’urgence aux limites difficilement perceptibles. Si ce type d’écart est devenu une habitude pour celui qui gouverne le pays depuis 2010, la pandémie ne doit pas être prétexte à la banalisation tandis que le gouvernement flirte dangereusement avec la dictature. Alors que le Conseil de l’Europe a fait part de ses préoccupations sur le sujet, c’est au tour des Polonais de voir leurs droits les plus fondamentaux mis à mal par l’ineptie de leurs élus. Bafouant la constitution au vu et au su de tous, la Diète de Pologne a voté lundi 6 avril une loi autorisant l’organisation d’un scrutin par correspondance pour les élections présidentielles de mai. Le très conservateur parti Droit et Justice, profitant honteusement du trouble jeté par le coronavirus, œuvre en ce moment même pour le réexamen et le vote d’un projet de loi de 2016 interdisant totalement l’IVG. Face à ces dérives autoritaires, un collectif de députés européens appelle à une protection législative de l’Europe pour défendre les valeurs de liberté, de démocratie et de droits de l’homme. Mais encore faudrait-il qu’il soit entendu…

Car c’est bien là que l’épidémie joue son rôle, par le vacarme assourdissant qu’elle provoque, rendant inaudibles toutes les alertes ne se rapportant pas de près ou de loin à la santé et à la sécurité. Ce silence sélectif des médias pèse encore plus lourd sur nos droits et libertés individuels. A l’heure où les réponses font défaut, les populations les plus faibles telles que les sans-abris, les migrants, les femmes et enfants victimes de violence ou la population carcérale, font les frais de ce mutisme au mépris du droit à la santé. Sur le plan de la procédure, en France, les droits de la défense et le respect du contradictoire semblent aussi bien secondaires alors que la durée de la détention provisoire est désormais repoussée de manière automatique.

Mais si aujourd’hui la crise sanitaire couvre ces abus, qu’en sera-t-il demain ? Alors que les mesures de traçage des populations font de l’œil aux dirigeants, certains cèdent à la tentation. En Lombardie, c’est un système de surveillance générale qui a été privilégié via la mise à disposition des données issues des smartphones par les opérateurs téléphoniques. En France, en Belgique et en Espagne, des drones peuvent désormais survoler les promeneurs. Déjà instauré en Slovaquie ou en Bulgarie, le gouvernement français discute actuellement de l’application StopCovid, permettant de suivre les porteurs du virus. Bien sûr, conformément à la directive européenne ePrivacy, l’ensemble de ces données doivent être « anonymisées ». Mais, débattue et à raison, la surveillance de masse pose de réels problèmes en termes de libertés individuelles. Même limitées au contexte, accepter ces mesures c’est prendre le risque de l’habitude et ainsi de leur pérennisation.

Propices à l’autorité, les lois et régimes d’urgence portent en eux autant de danger que de sécurité : preuve en est l’état d’urgence en France qui aura duré pas moins de deux ans. Mais au-delà de cette contradiction, la question est celle de l’accoutumance des populations. Sommes-nous prêts à céder une partie de nos droits et libertés des plus fondamentaux qui soient, aujourd’hui par peur, demain par prévention ? Prêts, nous ne devrions jamais l’être. Si l’Union européenne doit préparer une réponse collective à l’après Covid-19 appuyée sur la Charte européenne des droits fondamentaux, les peuples européens doivent aussi rester vigilants – et c’est là la meilleure des garanties.

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6 Commentaires

  1. Chère Madame, vous faites le constat de l’inutilité de la Commission Européenne que plus personne n’écoute. Vous constatez que l’orchestre joue encore de plus en plus faiblement, pendant que le Titanic coule et il n’y a pas d’image plus frappante pour qualifier l’Europe. Cette situation ne serait pas arrivée si l’Europe avait fermé ses frontières; si elle avait pris des mesures financières d’aide; si elle s’était médicalement mobilisée. L’Europe a aussi trahi les peuples en signant l’ignoble traité de Marrakech; elle a fauté en créant une sous-monnaie du dollar sans harmonie fiscale; elle continue à accepter une immigration incontrôlable; elle continue à stigmatiser la Russie au lieu de commercer avec elle; elle se repose sur l’obsolescente OTAN pour sa défense. C’est un catalogue à la Prévert à minima.

    • Très bien BP 50 ! Le fonctionnement de l’UE, qui se prend pour l’Europe, ne pouvait pas aider les peuples dans cette crise car son but est essentiellement financier… Ce que nous constatons et qui provoque la débandade.

    • (à BP)

      Votre lecture de l’actualité européenne semble légèrement distraite, ou, en tout cas, quelque peu sélective.

      D’une manière générale, la Commission exerce en permanence le pouvoir d’initiative qui lui est reconnu par les traités européens pour leur application et fait œuvre persévérante de pédagogie en éclairant le sens et les objectifs de son action par de nombreuses « communications  » – auxquelles, du reste, les médias, sauf rares exceptions, se gardent bien de faire écho. Mais au-delà de ces missions quotidiennes et pour ainsi dire spontanées, il ne se passe guère de temps sans que le Conseil européen (au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement), le Conseil (à celui des ministres) ou le Parlement européen n’ « invitent » la Commission à préparer et présenter telle ou telle initiative: c’est ce que l’on peut considérer comme une complémentarité entre « impulsion » et « initiative ».

      Or, contrairement à ce que vous affirmez (et qui n’a qu’un lointain rapport avec le contenu de l’article publié par « Sauvons l’Europe »), les événements que nous sommes en train de vivre démentent le procès en inutilité que vous intentez à l’endroit de la Commission. Vers qui se tourne-t-on pour tenter de faire pièce avec le recul nécessaire et suffisant à la débandade qui a saisi nombre d’autorités nationales ? Sans négliger l’appel à la rescousse adressé par ailleurs à la Banque centrale européenne, quelques exemples permettent d’éclairer la réponse à cette question:

      – le 23 avril, à l’issue d’un sommet – peu conclusif – qui a réuni les leaders européens, ces derniers ont expressément mandaté la Commission pour qu’elle conçoive un plan de relance destiné à affronter la crise économique provoquée par le coronavirus;

      – quelques jours auparavant, l’association qui regroupe les agriculteurs européens avait adressé une lettre à la présidente de la Commission l’invitant à considérer leur secteur comme une priorité dans un plan de relance économique, tandis que le Conseil européen des jeunes agriculteurs l’a conviée à « sortir des sentiers battus » – preuve que l’on crédite encore l’exécutif européen d’une faculté d’inventivité;

      – tout récemment, 38 sénateurs français ont signé un appel en faveur d’une action européenne venant compléter et non se substituer à celles des Etats membres (compétents au premier chef en matière de politique de santé). Constatant qu’ « heureusement et contrairement à la crise financière de 2008, à la crise économique de 2009 et à la crise des dettes publiques de 2010, la réponse est cette fois-ci au rendez-vous », les élus saluent le rôle que la Commission est appelée à jouer dans diverses directions: coordonner la production d’équipements de protection et le rapatriement de ressortissants européens; financer les recherches sur un traitement de la pandémie; mobiliser les ressources du budget européen et de la Banque européenne d’investissement dans le but de préserver l’emploi et aider les entreprises frappées par la crise. Les sénateurs accueillent également avec intérêt sa décision d’appliquer une flexibilité maximale et inédite aux règles budgétaires afin d’aider les gouvernements à soutenir financièrement tant leurs systèmes de santé que leurs entreprises.

      Il est aisé, dans le confort de son salon, de faire des commissaires des « boucs-émissaires » (ça rime). Plus ardu est l’effort que réclame la prise de conscience des réalités du terrain.

      • post-scriptum: à titre de complément, j’ajoute une information dont j’ai pris connaissance après la publication de mon commentaire ci-dessus.

        Comme en écho à la formule employée par les jeunes agriculteurs, Valdis Dombrovskis, le vice-président de la Commission chargé de l’économie, a fait valoir, au cours d’une toute récente réunion de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, qu’en raison de la nature inédite de la crise un besoin se faisait sentir: celui d’une « réflexion qui sorte des sentiers battus » et que la Commission allait s’y atteler. Certes, la perspective de résultats tangibles d’une telle initiative n’est sans doute pas d’actualité immédiate. Mais l’engagement est pris, ce qui peut au moins augurer d’un travail en profondeur… et, même avec l’épée de Damoclès de l’urgence, redonne un certain relief à la célèbre formule de François Mitterrand:  » laisser du temps au temps ».

  2. Vous notez « preuve en est l’état d’urgence en France qui aura duré pas moins de deux ans » or, l’état d’urgence en France n’a été abrogé que parce que les mesures en vigueurs ont été ajoutées au droit classique. C’est donc le pire des scénarios, un état d’urgence qui dure et banalisé…

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