L’amendement Paradise Guerilla adopté au Sénat

En 2015, nous avions contribué avec Marie-Noëlle Lienemann à l’adoption par le Sénat d’un amendement précisant la définition de l’établissement stable, afin de contrecarrer la pratique d’un certain nombre de grandes entreprises jouant sur les définitions pour prétendre n’avoir pas d’activité en France, et donc ne pas y payer d’impôts. Le Gouvernement d’alors s’y était victorieusement opposé à l’Assemblée, indiquant notamment qu’un contentieux fiscal était en cours avec Google et que cet amendement était contreproductif. Le Tribunal administratif ayant annulé le redressement fiscal de Google précisément sur ce point, l’amendement a été redéposé dans le cadre de la loi de finances pour 2018 (y compris par M. Bocquet et le groupe communiste).

L’objectif n’est pas tant de régler de manière définitive l’évanouissement fiscal des multinationales que d’apporter une pierre parmi d’autres, sachant que les législations nationales forment la base des négociations internationales. Recouvrer une souveraineté fiscale réelle, fut-elle collective, sera un combat de tous les instants qui ne se résoudra jamais à un grand instrument multilatérial. C’est le sens de la campagne Paradise Guerilla, qui a déjà reçu le soutien de plus de 10.000 citoyens.

Nous avons le plaisir d’annoncer que le Sénat l’a adopté derechef, contre l’avis de la Commission et du Gouvernement! La convergence s’est faite sur l’ensemble des groupes politiques, à l’exception, nous sommes désolés de le dire, du groupe En Marche! Il reste maintenant à l’Assemblée à prendre ses responsabilités.

 

 

 

M. le président. – Amendement n°II-479, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Après l’article 46 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 209 B du code général des impôts, il est inséré un article 209… ainsi rédigé :

« Art. 209… – I. – Les bénéfices ou revenus positifs de personnes morales qui sont domiciliées ou établies dans un État étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A, lorsqu’ils sont liés à l’exercice d’une activité de vente de biens ou de service en France, sont réputés constituer un revenu imposable en France dans la proportion où ils sont générés par le biais de personnes morales domiciliées ou établies en France et contrôlées directement ou indirectement par elles, ou qui se situent sous leur dépendance économique, sauf à ce que le débiteur apporte la preuve que cette structuration correspond à des opérations réelles et qu’elle ne présente pas un caractère anormal ou exagéré.

« 1. Une personne morale domiciliée ou établie dans un État étranger ou un territoire situé hors de France est réputée pour les besoins du présent article disposer d’un établissement stable en France lorsqu’un tiers, établi ou non en France, conduit en France une activité pour la vente de ses produits ou services et que l’on peut raisonnablement considérer que l’intervention de ce tiers a pour objet, éventuellement non exclusif, d’éviter une domiciliation de la personne morale concernée en France.

« Le présent alinéa ne s’applique pas aux personnes morales et aux tiers qui entrent dans la définition des petites et moyennes entreprises prévue à l’article 51 de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, ni à celles dont le chiffre d’affaires annuel lié à la France est inférieur pris ensemble à 10 millions d’euros, ou dont les charges annuelles liées à la France sont inférieures prises ensemble à 1 million d’euros.

« 2. Une opération est notamment réputée présenter un caractère anormal ou exagéré lorsqu’elle entraîne pour les personnes morales qui y sont parties un bénéfice d’imposition supérieur au revenu positif raisonnablement attendu pour la personne établie ou domiciliée en France à l’époque de sa conclusion.

« 3. Le montant des revenus réputés imposables en France dans le cadre du présent article correspond au bénéfice lié à l’activité en France qui aurait été réalisé si l’opération avait été structurée sans que les considérations liées à l’impôt ne jouent aucun rôle et compte tenu de charges attribuables à cette activité conformes au premier alinéa de l’article 238 A.

« 4. L’impôt acquitté localement par l’entreprise ou l’entité juridique, établie hors de France, est imputable sur l’impôt établi en France, à condition d’être comparable à l’impôt sur les sociétés et, s’il s’agit d’une entité juridique, dans la proportion mentionnée au premier alinéa du présent I.

« II. – Le I ne s’applique pas lorsque la personne morale établie hors de France démontre que les opérations conjointes avec les personnes morales établies ou réputées établies en France ont principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de bénéfices dans un État ou territoire où elle est soumise à un régime fiscal privilégié. »

 

M. Pascal Savoldelli. – Nous mettons à contribution les géants de l’Internet et le commerce électronique. Convient-il de taxer l’utilisateur final, le cédant ou l’intermédiaire ? Le groupe CRCE pense qu’il faut cibler des plateformes, dont les recettes publicitaires sont considérables.

Nous sommes attentifs à éviter de pénaliser les enseignes de proximité ou les particuliers qui cèdent des biens d’occasion.

M. le président. – Amendement identique n°II-666 rectifié, présenté par Mme Lienemann et les membres du groupe socialiste et républicain.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. – En 2015, nous avions voté une solution raisonnable de taxation des GAFA. Le Gouvernement l’avait écartée au profit de sa propre méthode ; la récente décision du tribunal administratif sur Google nous a donné raison…

Cet amendement propose une définition plus large de l’établissement stable en France, en retenant comme critère un chiffre d’affaires supérieur à 10 millions d’euros. Il s’inspire de l’exemple britannique. L’OCDE prépare une circulaire qui se fait attendre. Si le Royaume-Uni et la France parlent d’une même voix, ils peuvent faire pencher la balance…

Notre amendement n’est ni contraire aux règles de l’OCDE, ni à celles de l’Union européenne. Le voter enverrait le message que la France est bien à l’offensive sur la taxation des GAFA.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. – C’est un sujet majeur, qui dépasse celui des seules entreprises numériques. Votre proposition n’est pas antinomique avec l’idée du Gouvernement de taxer le chiffre d’affaires. Mais elle est contraire aux conventions fiscales internationales signées par la France dont les articles 5 et 7 définissent l’établissement stable : on ne peut modifier unilatéralement cette notion.

Le dispositif britannique est anti-abus. C’est différent.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. – La logique est la même.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. – Retrait.

M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. – Depuis 2015, il s’est passé des choses, dont la décision du tribunal administratif. La France est impliquée dans le plan d’action BEPS. Elle a signé le 7 juin 2017 une convention multilatérale, qui sera déclinée dans les conventions bilatérales, et qui lutte notamment contre les montages de commissionnaires.

Le droit français dispose déjà d’outils efficaces comme l’abus de droit, le renversement de la charge de la preuve ou l’imposition des bénéfices d’un établissement stable non déclaré en France. Évitons les doublons.

Sur la fiscalité du numérique, le niveau européen et mondial paraît plus adapté. La France a obtenu une accélération décisive lors du conseil Ecofin de Talinn en septembre ; l’approche commune arrêtée le 5 décembre servira de base à l’élaboration du projet de directive européenne et au rapport d’étape demandé par le G20 à l’OCDE. Retrait ou avis défavorable.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. – À vous entendre, ce n’est jamais la bonne méthode ! Vous avancez toujours de nouveaux arguments…

Nous avons peut-être tous les outils, mais nous ne touchons toujours pas un kopek ! Si les conventions bilatérales font obstacle, que le Gouvernement les renégocie. Nous devons envoyer ce signal fort si nous ne voulons pas être au même point dans cinq ans. Le système que nous proposons a été élaboré par des experts de tous bords, il est opérationnel. Faut-il rappeler que nous avons perdu face à Google devant le tribunal administratif ?

M. Jean-Yves Leconte. – Pourquoi des conventions fiscales bilatérales empêcheraient-elles la France d’avancer et pas le Royaume-Uni ? Au Gouvernement de les faire évoluer pour les adapter aux bouleversements de l’économie. Lorsque l’OCDE aura trouvé un accord, il faudra bien le traduire dans les conventions. Rien ne s’oppose à ce que nous changions la loi.

M. Roger Karoutchi. – Il y a longtemps que je ne suis plus un révolutionnaire, si tant est que je l’ai été un jour… (Sourires)

Fin 2015, nous avions voté un amendement comparable. J’ai représenté la France deux ans auprès de l’OCDE, où les ambassadeurs ne font que relayer les demandes de leur gouvernement. Si la France fait des propositions au Secrétaire général et se montre active, elle peut être entendue. Les prises de décisions à l’OCDE sont toujours compliquées, chacun dépendant de son gouvernement. Si la France ne porte pas une position forte, les choses n’évoluent pas.

Cet amendement reprend notre vote de 2015, qui a eu quelques effets sur la politique du Gouvernement en 2016 et 2017. Toutefois, depuis, le tribunal administratif s’est prononcé et a refusé ces avancées au motif que diverses normes n’avaient pas été définies.

Est-il juste que certaines multinationales échappent à l’impôt ? Non évidemment. Ce n’est pas une question de droite ou de gauche, c’est une question de justice ! Je voterai donc cet amendement car le Parlement doit faire son travail et le Gouvernement doit avancer et affirmer sa position au niveau international.

Mme Nathalie Goulet. – Je voterai cet amendement. Il faut que le Sénat adresse un signal. Il n’est pas normal que les PME paient leur impôt à taux plein et que les grandes entreprises y échappent.

Les Danois ont nommé un ambassadeur pour travailler avec les GAFA sur les modalités d’imposition. C’est un sujet appelé à évoluer et le Sénat est dans son rôle en prenant position.

Mme Françoise Laborde. – Le RDSE votera aussi cet amendement.

Les amendements nosII-479 et II-666 rectifié sont adoptés.

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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2 Commentaires

    • Non effectivement, ce n’est pas la technique juridique que nous avons retenue; il nous faut au contraire montrer que la structure présente en France n’est pas une coquille vide et qu’elle a une activité déterminante.

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