La Suède nouvelle otage de l’extrême droite

Perdre le pouvoir constitue toujours une expérience pénible pour un leader politique. Certaines défaites sont particulièrement éprouvantes, surtout lorsqu’elles sont lourdes et mettent en cause la personnalité même du Premier Ministre sortant. Ce que vient de vivre Magdalena Andersson est pourtant d’un tout autre caractère: on pourrait parler d’une défaite rageante. Celle que subit une Première Ministre pourtant populaire et dont le parti a gagné des sièges mais qui voit l’ensemble de sa coalition s’incliner pour une poignée de voix. La défaite est d’autant plus perturbante que cet écart très faible entraine des conséquences importantes et un choc sans précédent dans l’histoire politique de la Suède puisque pour la première fois, l’extrême droite sera associée d’une façon ou d’une autre au gouvernement. Et pas n’importe quelle extrême droite si l’on considère les racines néo nazies des « Démocrates suédois » dont l’un des fondateurs a été, durant sa jeunesse, membre d’un groupuscule de cette obédience.

Sur le papier, les Sociaux-Démocrates obtiennent pourtant un bon résultat. Dans un paysage politique très morcelé, ils gagnent deux points pour repasser au-dessus de la barre des 30% ce qui leur permet d’obtenir 7 sièges supplémentaires. Ils restent le premier parti du pays chez les ouvriers, phénomène pourtant de plus en plus rare parmi les partis sociaux-démocrates à l’échelle européenne. Ils arrivent en tête dans la quasi-totalité des circonscriptions, démontrant ainsi une capacité à être présent dans l’ensemble du pays, aussi bien dans les zones rurales que sur les grandes métropoles. De plus, il est probable que si l’élection du Premier Ministre avait été directe, Magdalena Andersson l’aurait emporté tant elle est plus populaire que son principal adversaire Ulf Kristersson. Ajoutons à cela le fait que leurs principaux alliés, les Verts, ont également gagné deux sièges et on se dit que les choses semblaient pourtant bien engagées. Que s’est-il donc passé? La réponse se situe dans le score des deux partis situés à chacune des deux extrémités du bloc à savoir la gauche radicale et les centristes. Les premiers ont perdu 4 sièges, notamment dans le Nord du pays où l’on a assisté à un scénario malheureusement de plus en plus habituel à savoir des gains de l’extrême droite sur des terres de gauche. Les seconds abandonnent 7 sièges, ce qui constitue le recul le plus important parmi tous les partis. Il faut souligner le fait que le Parti du Centre, pourtant présent au sein du bloc de droite en 2018, avait finalement accepté de collaborer avec les Sociaux-Démocrates lorsque les Modérés ont commencé à exprimer des velléités de rapprochement avec l’extrême droite. Sans doute cette stratégie risquée lui a-t-il fait perdre une partie de son électorat de droite, pendant que l’électorat plus centriste a voté directement pour les Sociaux-Démocrates. Toujours est t-il que l’ensemble du bloc passe de 175 à 173 députés, ce qui suffit à lui faire perdre le pouvoir.

L’ironie de cette situation est que le parti du futur Premier Ministre, les Modérés, enregistre son pire score depuis 20 ans. Pire encore, les Modérés terminent à la troisième place derrière l’extrême droite, ce qui ne leur était encore jamais arrivé. En fait, ce sont l’ensemble des trois partis de droite qui subissent des pertes puisque leur nombre de sièges en cumulé passe de 112 à 103. Le seul motif de satisfaction des Modérés tient dans le fait qu’ils parviennent à devenir le premier parti parmi les 18-21 ans, ce qui témoigne d’une jeunesse particulièrement conservatrice, au moins parmi les jeunes qui votent. Mais force est de constater que la position du prochain Premier Ministre se trouve déjà particulièrement fragilisée par ce mauvais résultat d’ensemble. En effet, ce sont bien les Démocrates Suédois qui, en gagnant 11 sièges, permettent au bloc de devenir majoritaire. La percée de l’extrême droite est fulgurante, quoique plus limitée chez les femmes et les retraités. Les Démocrates Suédois progressent de manière particulièrement importante dans le Sud du pays, notamment dans l’agglomération de Malmö où les questions de sécurité et d’immigration sont devenues très prégnantes sur fond d’augmentation de la criminalité et d’apparition d’un phénomène de gang dans l’une des villes les plus diverses du pays. On sait que la Suède a subi de graves émeutes urbaines au printemps dernier suite à des provocations croisées entre l’extrême droite et les islamistes mais il semble que les premiers n’aient pas souffert de leur implication dans cette tenaille identitaire, menaçante en Suède comme ailleurs.

Que va-t-il se passer maintenant? Magdalena Andersson a pris acte de sa situation défavorable en présentant sa démission, ouvrant ainsi le champ à Ulf Kristersson. La Première Ministre sortante a annoncé en revanche qu’elle comptait continuer à diriger l’opposition en demeurant leader du SAP, considérant à juste titre qu’elle n’a pas démérité. De son coté, Ulf Kristersson ne dispose que d’une très faible marge de manœuvre. Son ambition est de former un gouvernement avec les seuls Chrétiens Démocrates qui serait soutenu à l’extérieur par les Libéraux et l’extrême droite mais rien ne dit que, fort de son bon résultat, cette dernière n’exigera pas d’entrer au gouvernement. Ce qui, à coup sûr, entrainerait la défection des Libéraux et donc la perte de cette majorité ténue. Le scenario le plus vraisemblable est néanmoins que l’extrême droite préfèrera obtenir d’importances concessions programmatiques en échange de son soutien externe. Or, il est évident pour tous que sa priorité absolue tient en son programme particulièrement radical en matière d’asile et d’immigration et c’est bien sur ces points que les Démocrates Suédois devraient monnayer très cher leur soutien à Kristersson, faisant alors de ce dernier leur otage.

Il n’est toutefois pas certain que cet attelage relativement hétéroclite tienne l’ensemble de la législature. Il suffirait effectivement de quelques défections pour que la situation devienne très rapidement intenable pour le gouvernement. Quelques nouveaux élus ont déjà montré une certaine réticence vis à vis des Démocrates Suédois, notamment chez les Libéraux. Raison pour laquelle Magdalena Andersson n’a pas forcément définitivement perdu la partie. Toutefois, cette hypothèse risque d’être rendue plus difficile par les déchirements internes au sein du Parti du Centre: la  démission d’Annie Loof pourrait en effet pousser les Centristes à revenir à leurs premières amours en se rapprochant à nouveau des Modérés. Mais la leader des Sociaux-Démocrates reste malgré tout populaire et sa ligne, à la fois sécuritaire et juste, prônant l’intégration face à tous les sectarismes, n’a absolument pas été désavouée. Elle constitue toujours un recours évident si, comme on peut le prévoir, la nouvelle proximité de l’extrême droite avec le pouvoir contribue à attiser encore davantage les tensions identitaires.

Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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7 Commentaires

  1. Merci Sébastien pour cet excellente synthèse. Rentrée frustrante en Suède pour les sociaux démocrates, à coup sûr… en attendant maintenant avec nervosité ce qui va se passer en Italie

  2. Bonjour.

    Ce scenario à la suédoise nous démontre bien que tout peut arriver, un espoir malgré tout est dans cette coalition pour gouverner qui, j’espère, ne tiendra pas longtemps la route.
    On pense à tort que cela n’arrive que chez les autres, l’actualité ne cesse de nous démontrer le contraire.
    La bonne gestion de l’insécurité, de la crise énergétique et climatique sera déterminante aujourd’hui et dans les années à venir pour éviter l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite.
    Des mesures de taxation des super profits doivent être prise rapidement par l’état dans un souci de justice sociale, de meilleure répartition des richesses, quand le fera t’il ?
    Ces derniers petit à petit grapillent des voix, ils avancent cachés en nous faisant croire qu’ils sont devenus un parti fréquentable, n’est-ce pas l’arbre qui cache la forêt ?.
    La montée du fascisme se fait par étape, si les partis politiques actuels ne se renouvellent pas, s’ils continuent à jouer avec le feu pour arriver au pouvoir, s’ils n’attirent pas notre jeunesse qui a pour l’instant l’air de les vomir, s’ils ne mettent pas en place des programmes ambitieux, sincères et plein d’espoir, s’ils ne prennent pas le taureau par les cornes pour combattre réellement l’insécurité par des actions audacieuses et pérennes, alors là, j’ai bien peur qu’une catastrophe arrive, et que ferons-nous ?

  3. Il serait triste que la droite un peu partout finisse par l’emporter… Nous avons besoin d’une Europe orientée sur la défense des idées sociales, d’un développement basé sur le durable qui tient compte des limites de notre planète. Écoutons les scientifiques qui expliquent pourquoi et comment ne pas dépasser ce que la terre et l’océan peuvent nous fournir. Quand j’écoute M. JANCOVICI je m’aperçois que les décideurs et nos dirigeants ont d’autres soucis en tête, et c’est très dommage.
    On nous raconte aussi bcp de carabistouilles sur les échanges et contrats en ce qui concerne l’énergie, le gaz et le pétrole.

  4. PS. Allez écouter ce que raconte Marc Endeweld à Pascal Boniface dans une intervention très intéressante par un spécialiste bien renseigné sur la question. Difficile d’ailleurs de suivre dans un domaine qui dépasse les amateurs comme le citoyen lambda, mais assez clair tout de même pour comprendre que les responsables politiques ne sont pas aussi calés et agissent selon leur humeur ou en fonction des attentes et les attentes de la presse grand public…

    • Bonjour Madame FOUCAUT.

      Vous avez tout à fait raison, on se rejoint car nous faisons preuve de bon sens, notion absente chez nos gouvernants.
      Vous savez pourquoi je ne cesse de demander de finaliser la construction européenne, parce que j’ai l’espoir qu’avec une véritable gouvernance, on avancera sue ces sujets.
      Aujourd’hui on constate qu’on est s’en arrêt à la recherche de compromis, qu’on renie les orientations qui avaient été prise la veille, que chacun joue pour soi, qu’on avance pas car certains s’attachent à leurs prérogatives actuelles, ils ne veulent pas évoluer et nous font croire le contraire, je suis très pessimiste sur l’avenir, j’espère avoir tort ?

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