La reconstruction de l’Ukraine ne peut pas attendre !

Préparer une reconstruction durable et décentralisée de l’Ukraine ne peut pas attendre, nous dit Dario Nardella, maire de Florence, Président d’Eurocities et rapporteur du Comité européen des régions sur le rôle des villes et des régions de l’UE dans la reconstruction de l’Ukraine.

Chaque jour de guerre en Ukraine apporte son lot d’horreurs : bombardements de civils, découverte de charniers, drones tueurs…Il est très difficile de se détacher des développements au jour le jour d’autant que l’agresseur russe s’est engagé dans une stratégie du pire. La guerre semble interminable et aucune perspective d’un arrêt des combats ne se dessine actuellement.

Et pourtant, il est urgent d’entreprendre dès que possible, c’est-à-dire sans attendre un arrêt des hostilités, une stratégie de reconstruction de l’Ukraine qui devra être durable et décentralisée. Il faut espérer que les jalons d’une telle stratégie soient posés dès le 25 octobre à Berlin à l’occasion d’une conférence internationale consacrée à la reconstruction de l’Ukraine et en amont de la présentation dans la foulée de cette conférence d’une proposition de la Commission européenne pour la mise en place d’une plateforme destinée à coordonner le soutien à la reconstruction. Une reconstruction qui est une nécessité et un devoir moral pour l’Europe mais aussi l’occasion de soutenir la transition de l’Ukraine vers une économie plus écologique et plus durable.

Le premier enjeu pour cette plateforme sera celle de son financement.

L’invasion russe a entraîné la destruction massive d’infrastructures ukrainiennes, de bâtiments, d’écoles, d’hôpitaux, de logements civils et du patrimoine culturel ukrainiens, s’élevant, selon certaines estimations, à plus de 750 milliards d’euros. Le 20 octobre, le Président Zelensky annonçait que 30% de l’infrastructure énergétique de l’Ukraine avait été détruite. Selon les prévisions du FMI, l’Ukraine ferait face à une diminution de PIB de l’ordre de 35 %. Enfin, l’économie ukrainienne a perdu entre 30 et 50% de sa capacité de production, ces pertes étant concentrées dans des régions économiquement essentielles, situées à l’Est et au Sud de l’Ukraine.

Or, force est de constater que pour la seule assistance macro-financière promise à l’Ukraine, à savoir 9 milliards d’euros, seuls six milliards ont été dégagés jusqu’à présent par l’Union européenne. Sachant que la situation de guerre impose un taux de provisionnement de 70 % dans le budget de l’Union, contre un taux normal de 9 %, et que le budget de l’Union pour la période 2021-2027 ne dispose plus de marges suffisantes pour financer des prêts, il apparaît clairement qu’il faut trouver d’autres moyens de financer cette aide, y compris en demandant aux États membres de fournir des garanties publiques supplémentaires.

Pour l’aide de reconstruction à plus long terme, le Comité européen des régions défend la position de demander à la Commission européenne de proposer une plateforme de financement en faveur de la reconstruction de l’Ukraine sur la même base juridique que le plan de relance européen post-COVID (la facilité de l’Union pour la reprise et la résilience), c’est-à-dire impliquant le recours à de l’emprunt. Cette nouvelle facilité remboursable à partir de 2027 devrait permettre à l’UE de préfinancer une part significative (40 %) des coûts de reconstruction et de relance en Ukraine.

Le Comité européen des régions suggère que le processus de reconstruction de l’Ukraine soit différencié en fonction du calendrier, des risques pour la sécurité, du degré d’exposition à la guerre des différentes régions et des problèmes spécifiques concernant la cohésion. La première étape devrait être la réaction d’urgence, la deuxième étape sera consacrée à la restauration des infrastructures et des services critiques et la troisième étape consistera à ouvrir la voie à une croissance durable à long terme.

Il faut se féliciter dans ce contexte de l’engagement pris par la Commission européenne, le 16 septembre dernier, de fournir au cours de cette première phase 150 millions d’euros pour aider les personnes déplacées à l’intérieur de l’Ukraine, et 100 millions d’euros pour reconstruire des écoles détruites par les bombardements russes, mais ces montants sont largement insuffisants au regard des besoins de cette première phase de redressement d’urgence, qui sont estimés à 17 milliards d’euros, dont 3,4 milliards d’euros dès 2022.

Pour sa part, le Comité européen des régions demande que la plateforme de reconstruction associe l’Alliance des villes et des régions pour la reconstruction de l’Ukraine en tant que partenaire à part entière à tous les stades de ses différentes phases de planification et de mise en œuvre.

Cette Alliance des villes et des régions pour la reconstruction de l’Ukraine, qui regroupe l’essentiel des associations de collectivités territoriales d’Ukraine et de l’Union européenne, s’engage en effet à faciliter la fourniture d’expertise au moyen de programmes de jumelage et d’échange pour renforcer les capacités administratives des administrations territoriales ukrainiennes, de promouvoir la bonne gouvernance et de fournir une assistance technique. Dans la perspective de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et des négociations à venir sur la mise en œuvre par l’Ukraine de l’acquis communautaire en matière de politique régionale, cette Alliance souhaite également que son implication dans la plateforme de reconstruction s’inscrive autant que possible en cohérence avec la méthodologie de la politique régionale européenne. Pour cela, il est possible de prendre appui sur la réforme ukrainienne de décentralisation, qui était déjà bien avancée avant le 24 février 2022 et qui avait bénéficié du soutien spécifique de U-LEAD, programme financé par l’Union européenne.

Un processus de reconstruction décentralisé est probablement aussi le meilleur moyen pour donner aux citoyens ukrainiens une perspective de rester dans leur pays et limiter ainsi de nouveaux flux migratoires sachant que les villes et régions de l’Union européenne ont d’ores et déjà accueilli le double de réfugiés ukrainiens (3,6 millions) que lors de l’afflux migratoire de 2015. Dans le même temps, il faut d’ores et déjà préparer rapidement une révision de la directive relative à la protection temporaire (2001/55/CE) afin d’offrir aux réfugiés ukrainiens une garantie de séjour de plus de trois ans.

Soulignons pour conclure que le rôle essentiel que les villes et régions d’Europe sont prêtes à assumer pour l’Ukraine ne se limite pas à aider la reconstruction des écoles, hôpitaux ou infrastructure. Il consistera aussi à accompagner l’effort démocratique de décentralisation engagé avant la guerre. En outre, au moment où les conséquences de la guerre se font sentir partout, les villes et régions de l’Union européenne jouent un rôle majeur pour que le soutien des citoyens à la cause ukrainienne ne faiblisse pas, en particulier dans les Etats les plus éloignés du front.

[author title= »Dario Nardella » image= »https://www.sauvonsleurope.eu/wp-content/uploads/2022/10/Dario-Nardella.jpg »]Dario Nardella est maire de Florence, Président d’Eurocities et rapporteur du Comité européen des régions sur le rôle des villes et des régions de l’UE dans la reconstruction de l’Ukraine[/author]

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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5 Commentaires

  1. Entièrement d’accord avec vous, à condition de soumettre ce financement indispensable de l’Ukraine à des impératifs sociaux, démocratiques et environnementaux. En effet, l’Ukraine, avant l’agression russe, ne me semblait pas irréprochable de ce côté-là, loin de là.

  2. Une question sous-jacente aux propos développés dans cet article – et qui est loin d’être anodine – concerne une constante dans les actions d’assistance extérieure de l’UE, à savoir le lien – le « continuüm » – à établir entre trois éléments: l’aide d’urgence fournie à court terme sur le plan humanitaire pour secourir et préserver les victimes de catastrophes naturelles ou causées par l’homme dans les cas de conflit; les programmes de réhabilitation mis en oeuvre pour stabiliser la situation économique et sociale en prenant le relais de cette phase initiale; le « développement » proprement dit attendu à moyen et long terme dans le prolongement de cette consolidation.

    L’approche relative à ce triptyque bien connu des praticiens de la coopération au développement a été formulée dans un communication [COM (96) 153] en date du 30 avril 1996, que la Commission européenne avait adressée au Parlement européen et au Conseil sous l’intitulé « les liens entre l’urgence, la réhabilitation et le développement ». Tout en tenant compte du contexte spécifique à la guerre en Ukraine aux portes de l’UE, on est en droit de souligner qu’un tel objectif de cohérence, répondant à un souci d’efficacité, reste d’actualité au-delà d’une démarche conçue originellement à l’intention des pays du « Tiers Monde » en proie à de telles situations.

    • Waw…. (digamma F, 6eme lettre de l’alphabet) Vous venez de dire en mieux, dans d’autres termes et sous un autre éclairage ce que d’instinct je m’apprêtais à dire…
      Ce n’est pas tant l’Ukraine qu’il faut rebâtir… mais l’humanité toute entière…
      Pour soigner les malades, il faut déjà soigner l’hôpital… et pour soigner l’Hôpital, encore faudrait t’il qu’il y ait moins de malades.
      Pour soigner la Terre, il faut déjà soigner les hommes… et pour soigner les hommes, encore faudrait t’il que la Terre soit viable.
      Comme les plaies de la violence, tant du goulag que du colonialisme, tardent à se refermer, prions pour que les maux que nous apporterons viennent enfin cautériser cette saignée.
      Reconstruire l’Ukraine ?… Oui.
      Mais dans un premier temps, que les Russes cessent de tout détruire.
      Je dis bien : Les Russes… car quand tu laisses faire, tu es d’accord, et tu es complice.
      Puisque personne ne négocie… et puisque la peur prend place sur la parole….
      Attendez vous au pire.

      • j’ajouterais que le développement des uns ne fait pas forcément le développement des autres…
        Entre le profit, la spéculation, la construction et la destruction… les enjeux de pouvoir de toutes sortes… Quand l’évolution du système Terre se montre dysharmonique, quand l’osmose qui devrait être le coeur des relations humaines disparaît…. c’est la vie qui disparaît.
        Il n’y a aucune entente sur Terre… sauf celle de la domination et de la territorialité.
        Tout sera à moi… ou rien.
        On pourra faire la leçon a Putin… mais les patrons d’Amérique ou d’Europe ne valent guère mieux….
        Il ne peut en rester qu’un… Ce sera celui qui prendra la tête de l’autre, qui contrôlera et qui décidera pour l’autre… Big Brother. Il sait déjà tout de toi grâce a Facebook, Google, Twitter… Les réseaux sociaux, en fait c’est de la communication virtuelle, ça n’existe pas.
        IL autorise, IL interdit…. IL fait les règles… IL fait la Loi… IL ? C’est qui IL ?
        Une île perdu au milieu des flots rance du dégoût de la loi…
        LEG en indo européen…. la Loi et le dégoût… Qui fera la Loi ?
        Ce que l’un s’autorise à construire, l’autre s’autorise à le détruire.
        Voici l’homme.

  3. Bonjour.
    Oui, il faut penser à un projet de reconstruction de l’UKRAINE mais ne vendons pas « la peau de l’ours avant de l’avoir tué », l’issue de cette guerre est incertaine.
    De plus, dans une hypothèse favorable, la RUSSIE devra financer la reconstruction, c’est elle qui est à l’origine des destructions.
    L’Europe traverse à nouveau des turbulences, l’individualismes des états refait surface, l’ALLEMAGNE à l’air de prendre ses distances par rapport à la FRANCE, ce n’est pas un bon signe ?
    A force de traverser des crises, l’Europe peut se disloquer, la responsabilité des gouvernants sera immense, par leur égoïsme, ils n’ont pas saisies les occasions multiples qui se sont présentées à eux pour la finaliser, pensera t-on alors à la reconstruction de l’UKRAINE ?

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