Intervention de Nicolas Sarkozy : 2 minutes sur l’Europe et encore…

Ni le Président ni les journalistes n’obtiennent la moyenne !

Hier-soir avait lieu l’intervention publique de Nicolas Sarkozy devant plusieurs journalistes. A quelques mois de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), on pouvait penser que le sujet européen soit discuté franchement. En fait pas du tout, le sujet n’a réellement été abordé que deux minutes seulement… sur la Turquie !

Le constat est sévère pour tout observateur qui attache une certaine importance au sujet européen : l’Europe a été cruellement absente des débats. Pourtant 70% des lois françaises sont issues de directives européennes. Pourtant le traité de Lisbonne vient d’être ratifié récemment par la France avec une polémique sur l’utilisation de la ratification parlementaire. Pourtant la France va être présidente du Conseil de l’Union européenne. Pourtant l’Union pour la Méditerranée a créé de fortes tensions au sein du couple franco-allemand. Pourtant…

La litanie pourrait continuer très longtemps, mais force est de constater que tout a été entrepris durant ce débat entre le président de la République et plusieurs journalistes pour faire comme si la France était seule et n’était pas interdépendante des autres pays du continent européen.

M. Sarkozy tient-il compte de l’Europe communautaire ?

Durant toutes ses interventions, M. Sarkozy a une constante : comparer la France à l’Allemagne. Cette dernière a l’air d’être le point de comparaison ultime pour la France à en croire le président, que cela soit sur l’augmentation des prix, l’imposition sur les bénéfices, les prévisions budgétaires ou l’envoi de troupes en Afghanistan.

Il a aussi l’air de considérer l’Europe comme un pôle de compétition où la France ne doit qu’être compétitive vis-à-vis des autres pays. Il fait même appel à la Commission européenne (l’a-t-il citée dès 20h31 car les Commissaires se couchent tôt ou pour se débarrasser ?) pour démontrer que « les prix ont plus augmenté en France qu’ailleurs en Europe » ? Cela l’amène a expliqué que notre pays « en Europe doit faire face à la compétition » concluant que si nous ne nous mettons pas fiscalement au niveau des autres : « cela ne sert à rien de faire l’Europe si nos entreprises vont ailleurs »…

Il a d’ailleurs plusieurs fois été maladroit :

« les prix ont augmenté au moment de l’arrivée de l’Euro et ce serait un mensonge d’affirmer le contraire »… Est-il si sûr qu’il n’y a jamais eu d’inflation à l’époque du Franc ? Mais puisque c’est un ancien Ministre de l’économie qui nous le dit…

l’un des problèmes que connaît la France au niveau économique est que « l’Euro est plus fort que le Dollar »… Expliquons-le à nos amis d’outre-Rhin qui sont les plus forts exportateurs du continent.

« les consommateurs français payent plus cher dans les hypermarchés français que les consommateurs allemands dans les hypermarchés allemands »… Est-ce qu’à l’heure du marché commun et de la liberté de circulation des personnes en Europe nous sommes limités à nos marchés nationaux ?

« Est-ce que la France pouvait à trois mois de la PFUE dire qu’on allait pas participer » aux renforcements du nombre des troupes en Afghanistan alors que « Zapatero et Merkel sont d’accords sur le principe et qu’ils augmentent leur présence sur le terrain » ? Bravo, comme ça il est clair que c’est la faute des autres si nous choisissons d’augmenter notre contingent sur le sol afghan…

L’immigration, une gestion uniquement au niveau français ?

Ce qui a été marquant aussi, c’est son attachement à tout analyser du seul point de vue français. Là où cela était le plus flagrant a été au moment du traitement du sujet sur l’immigration.

Comme vous le savez en lisant nos colonnes, le pacte européen sur l’immigration de M. Hortefeux ne respecte pas la logique communautaire qui permettrait au Parlement européen de s’exprimer sur ce sujet si le traité de Lisbonne entre en vigueur… Au lieu donc d’exprimer le point de vue défendu par la diplomatie française (c’est un choix politique après tout) d’un nouveau pacte au niveau européen sur l’immigration décidé de manière intergouvernementale, il n’a jamais été question de traiter la question sous un angle européen.

Ainsi, « c’est à la France décider de sa politique d’immigration ». Il rappelle alors que, depuis la loi de 2007, « les chefs d’entreprises peuvent faire appel à la main d’œuvre étrangère si la main d’œuvre au niveau local, régional ou national ne suffit pas ». Ne pas parler du niveau européen évite aussi de rappeler que depuis l’entrée des pays de l’Est dans l’Union européenne, il y a toujours des quotas qui empêchent les populations de ces pays de venir s’installer librement dans notre beau pays… Restons-en à l’ancienne gestion uniquement française des flux migratoires qui viennent d’Afrique en Europe. Les policiers espagnols de Melilla et Ceuta apprécieront.

L’Europe sous le prisme français ?

Sur les problèmes diplomatiques récents entre la France et la Chine, M. Sarkozy nous explique tranquillement que c’est la France qui essaye de renouer le dialogue entre le Dalaï-Lama et les autorités chinoises. Sous les remarques moqueuses des journalistes (tel Patrick Poivre D’Arvor qui souligne que la France le fait « avec de petits moyens »), le président tempère en expliquant que nos services diplomatiques en tous les cas « essayent ».

Sur la question du boycott de la cérémonie d’ouverture, il parle enfin de la Présidence Française du Conseil de l’Union européenne (ouf, il était 21h29) : pour dire qu’il ne s’exprimerait pas au seul nom de la France et qu’il « faudra que les 27 se mettent d’accords ». Mais il nous assurera qu’il fera « tout pour ». Merci à la France de se battre pour l’honneur européen.

Quant à la question de la réforme constitutionnelle elle supprimerait la question du référendum automatique pour tout nouvel élargissement. Là, M. Sarkozy fait de bizarres comparaisons entre la Suisse, les Balkans et la Turquie. Au fnal, on comprend que les Français s’exprimeraient sur l’entrée de la Turquie dans l’Union « parce qu’elle n’est pas européenne »… Au final, il nous explique la suppression du référendum automatique parce qu’ « on va pas dire à nos 26 partenaires européens qu’on ne peut pas se prononcer à chaque fois parce qu’on attend le référendum ». Devons-nous comprendre que nos partenaires attendraient de toute façon notre référendum pour prendre eux-même positions ?

Et que se passerait-il dans l’hypothèse caricaturale où les Français votent non alors que la Turquie remplirait les critères qui lui ont été fixés et que tous les partenaires européens seraient d’accord pour son entrée ?

Enfin, nous remarquerons que Nicolas Sarkozy a une forte tendance a considéré la France seule en Europe. En effet, il est venu « parler de la France et des problèmes de notre population car c’est ça qui intéressent les Français »… Bizarre pour un président qui prétend prendre les problèmes dans leur complexité car « tout se tient » Tout ça sans prendre en compte le résultat de la construction communautaire avec l’interpénétration par exemple des économies de chaque pays du continent.

Mais pour lui, « il faut que que la France puisse continuer à compter parmi les grandes puissances du monde ». On comprend qu’il ne priorise pas le sujet européen : il nous rappelait ainsi d’entrée qu’il avait été « élu pour rendre la fierté d’être Français ».

Est-ce que les journalistes sont capables de parler d’Europe ?

A 21h32, on a cru au miracle, le « Et si on parlait d’Europe » d’un des journalistes nous a réveillé de notre torpeur. Mais pas trop longtemps n’est-ce pas : 2 minutes plus tard, il était temps de parler de l’Afghanistan… Sujet qui a duré trois fois plus longtemps que le sujet sur l’Europe !

Il est assez incompréhensible que les journalistes présents n’aient pas pensé (ou voulu ?) aborder la présidence française du Conseil de l’Union européenne qui arrive pourtant dans quelques mois à peine ! On peut alors se poser des questions quant à leur capacité à traiter le sujet.

En effet, Vincent Hervoüet de LCI, chargé des questions sur le domaine « international », n’aide pas le président à avoir un point de vue pédagogique sur l’Europe. Par exemple, sur la présence ou non de la France à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques à Pékin, le journaliste pose la question suivante : « est-ce que la politique étrangère de la France est dépendante de celle de ses voisins ? »

Que peut répondre Nicolas Sarkozy ? Il venait pourtant d’expliquer qu’il faudra qu’il tienne compte de la position des autres pays européens car il représentera l’ensemble de l’Europe à cette occasion. Quel est le but de la question dès lors ? Un journaliste de cette qualité doit savoir l’effet provoqué par ses questions. Ici, l’effet est dévastateur : c’est la faute à l’Europe si la France est faible.

De même Yves Calvi, journaliste qui mène si bien ses émissions tel C’est dans l’air, a laissé Nicolas Sarkozy parlé de l’immigration pendant plusieurs minutes et n’a jamais abordé la question de la dimension européenne de ce sujet.

Doit-on accepter un niveau aussi bas de nos journalistes sur le sujet européen ? On ne peut pas en vouloir seulement au personnel politique de ne pas aborder le sujet européen si le contre-pouvoir médiatique est complice par ignorance.

Après ce débat de plus d’une heure et demi, le public français n’a presque pas vu abordée la question de la construction de l’Europe dans ce rendez-vous médiatique. Si l’avenir n’est traité que sous le prisme national, comment peut-on s’étonner d’une désaffection du projet européen. Il nous avait semblé pourtant qu’après le référendum de 2005 tout le monde s’accordait à dire qu’il fallait faire encore plus œuvre de pédagogie sur l’Europe. Après ce débat, peut-on dire que le but a été atteint ?

Ah oui, il y avait le drapeau européen… de quoi se plaint-on ?

 

Fabien CAZENAVE

Membre du Bureau national des « Jeunes Européens France ».

Rédacteur en chef de la version française du Taurillon.

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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