Gaëtane Ricard-Nihoul: Re-passionner le débat politique

Gaëtane Ricard-Nihoul, Secrétaire générale adjointe du SG pour les consultations citoyennes, a répondu aux questions d’Henri Lastenouse

 Partout en Europe se déroulent des consultations citoyennes jusque fin octobre prochain. Quels sont leurs objectifs ?

Il est vrai que l’organisation de consultations citoyennes sur l’avenir de l’Europe a été proposée par la France mais qu’il s’agit aujourd’hui d’un vrai projet européen, inédit par son ampleur : l’ensemble des institutions européennes y contribuent et elles se déroulent simultanément dans 27 Etats membres.

Ce sont des évènements aux formats divers mais respectant des principes communs de démocratie participative. Elles doivent être le plus inclusives possibles, pluralistes et donner la priorité à la parole citoyenne. C’est aussi une consultation en ligne, accessible sur une plateforme européenne portée par la Commission européenne, dont le questionnaire a été élaboré par un panel de citoyens européens choisis dans tous les pays de l’UE de manière aléatoire. Une expérience innovante et passionnante.

Parmi les principes communs essentiels à respecter par chaque Etat figure celui de la mise en place d’un mécanisme rigoureux de restitution du contenu de la parole citoyenne exprimée au travers de ces consultations. Parce que l’objectif de ces consultations est clairement établi : faire remonter les attentes et propositions citoyennes aux Chefs d’Etat et de gouvernement, qui se réuniront au sein du Conseil européen à la mi-décembre. Ils s’engageront ensuite jusqu’au Sommet de Sibiu en mai 2019 dans une période historique pour la construction européenne, avec la perspective du Brexit et du renouvellement des institutions suite aux élections européennes. Au-delà du Conseil européen, l’ensemble des institutions européennes, Commission, Parlement, Comité des Régions et Comité économique et social, se sont engagées à prendre en compte les propositions citoyennes qui ressortiront de ces consultations.

On ne peut nier qu’une distance s’est installée avec le temps entre les citoyens et la construction européenne. Les consultations relèvent d’une démarche qualitative de démocratie participative, complémentaire – et non concurrente bien sûr – à la démocratie représentative, qui vise à poser quelques piliers de ce pont vers les citoyens qui est à reconstruire, à réinventer. C’est donc un moment à saisir pour tous ceux qui ont envie de dire ce qu’ils pensent du projet européen, ce qu’ils aiment, ce qu’ils n’aiment pas, ce qu’ils souhaitent, craignent et surtout bien sûr quelles sont leurs propositions. Tout le monde, individu, association, collectivité, syndicat, entreprise, peut organiser une consultation ou simplement y participer (RV sur www.quelleestvotreeurope.fr).

Comment s’est organisée la participation des citoyens pour l’élaboration du questionnaire qui sert de fils conducteur à l’ensemble des participations citoyennes ?

Comme je le disais précédemment, c’est un panel d’une centaine de citoyens européens, issus des 27 Etats membres participants aux CCE, qui a préparé le questionnaire (auquel vous pouvez également accéder en ligne via le site mentionné ci-dessus). Ce panel a été choisi de manière aléatoire, selon des critères de représentativité de la diversité européenne, prioritairement socio-professionnelle mais aussi de genre, d’âge et d’attitudes vis-à-vis de l’UE. Il s’est réuni pendant deux jours à Bruxelles au début du mois de mai et a travaillé en groupes et en plénières, en suivant un processus délibératif conçu avec l’aide d’experts de la démocratie participative.

Alors que la plupart avaient très peu de connaissances sur l’UE, ils sont parvenus à se mettre d’accord à la quasi-unanimité sur un questionnaire final et l’évaluation a montré une forte satisfaction des citoyens suite à leur participation. Bien sûr, nous pourrons toujours améliorer des éléments méthodologiques ci et là à l’avenir mais cette expérience est prometteuse, car elle permet vraiment de dialoguer avec des citoyens qui n’ont pas un accès récurrent ou aisé aux questions européennes, et puis surtout de faire dialoguer entre eux des citoyens de diverses nationalités et backgrounds. Je n’oublierai pas la réflexion d’une Tchèque sortant d’un groupe de travail (tous les groupes mixaient bien sûr les nationalités et les langues) après avoir entendu un participant italien parler des migrants: « je ne me rendais pas compte à quel point les Italiens s’étaient sentis abandonnés par les Européens ». Le projet européen est d’abord une aventure humaine. A cet égard, le dialogue transnational direct avec et entre les citoyens, quel que soit le vecteur utilisé, est d’une richesse infinie et l’Europe de demain ne pourra pas s’en passer.

A ce stade des consultations citoyennes, quelles sont les grandes tendances qui se dessinent quant aux attentes des citoyens européens concernant l’avenir de l’Union Européenne ?

En France, nous avons choisi de confier l’analyse des restitutions des consultations citoyennes à un comité d’experts indépendant qui se réunira dans la première quinzaine du mois de novembre. Nous ne voulons donc surtout pas préempter cette analyse. Ce que je peux vous dire c’est qu’elle montrera parfois un décalage entre les thèmes qui ressortent constamment dans l’actualité et les préoccupations citoyennes. C’était déjà frappant au moment du panel citoyen : bien sûr, les thèmes de la migration ou de l’insécurité ont été fréquemment évoqués. Mais beaucoup nous ont dit être là parce qu’ils leur importent de transmettre à la prochaine génération un projet européen qui a du sens et qui s’investit aussi dans les grands enjeux qui peuvent changer leur quotidien comme en matière environnementale ou de santé.

Quel rôle pourrait jouer selon vous la démocratie participative pour intéresser les citoyens européens aux débats bruxellois ?

On voit bien que la démocratie représentative – qui reste évidemment le socle de nos systèmes politiques européens -doit repenser ses modes de fonctionnement vis-à-vis de citoyens qui sont soumis à un flot continu d’informations, de qualité et de forme diverses, et sont en demande d’un renouvellement des pratiques démocratiques. La démocratie participative est justement conçue pour offrir un complément utile à la représentation en permettant de garder un lien plus régulier avec les citoyens et surtout en leur donnant la possibilité d’être acteurs de cette démocratie, a minima en s’informant et en dialoguant et si possible, suivant les formats utilisés, en pesant sur la décision politique.

L’échelon européen n’échappe pas à ce besoin de renouvellement des pratiques démocratiques que l’on constate à l’échelle nationale. Mais l’urgence est encore plus criante, parce que les lieux de pouvoir sont plus éloignés du citoyen et parce que la construction européenne est depuis trop longtemps l’affaire des spécialistes. Pour résumer, on pourrait dire qu’après la guerre, il fallait dépassionner le débat politique pour pacifier les relations entre pays européens ; et qu’aujourd’hui il faut oser le « re-passionner », lui donner de la chair, du contenu, de la contradiction mais surtout des lieux et un cadre démocratique, pacifique et respectueux à l’intérieur duquel cette « passion » puisse s’exprimer.

Comment qualifier en trois mots clefs l’état de l’opinion publique en France concernant le projet européen ?

Je propose le « triple A » : je dirais attachement, attente mais aussi une forme d’amertume.

[author image= »https://www.sauvonsleurope.eu/wp-content/uploads/2018/08/GRN-IJD.jpg » ]Gaëtane Ricard-Nihoul, Secrétaire générale adjointe au Secrétariat Général pour les Consultations Citoyennes sur l’Europe[/author]

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