Edmond Maire nous quitte

La semaine dernière, Edmond Maire a pris congé de nous. Sauvons l’Europe souhaite ici rendre hommage à celui qui fut l’une de nos inspirations. Pour reprendre les termes de la CFDT, Edmond Maire fut un immense syndicaliste et un penseur essentiel de la transformation sociale et du rôle des acteurs sociaux dans la démocratie. Son intelligence hors norme et sa vision ont fait de lui un acteur central de l’évolution de la CFDT de la place qu’elle occupe dans la société française et, au-delà, de la démocratie sociale.

Ses combats pour l’émancipation individuelle et collective, pour la justice sociale, pour la démocratie en France, en Europe et dans le monde ont structuré son engagement syndical puis les responsabilités qu’il a ensuite exercées.

A ces quelques lignes, Sauvons l’Europe souhaite ajouter le rappel du rôle d’Edmond Maire dans le développement de l’entreprise solidaire en France et son combat pour réorienter l’épargne salariale vers des pratiques économies vertueuses, notamment à la tête de la SIFA. Cet esprit est bien représenté par son discours à l’occasion des 50 ans de la CFDT le 5 novembre 2014, que nous reproduisons ici:

Aujourd’hui nous vivons un moment privilégié, une étape mémorable : les 50 ans de la CFDT. Notre secrétaire général, Laurent Berger, a souhaité que je mette en valeur le sens général de notre parcours.

Je vais donc évoquer l’histoire de la CFDT depuis ses origines, rappeler des actions particulièrement significatives de ces cinquante dernières années et enfin souligner plusieurs de ses ambitions, anticipatrices de son action future.

Mais d’abord si nous sommes heureux de nous retrouver ensemble, c’est parce qu’une même ambition nous habite.

Nous voulons que notre syndicalisme soit un moteur de l’émancipation de chaque travailleur, de chaque citoyen. Nous voulons bâtir progressivement dans l’entreprise et la cité une société démocratique de liberté et de responsabilité, « la société d’hommes fiers et libres » dont parlait Fernand Pelloutier aux militants rassemblés dans les Bourses du Travail, à la fin du dix-neuvième siècle.

Je souhaite vous faire partager la fierté qui était la nôtre en 1964 d’avoir réussi à nous rassembler autour des valeurs fondamentales du mouvement ouvrier.

Car nos racines, nous les trouvons dès la révolte des canuts de 1831 lorsque, malgré l’interdiction de toute organisation ouvrière, décrétée en 1791, et face à une répression meurtrière, ils proclamaient: « Vivre libre en travaillant ou mourir en combattant ». La révolte des canuts deviendra emblématique du mouvement ouvrier naissant. Nous l’évoquions avec émotion lors de notre congrès confédéral de 1957, mon premier congrès.

Au milieu du 19ème siècle, les conditions de travail et de vie étaient souvent révoltantes, comme en témoigne le fameux rapport du docteur Villermé en 1840 sur l’état physique et moral des ouvriers des manufactures de Mulhouse.

Dans les grandes concentrations industrielles de notre pays, de rudes affrontements opposaient souvent les militants ouvriers à des employeurs soutenus par les forces de l’ordre. Le souvenir en est encore vivant dans nos régions et fédérations.

Ainsi au printemps dernier, des militants CFDT porteurs de l’histoire ouvrière de la région stéphanoise ont produit un film émouvant « CFDT, histoire d’une naissance », qui fait revivre les combats souvent dramatiques de leurs aînés, il y a presque deux siècles.

Nos racines, nous les trouvons aussi dans la conquête par le mouvement ouvrier de la liberté d’expression, par exemple lorsque des ouvriers qualifiés se sont exprimés pendant dix ans, de 1840 à 1850, dans le journal « L’Atelier » fondé par Philippe BUCHEZ, un socialiste chrétien qui voulait réconcilier catholicisme et révolution.

Plus généralement, nous trouvons nos racines dans les combats des militants de ce même siècle pour conquérir quatre de nos grandes libertés collectives citoyennes: les mutuelles, qui définissent en 1898 la Charte de la Mutualité; les coopératives de production, coordonnées en 1884; les associations, légalisées en 1901; les syndicats, dont le droit à l’existence est enfin reconnu par la loi en 1884.

Ainsi les militants de cette époque ont réussi à faire prévaloir leurs objectifs communs, au-delà de leurs liens personnels avec un parti, une philosophie ou une religion. Les valeurs communes qui les unissaient, indépendance et laïcité, ce sont nos valeurs.

Cependant au début du vingtième siècle, des différenciations se creusent, par exemple entre philosophie marxiste et catholicisme social.

Et le combat républicain pour la laïcité de l’Etat divise la société lorsque la loi Jules FERRY de 1881 rend l’enseignement public obligatoire dans les écoles publiques ou, en 1905, lors de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

De fait, l’expression des partis républicains mais aussi de la CGT porte souvent une connotation antireligieuse. Des militants catholiques du SILLON de Marc SANGNIER, d’esprit républicain, rejoignent cependant la CGT. Mais le premier syndicat chrétien des employés de commerce et de l’industrie apparaît en 1887. D’autres syndicats chrétiens se créent. Et la CFTC voit le jour en 1919.

A la CGT, sous l’effet de la révolution russe de 1917, l’influence communiste progresse et provoque une scission. Peu à peu, pour les militants attachés à l’indépendance du syndicalisme, la CFTC commence à apparaître comme une alternative.

C’est ainsi que des militants de la JOC y adhèrent lors des grèves de 1936. Et le Syndicat Général de l’Education Nationale, créé en 1937 par Paul Vignaux, refuse de rejoindre la CGT. Le SGEN, bien que statutairement laïc et opposé à toute référence aux encycliques, arrive à obtenir son adhésion à la CFTC.

Après la guerre 39/45, face à une CGT dominée par le Parti communiste, la minorité de la CFTC affirme son identité laïque et son adhésion aux valeurs du mouvement ouvrier. Son audience s’accroît. Comme André Jeanson, alors président, ou Gérard Espéret, responsable international, de nombreux militants de l’ancienne majorité sont convaincus de la nécessité de l’évolution de leur Confédération.

Eugène Descamps, secrétaire général, appelle à bâtir «  la grande centrale démocratique de notre temps ». Et c’est le saut qualitatif de 1964. La nouvelle majorité apparaît. La CFTC devient CFDT et se réfère aux valeurs du syndicalisme authentique. Avec un grand retentissement national et international.

La CFDT n’est donc pas assimilable à un courant du syndicalisme français. Elle ne résulte pas du succès d’une fraction sur une autre. Sa matrice, au-delà des évolutions juridiques, c’est le mouvement ouvrier. C’est le legs que nous ont transmis les militants de ma génération. Je pense particulièrement à Albert Détraz du bâtiment, Jean Lannes le métallo, Marcel Gonin le stéphanois, Jean-Marie Kieken, le chimiste.

Notre fierté collective est d’avoir traduit dans le préambule et l’article premier de nos statuts les fondements d’un syndicalisme totalement indépendant dans sa pensée et dans son action du patronat, de l’Etat, des partis et des églises. Un syndicalisme ouvert à tous.

Aujourd’hui, les syndicats CFDT ont pris le relais des femmes et des hommes qui, depuis le début de l’ère industrielle, ont fait progresser de façon extraordinaire les conditions de travail et les droits individuels et collectifs des travailleurs.

Les militants d’aujourd’hui sont les héritiers de la grande tradition du syndicalisme français, de Fernand Pelloutier, de Paul Vignaux, d’Eugène Descamps. Et de Jeannette Laot dont la force de conviction a ouvert des brèches dans les digues de la domination masculine et jeté les bases de la mixité des responsables syndicaux. Merci Jeannette.

Les actions les plus significatives menées par la CFDT depuis cinquante ans traduisent nos valeurs fondatrices et donnent confiance dans notre avenir syndical collectif.

Je tiens à saluer d’abord les militants CFDT des années 60 pour leur engagement courageux en faveur de l’indépendance de l’Algérie, en dépit des réactions de l’opinion publique française.

Cet engagement est emblématique de la grande tradition de solidarité internationale de la CFDT à l’égard des syndicats en lutte pour libérer leur pays de la domination coloniale ou de l’oppression des dictatures, que ce soit en Afrique, en Europe ou en Amérique du sud.

Et, souvenir inoubliable par son intensité et sa durée, la CFDT s’est mobilisée de façon extraordinaire dans le soutien à Solidarnosc affronté au totalitarisme soviétique.

En Europe, nous sommes engagés solidairement depuis quarante ans dans la Confédération Européenne des Syndicats pour promouvoir le progrès social dans la mondialisation et surmonter l’hégémonie des marchés financiers.

En France, nous avons placé mai 68 sous le signe de l’autogestion, une aspiration irrépressible à l’émancipation individuelle et collective.

Dans la foulée nous avons impulsé des réformes durables. De la négociation de Grenelle en 1968 aux lois pour des droits nouveaux en 1982, le bilan est impressionnant : reconnaissance de la section syndicale d’entreprise, négociation annuelle obligatoire, extension des droits des travailleurs et des comités d’entreprise, création des CHSCT.

Dans les années 80, la CFDT s’est mobilisée pour la défense de l’école laïque. Elle a fait progresser sa conception de l’entreprise, de ses deux logiques co-existantes et de sa responsabilité sociale. Elle a montré une capacité d’innovation et d’impulsion de progrès durables à travers les négociations et les lois.

Et la trajectoire se poursuit. Pour la seule année 2013 : premiers résultats électoraux issus de la réforme de la représentativité syndicale, faisant apparaître une forte progression de la CFDT; accord national interprofessionnel instaurant une Base de Données Unique au service de l’action syndicale et des droits rechargeables pour les chômeurs reprenant une activité.

Vous, les syndicalistes CFDT des années 2000, vous ne vivez pas dans la nostalgie des combats d’autrefois mais, forts des valeurs qu’exprime notre histoire, vous avez la volonté de faire face aux enjeux d’aujourd’hui. C’était le sens de votre congrès de juin, à Marseille.

Vous avez l’ambition de faire progresser les droits individuels et collectifs des travailleurs à travers les bouleversements nés des nouvelles technologies et de l’économie numérique, qui affectent l’emploi, le travail, la santé, la culture.

Vous contestez un mode développement insoutenable et êtes déterminés à mener un combat de longue portée pour un autre type de croissance, qualitative, créatrice d’emplois, durable et protectrice de l’environnement.

Vous voulez libérer les femmes de la domination masculine ancestrale qu’elles subissent encore et conquérir partout l’égalité professionnelle.

Vous avez la volonté de faire reculer la xénophobie et les discriminations que subissent les immigrés, et d’abord d’obtenir leur plein accès à la citoyenneté, à la fraternité syndicale et républicaine et au droit de vote qu’on leur refuse encore, plus de deux siècles après la proclamation de l’égalité des droits en 1789.

Ainsi, vous avez pris le relais des générations qui vous ont précédés. Vous poursuivez fièrement la construction d’une société plus humaine et plus solidaire.

Alors au nom de nos aînés et au nom de tous ceux qui, autour de vous, comptent sur l’action de notre syndicalisme, je vous dis notre confiance collective.

Oui, les syndicats CFDT, leurs militants et leurs adhérents, seront chaque jour davantage la force créatrice qui fait progresser nos valeurs historiques et nos ambitions transformatrices dans les entreprises, les administrations et les cités.

 

 

 

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